Au Forum d’El Moudjahid La révolution algérienne a sonné le glas de l’empire colonial français

L’implication du peuple algérien a affaibli la France militairement et diplomatiquement bien qu’elle fut  une puissance internationale.
L’implication du peuple algérien a affaibli la France militairement et diplomatiquement bien qu’elle fut une puissance internationale.

Les manifestations du 11 décembre 1960, à Alger et dans de nombreuses villes d’Algérie, furent incontestablement une page glorieuse –et douloureuse– de notre histoire. Un moment charnière dans le cours de la Révolution algérienne. Ce jour-là, le monde a pris acte de la victoire éclatante du peuple algérien, revenu dans l’histoire, sous la bannière El Djebbha, le Front de libération nationale.

Le peuple, par sa mobilisation massive, a accéléré les événements et porté un coup fatal à un colonialisme que d’aucuns pensaient éternel. Une leçon d’histoire ramassée et dispensée, hier, par les deux conférenciers invités du Forum d’El Moudjahid, en l’occurrence Mohamed Bounaâma, professeur associé à la faculté des sciences humaines et sociales à l’Université Alger2, et Boukhalfa Amazit, journaliste et scénariste spécialisé dans l’histoire du Mouvement national et de la révolution de Novembre 1954. D’emblée, Mohamed Bounaâma insiste sur la nécessité de valoriser le patrimoine historique et de créer des passerelles entre les générations. Le Forum d’El Moudjahid en fait partie, indubitablement. Il a expliqué que le soulèvement populaire du 11 décembre n’avait rien de spontané, mais s’inscrit dans le sillage de longues décennies de résistance face aux exactions, au diktat colonial, aux six années de crimes et de répression contre le peuple algérien.
C’était aussi une preuve du sentiment nationaliste qui avait été réapproprié par le peuple. C’est ce sentiment et le ressentiment anticolonialisme qui ont scellé et valorisé le combat de l’ALN, consolidé la lutte politique et diplomatique, par le biais d’un raffermissement des liens et d’une synergie entre un peuple et un leadership révolutionnaire qui a constitué une nébuleuse qui a fait peur à la France coloniale et aux pieds-noirs. Bounaâma a mis l’accent sur l’importance de cette date historique qui a contribué au démantèlement de l’ordre colonial et mis en échec le projet cynique du général Charles de Gaulle qui a voulu créer une troisième force. Ce projet intitulé «Algérie algérienne» a deux approches : la première est destinée aux colons et aux pieds-noirs, la seconde approche est destinée aux Algériens. En vérité, le général voulait tout simplement instituer un système constitué de dirigeants inféodés à la France.
Le peuple a fait échec à la troisième voie, à une «Algérie algérienne», rejeté les plans de de Gaulle qui voulait les piéger comme les autres anciennes colonies françaises.
Le FLN, le GPRA et le peuple algérien ont flairé les vraies intentions qui étaient derrière ce projet et l’ont annihilé. Le conférencier a rappelé aussi que les manifestations sont une réponse à la visite de de Gaulle en Algérie, qui voulait démontrer à l’opinion publique internationale qu’il y avait un échec militaire et diplomatique du FLN et de l’ALN.
Il a rappelé qu’après la Seconde Guerre mondiale, la France s’est fortifiée avec l’appui des Alliés, s’est faite une certaine autorité, en oubliant les crimes odieux perpétrés contre le patrimoine et le peuple algériens. Le 11 décembre est un cumul d’évènements précédants, indiquant que pendant six ans, le peuple souffrait de politiques criminelles, de spoliations de sa richesse culturelle et matérielle, qui doivent être comprises comme une cause du déclenchement de ces manifestations. Le peuple qui a investi les rues a voulu proclamer sa volonté de vivre à l’ombre d’une Algérie indépendante.
C’était un message direct adressé à New York (ONU) qui abritait l’Assemblée générale des Nations unies, dans un élan solidaire avec les institutions qui le représentent à l’échelle internationale.
Les manifestations ont démontré que le peuple algérien était lié d’une manière indissociable avec les approches politiques et diplomatiques de la direction de la Révolution algérienne. Elles ont contribué à l’internationalisation de la cause nationale, a estimé Mohamed Bounaâma.
Pour Boukhalfa Amazit, le 11 décembre est plus qu’une date. C’est l’entrée en scène d’un acteur principal, en l’occurrence le peuple algérien. C’est en Algérie que la notion d’empire s’est écrasée et que la notion d’impérialisme avait fait faillite. L’élan populaire est venu à point nommé pour rappeler l’exigence essentielle du peuple algérien, celle de son droit à l’indépendance. Le conférencier a jugé que pour parler des manifestations du 11 décembre 1960, il faut faire le décodage des évènements qui se sont déroulés durant la révolution de 1954 et même avant. Ce qui s’était passé constitue un moment important qui marque la fin d’une forme de lutte (armée), et d’une nouvelle étape supérieure de lutte et de résistance. L’acteur fondamental de l’histoire est le peuple qui a fait irruption sur la scène. Il n’est plus l’élément mobilisé ou mobilisable, il avance en tant que peuple algérien. Il rappellera que la lutte de Libération ne se limite pas d’un point de vue conflictuel entre la France et l’Algérie, c’est un conflit universel qui a opposé un colonisé à des colonisateurs.
Cette révolution populaire s’est donné une envergure politique et internationale avec le Congrès de la Soummam du 20 Août 1956. On ne peut pas lutter contre l’Histoire, par contre, de Gaulle et la France avaient voulu lutter contre l’Histoire, a déclaré, Boukhalfa Amazit. L’implication du peuple algérien a affaibli la France militairement et diplomatiquement bien qu’elle fut une puissance internationale. Depuis le début de la lutte, le peuple a provoqué la chute d’un nombre important de gouvernements, de ministres, de 1954 jusqu’à l’arrivée du général au pouvoir, puis ce fut l’écroulement de la 4e République.
Hichem Hamza et Mohamed Bouraib

