Benjamin Stora commente la visite de Jean-Noël Barrot à Alger : «Ce que je peux suggérer au président Macron»

Entretien réalisé par : Brahim Takheroubte

Dans cet entretien express, qu’il a généreusement accepté de nous accorder, l’historien français Benjamin Stora se félicite du retour de l’action diplomatique, saluant ainsi la priorité donnée à la négociation plutôt qu’aux «bras de fer» et aux «ultimatums». Toutefois, il souligne que la tâche reste ardue. L’objectif, selon lui, consiste à déconstruire les récits idéalisés de la «colonisation heureuse», une vision largement propagée par une extrême droite française omniprésente dans les médias. Au sujet du dossier mémoriel, Stora confie qu’il a l’intention de suggérer au Président Emmanuel Macron, entre autres, la reconnaissance des crimes de guerre commis pendant la phase initiale de la colonisation, au XIXe siècle, cela avec l’espoir de réparer les blessures laissées par un passé colonial trop souvent ignoré.

El Moudjahid : Avec la visite de M. Barrot, Alger et Paris ont décidé de tourner la page des crises récentes. D'abord, en tant que spécialiste de la relation algéro-française, êtes-vous soulagé par cette reprise ? Ensuite, avons-nous enfin trouvé le bon chemin pour un départ sans rechutes ?

Benjamin Stora : On ne peut que se féliciter du fait que la raison l’emporte sur les déclarations qui ne proposent que les «bras de fer» et les «ultimatums». Il faut espérer que l’on poursuive sur le chemin de la discussion franche et équilibrée entre les deux pays.

En plus de la question mémorielle, deux autres dossiers épineux minent cette relation : la circulation des personnes et le Sahara occidental. Ces deux dossiers sont-ils insolubles ?

Non, je ne crois pas. Sur la question de la mobilité des personnes, des accords peuvent être trouvés entre les préfets et les consuls généraux en France pour les laissez-passer. Sur le Sahara occidental, si la politique de la France risque de ne pas évoluer, il reste que ce dossier demeure entre les mains de l’ONU, comme l’ont prouvé les récentes prises de position de l’Union européenne.

On a annoncé votre arrivée prochaine à Alger pour la reprise des travaux de la commission mixte des historiens. Vous avez l’oreille du Président Macron. Qu’allez-vous recommander, à votre niveau, pour que les relations entre les deux pays sortent de cette noria de malheurs ?

Franchement, je ne sais pas si «j’ai l’oreille du Président Macron», mais ce que je peux suggérer, c’est surtout la restitution d’objets appartenant à l’émir Abdelkader, comme son Coran ou son épée de commandement, ou encore la clé de la ville de Laghouat ; la reconnaissance de crimes de guerre commis au temps de la pénétration coloniale au XIXe siècle, comme les enfumades du Dahra. Il peut y avoir d’autres exemples de reconnaissance des répressions, massacres et dépossessions foncières au XIXe siècle. Et puis, il y a les archives. Plusieurs millions ont déjà été numérisées. Nous en discuterons dans la commission mixte des historiens.

Pendant huit mois, on a eu droit à des séquences choquantes de la part de l’extrême droite française, qui voulait traiter les choses par la force et la coercition. Le retour du langage diplomatique va-t-il la disqualifier ou, au contraire, celle-ci va-t-elle se prévaloir d’un statut de victime, pour nourrir un populisme néfaste et très dangereux ?

C’est une bataille difficile, incessante, pour maintenir une relation équilibrée, car l’extrême droite, qui se nourrit en grande partie d’une mémoire de revanche de l’Algérie française perdue, est aujourd’hui très présente dans les médias. Il faut donc expliquer patiemment ce qu’a été la colonisation, ne pas perdre le fil de la vérité historique face aux fausses nouvelles, aux récits fantasmés de la «colonisation heureuse».

B. T.

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