Ahmed Laouedj, sénateur de la Seine-Saint-Denis, à El Moudjahid : «Je salue la position sage et raisonnable de l’Algérie»

Entretien réalisé par : Brahim Takheroubte

Le sénateur Ahmed Laouedj, membre du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen, vice-président de la commission affaires européennes et membre de la commission culture, éducation, communication et sport, est revenu, dans cet entretien, sur les tensions actuelles qui caractérisent les relations algéro-françaises.

El Moudjahid : À la tribune du Sénat, lors du débat sur l’accord franco-algérien de 1968, vous avez affirmé que les tensions actuelles entre la France et l’Algérie sont avant tout alimentées par des stratégies politiques à court terme. Voulez-vous dire que nous sommes face aux prémices de la bataille électorale de 2027 ?

Ahmed Laouedj : Il me semble important de souligner, tout d'abord, que la situation actuelle est fort regrettable. En effet, certains acteurs politiques s'efforcent d'exploiter ces tensions à des fins électoralistes, souvent à court terme. Dans un tel contexte, il est malheureusement plus aisé de se concentrer sur des divisions symboliques et de détourner l'attention de l'opinion publique des véritables enjeux de fond. Toutefois, ces stratégies comportent des risques considérables, car elles peuvent gravement nuire à des relations qui, bien qu'ayant une histoire complexe, offrent une potentielle coopération bénéfique.

Il y a un tel bashing médiatique qu’on a l’impression que tous les Algériens sont de potentiels terroristes, qu’ils sont tous sous OQTF et que l’Algérie, en parfait bouc émissaire, est la source de tous les malheurs de la France. Ne trouvez-vous pas cette situation grave et dangereuse de stigmatiser des millions d’Algéro-Français ?

Il est véritablement préoccupant de constater un tel bashing médiatique, qui, de manière injuste et réductrice, généralise l'ensemble de la population algérienne, qu'elle soit franco-algérienne ou résidente en France. Il est évident qu'une volonté menée par certains politiciens consiste à faire de l'Algérie un bouc émissaire.
Or, cette stratégie est critiquable, comme je l’ai précité, car elle ne fait qu'augmenter les tensions et détourner l'attention des véritables enjeux, en mettant de côté la richesse des liens historiques et multidimensionnels qui unissent nos deux pays. Il convient également de rappeler que les actions de quelques individus ne sauraient en aucun cas définir ou discréditer un peuple dans son ensemble.
La France et l'Algérie ont tout à gagner, en renforçant leur coopération, non sur la base de préjugés, mais à travers un dialogue sincère et respectueux. Stigmatiser des millions de personnes, qu’elles soient franco-algériennes ou résidentes algériennes, en raison de leur origine ou de leur statut, est non seulement injuste, mais aussi dangereux, car cela alimente des divisions profondes et menace la cohésion sociale, alors qu’il s’agit de membres pleinement intégrés à la société qui contribuent activement à de nombreux secteurs et excellent dans une pluralité de domaines, tels que la recherche, l'enseignement, la médecine ou la politique.

Le chantre de cette instrumentalisation est Bruno Retailleau, qui va même à contre-courant du Président Emmanuel Macron, pour en faire du «dossier Algérie» une affaire personnelle. Comment expliquez-vous cet acharnement ?

Il est manifeste que certains cherchent à polariser les relations avec l’Algérie pour des raisons essentiellement politiques, en exploitant un sentiment supra-nationaliste et de peur. Or, je trouve leur indifférence face aux conséquences à long terme, regrettable, sur nos relations diplomatiques et économiques, ainsi qu'aux répercussions sur la vie de millions de citoyens.

C’est quand même frappant de voir un ministre de l’Intérieur prendre en main la politique extérieure de la France. Dans ce charivari aux déclarations franchement bellicistes, on se demande qui décide en France ?

La politique étrangère doit rester la prérogative exclusive du président de la République, comme en dispose la Constitution de la Ve République. Quant aux relations extérieures, celles-ci doivent être gérées par le ministère des Affaires étrangères, à travers nos diplomates. Chaque ministre doit respecter les prérogatives qui lui sont conférées, pour mieux gérer son ministère et répondre aux attentes de nos concitoyens, au risque de créer confusion et instabilité, ce qui fragiliserait, de ce fait, la cohésion gouvernementale, ainsi que la crédibilité de la France à l’échelle internationale.

Retailleau tente de circonscrire la relation algéro-française à la question migratoire, aux OQTF et aux visas, mais convenez-vous qu’il n’y a pas que cela entre les deux pays ?

La question migratoire touche d’autres États, elle n’est pas propre à l'Algérie. Cependant, il convient de rappeler que nos deux pays partagent une histoire complexe, un présent riche et, surtout, un avenir à bâtir et à consolider ensemble. Les Algériens représentent l’une des plus importantes communautés établies en France, ils représentent un facteur humain majeur à prendre en compte. Au-delà des questions de visas et d’OQTF, il existe de nombreux points de convergence qui lient nos deux nations, notamment dans la coopération économique, la lutte contre le terrorisme, ainsi que dans les enjeux environnementaux. Or, je suis intimement convaincu, qu’un maintien de la vision globale de cette relation est primordial, mais également d’une promotion d’un partenariat fondé sur le principe du «gagnant-gagnant» entre deux États souverains.

Avec l’éventualité de l’arrivée aux affaires de l’extrême droite, la crise entre les deux pays est partie pour durer longtemps, car, en réalité, l’enjeu principal est la remise en cause de la relation entre les deux pays.

C’est effectivement un risque que nous devons prendre en compte. L’extrême droite en France a tendance à rejeter toute idée de coopération internationale, en particulier avec l’Algérie. Cette approche isolationniste et supra-nationaliste émanant des héritiers de l'OAS et des nostalgiques de l'Algérie française, farouchement opposée à tout rapprochement entre les deux pays, risquerait de créer de vives tensions au sein des communautés algériennes et franco-algériennes, qui se sentent persécutées. Il est donc considérablement important que les forces politiques responsables agissent pour apaiser la situation, et ne laissent pas la haine et les malentendus l’emporter, afin de ne pas détruire le vivre ensemble et de mettre en péril une relation stratégique pour la France.

Du côté algérien, on remarque que le gouvernement se garde de toute déclaration incendiaire. L’Algérie opte pour la retenue, garde une parfaite ligne directrice et plaide le droit international. Quelle lecture faites-vous de cette position ?

Je tiens à saluer l’adoption d’une position raisonnable et sage par l’Algérie, en privilégiant la voie de la diplomatie au regard des événements consécutifs. Plaider en faveur du droit international rappelle l'importance de fonder les relations internationales sur des principes de respect mutuel, de souveraineté et de coopération. L’Algérie montre ainsi sa volonté d’engager le dialogue avec notre pays et de désamorcer les tensions, ce qui me semble être la meilleure réponse face aux provocations.

B. T.

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