Deuxième jour du procès en appel de l’assassinat de Djamel Bensmaïl Haine, racisme et barbarie

Des accusés dans l’affaire de l’assassinat du jeune Djamel Bensmaïl ont déclaré, hier, lors de leur audition, qu’ils étaient présents sur la scène de crime, après avoir été sollicités par la police pour lui venir en aide face à une foule en furie.

Le procureur près le tribunal criminel de Dar El Beida a fait remarquer que «les accusés sont revenus sur leurs déclarations devant le juge d’instruction en présence de leurs avocats et tentent aujourd’hui de nier toute participation à ces actes» avant de lancer à leur adresse : «Vous déclarez que vous étiez sur le lieu du crime pour offrir votre aide à la victime Djamel Bensmail, mais personne d’entre vous n’a essayé de le secourir ou de le sauver. Au contraire, le résultat est la mort du jeune d’une manière horrible.»
Pour sa part, la présidente de l’audience a précisé que «si un ou deux des accusés qui prétendent vouloir secourir la victime l’avaient fait réellement, s’il y avait des sages parmi vous, nous ne serions pas arrivés à un crime horrible».
Les accusés qui se sont succédé hier à la barre en ce deuxième jour du procès en appel ont adopté une nouvelle stratégie de défense. Ils sont revenus sur leurs déclarations, même si, dans plusieurs cas, ils ont été confrontés à des images vidéos qui seront diffusées à la clôture des auditions.
La juge appelle Yazid Y. qui a rejeté toutes les charges retenues contre lui. «J’étais à l’intérieur du commissariat pour secourir un policier qui s’était évanoui. Je lui avais donné de l’eau et je l’ai secouru. J’ai vu la victime allongée par terre…».
Il est interrompu par la juge : «Comment tu as vu la victime à l’extérieur alors que tu étais à l’intérieur du commissariat? La vidéo t’a montré en train de piétiner la victime.»
Il nie et affirme qu’il a voulu défendre la victime mais la juge lui rappelle ses déclarations : «Tu as reconnu que tu as entraîné la victime en compagnie de Sifax et la plupart d’entre vous déclarent aujourd’hui que vous étiez sur les lieux pour protéger la victime.» L’accusé a répondu qu’il a connu Sifax en prison mais il est tout de suite épinglé par le PG qui lui demande : «Pourquoi le policier que tu as secouru n’a pas témoigné en ta faveur comme l’ont fait d’autres avec des accusés ?» L’accusé ne répond pas.

Piégé par un message

A la barre, l’accusé Farej B. a lui aussi justifié sa présence sur la scène du crime par «la volonté de secourir la victime».
Il a été identifié dans une vidéo à l’intérieur du véhicule de police où se trouvait la victime. «Djamel Bensmail était à l’intérieur, il était en vie mais il n’a pas parlé, j’ai quitté le lieu à cause des insultes et des obscénités. C’est un policier qui m’a demandé de parler en kabyle avec la foule pour la calmer» mais la juge lui précise : «Il y a des policiers de la région qui maîtrisent cette langue.»
L’accusé Aziz Y. a été «piégé» par le message qu’il a envoyé sur Messenger à sa femme résidant en France pour l’informer sur l’accomplissement du crime. «On l’a tué, on l’a brûlé», a-t-il écrit. Son avocat a précisé qu’il voulait juste l’informer sur l’évènement qui a eu lieu mais la juge lui a expliqué que «on» signifie un acte collectif. Il a été aussi épinglé par le PG sur sa présence devant le corps de la victime qu’il a frappée avec un coup de pied. «Non, j’ai trouvé des débris de verre près du corps et je les ai juste éloignés pour passer» mais le PG déplore : «Tu as eu peur pour tes pieds et pas pour la victime.»
L’accusé Lyes D., qui se trouvait à 3 mètres de la scène du crime, a déclaré qu’il a vu «des individus en train de tabasser la victime mais de dos».
La juge appelle Chaabane M. un jeune accusé âgé de 21 ans. Il a été identifié dans les vidéos en possession d’un bâton. Il s’est déplacé à bord de son camion vers 16h sur le lieu du sinistre.
La présidente de l’audience lui rappelle que c’est l’heure de déclenchement de l’évènement. L’accusé a tenté de justifié le port du bâton par «son utilisation dans l’extinction des feux de forêt». Le PG intervient : «Tu es descendu du camion en portant le bâton. Quel feu de forêt tu allais éteindre ? Pourquoi tu ne l’as pas laissé dans le camion ?» L’accusé affirme qu’il avait de la peine pour la victime.
«J’ai crié mais personne ne m’a entendu.» La juge consulte longuement la photo et lâche : «Ce n’est pas un bâton, c’est plutôt un tronc !»

Selfie devant un corps calciné

L’audition de l’accusé Loucif Ch. enseignant en sciences islamiques qui a filmé la scène avec un commentaire «Voilà la Kabylie, celui qui brûle, sera brûlé», a dévoilé d’autres détails. Arrivé sur la scène du crime, il pensait qu’il s’agissait de l’immolation d’un mannequin.
«J’étais toujours pour l’unité nationale à travers des conférences que j’animais, c’est juste la vidéo qui m’a conduit au tribunal», se défend-il.
Le PG intervient : «Tu es un éducateur de générations et tu fais un selfie devant un corps calciné». Il répond qu’il regrette son acte et avait déjà présenté ses excuses à la famille de la victime dans une vidéo mais la juge lui fait remarquer qu’il a publié cette vidéo quand il a su qu’il était recherché par les services de police et a procédé à la suppression des photos et vidéos.
C’est là que la défense de la partie civile, à savoir la famille de la victime, expose les rapports des perquisitions électroniques de ses comptes sur les réseaux sociaux et son téléphone portable.
«Tu as publié une photo avec le drapeau de l’organisation terroriste MAK en lien avec tes activités, dont ton cousin Abdelkader installé en France à travers des discussions et photos supprimées plus tard», lance l’avocat. L’accusé reconnaît qu’il s’agit de son compte et que «la publication du drapeau du MAK ne signifie pas qu’il en est membre».