Echec à la troisième force
Jeune lycéen au lycée Okba actuellement, habitant de la Casbah ayant vécu les manifestations du 11 décembre 1960, Réda Amrani a indiqué que ces manifestations sont liées à la visite du général de Gaulle en Algérie avec son Premier ministre, qui considéraient que les maquis étaient maîtrisés et qu’il fallait, dès lors, constituer une «troisième force» pour sortir du face-à-face avec le FLN. Réda, qui avait 15 ans lors du déclenchement des manifestations qui ont commencé le 9 décembre 1960, a estimé que celles-ci ont fait avorter le projet colonial de de Gaulle. Il voulait créer une «troisième force» composée des harkis, de messalistes et administratifs pour contrarier les manifestants de Belcourt, La Casbah, et du Clos-Salembier (El Madania), entre autres, brandissant le drapeau algérien et le sandjak. Il a ajouté qu’ils ont commencé à manifester à partir de 10h30, criant «Algérie musulmane», «Abbas au pouvoir» et d’autres slogans qui revendiquaient l’indépendance totale de l’Algérie. Les forces françaises ont usé de violence, de répression et de mise à mort d’Algériens sans armes, soulignant qu’actuellement il y a un registre sur lequel sont portés les noms des manifestants qui ont été assassinés et enterrés au cimetière d’El Kettar. Il regrettera que les martyrs du 11 décembre 1960 soient peu évoqués, déplorant qu’aucune rue ou boulevard ne porte leurs noms de chahid de la cause.
H. H.

Lounis Ait Aoudia, Association des Amis  de la rampe Louni-Arezki
«Les femmes ont fait peur à la troisième puissance»
Lounis Aït Aoudia, responsable de l’Association des amis de la Rampe Louni-Arezki, a vécu les manifestations du 11 décembre 1960, rappelant qu’il a participé à ces événements qui n’étaient pas spontanés, et qui étaient une réaction au projet du général de Gaulle à l’effet de réprimer la révolution.
Les manifestations se sont déclenchées à partir du quartier de Belcourt pour s’étendre à travers le reste des quartiers tels qu’Al-Madania, le Ruisseau, Bab El-Oued… Lounis Aït Aoudia a témoigné que les femmes ont fait peur à la troisième puissance mondiale de l’époque.
H. H.

Archives
Plaidoyer pour une synergie d’efforts institutionnels
S’agissant de l’annonce de la ministre française concernant l’ouverture anticipée des archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police, en rapport avec la guerre d’Algérie, Boukhalfa Amazit a indiqué que ces archives ont déjà été ouvertes, depuis 1960, que ces documents contiennent énormément d’erreurs. Mais on a besoin de tout ce qui touche à la lutte de libération. Le Pr Bounaâma a, de son côté, plaidé pour une ouverture des archives et pour une synergie d’efforts institutionnels, pour une politique des archives nationales.
M. B.

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