Les meneurs, des Makistes exécuteurs du plan de déstabilisation

La juge appelle Chaabane M., qui est apparu dans la vidéo en train de retirer violemment à la victime sa carte d’identité, son portable et son porte-clés .
Il incitait aussi la foule au meurtre. Le PG : «Pourquoi avoir déclaré à la foule qu’il était d’Ain Defla ? Le plus important c’était qu’il était le présumé pyromane, pas ses origines. Tu as réussi à arriver au véhicule malgré la grande foule et des gens t’ont ouvert la route. Pourquoi et comment vous ont-ils ouvert la route au milieu d’une foule imposante. Tu es qui exactement ?».
L’accusé est revenu sur ses propos devant le juge d’instruction en présence des avocats.
De même pour l’accusé Sofiane H. qui a déclaré au juge d’instruction avoir été contacté par Samir Mokrane pour adhérer au MAK. Il est apparu dans une vidéo devant le corps calciné en train de scander «vive le MAK». Il a rejeté les accusations mais le PG lui rappelle ses déclarations dans lesquelles il a reconnu qu’il a reçu de l’argent de cette organisation terroriste. Sofiane Z., membre d’une association de bienfaisance, lui, est un partisan de l’organisation terroriste Rachad, selon les perquisitions électroniques. «Ça m’arrive de mettre «j’aime» sur la page de Rachad mais involontairement.»
Le PG s’emporte : «Vous faites un selfie avec un cadavre carbonisé, je veux bien comprendre votre sang-froid et tant de haine envers la victime.»
L’accusé Ferhat Ch., qui est monté sur le toit du véhicule de police, a déclaré qu’il voulait repousser la foule en furie mais il est épinglé par le PG : «Tu as demandé à Lakrouf de quitter les lieux parce qu’il parlait arabe». L’accusé a répondu : «J’avais peur pour lui, parce qu’il était étranger …».
Le PG : «Peur de qui ?», l’accusé ne répond pas. De son côté Belaid H. confondu par les vidéos où il était identifié en train de traîner la victime par sa ceinture, dira : «Je voulais le remettre à la police.» Madjid G., l’homme au pull noir qui portait aussi une bavette noire a déclaré qu’il s’est déplacé pour porter assistance à la police. «J’ai vu la victime à l’intérieur de la cage du véhicule de police», déclare-t-il mais le PG relève qu’il s’agit d’une nouvelle version. «Vous n’avez pas fait état de ces propos avant.»
L’accusé Abderraouf O., un jeune accusé, est lui aussi confondu par des messages à des dénommées Roumaissa et Maya pour «les informer plus tard des détails de ce crime» et un autre message lui demandant d’éteindre son téléphone et de changer la puce.
«Ce sont des influenceuses qui voulaient savoir ce qui s’est passé mais je ne sais pas qui m’a envoyé l’autre message.» La juge intervient de nouveau : «On n’est jamais arrivé à identifier Maya et Roumaissa, peut-être qu’il s’agit de comptes d’hommes.»

Neila Benrahal

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Il tentait de quitter le territoire national clandestinement

L’audition de Youba B. a démontré que la vigilance des enquêteurs a permis de déjouer des tentatives de fuite de certains suspects. Il a déclaré au tribunal qu’il a filmé la scène sans savoir qu’il s’agissait d’un cadavre calciné. Il a été arrêté à Oran en possession de 60 millions de centimes en compagnie de deux autres accusés. «Je voulais louer un local à Oran», répond-il au tribunal sur sa présence à Oran et la source de l’argent, alors qu’il tentait de quitter le territoire national clandestinement.
Les derniers accusés entendus durant cette deuxième journée du procès n’ont rien vu ou entendu, mais sont venus pour aider plutôt à diffuser sur les réseaux sociaux quelques photos et vidéos fait remarquer le tribunal. Les auditions reprendront aujourd’hui.

N. B.

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Un plan de déstabilisation de l’Algérie orchestré

L’audition hier de l’accusé Mohamed Laskri a révélé, de nouveau, la planification de l’assassinat du jeune Djamel Bensmail dans le cadre d’un plan de déstabilisation de l’Algérie. Laskri Mohamed a reconnu qu’il était chargé des questions de sécurité au MAK. Il était militant de base avant de se retirer de l’organisation terroriste en 2020 à travers un message sur Messenger.
L’accusé a été confronté à un message envoyé par l’accusé en fuite Yacin D. , l’informant d’un «mot d’ordre» de Ferhat M’henni qui a appelé la population de Larbaâ Nath Irathen à fermer les magasins en prévision d’un «grand évènement», le 11 août 2021, en sa qualité de chargé de sécurité. Il a reconnu qu’il était chargé de l’organisation des marches, des rassemblements et des activités de l’organisation terroriste.
L’accusé nie : «Je n’ai pas reçu de message, je ne possède pas de téléphone portable. J’ai appris l’assassinat de la victime le soir.»
A l’instar des autres accusés, il est revenu sur ses déclarations devant le juge d’instruction.

Neila B.

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