Ahmed Kateb, politologue : «Soutenir l'Algérie pour porter haut et fort les idéaux de justice»

Entretien réalisé par : Amel Saher

L’Algérie est candidate au poste de pays membre non permanent au sein du Conseil de sécurité pour la période 2024-2025. Plusieurs pays, organisations continentales et régionales ont déjà fait part de leur soutien à l’Algérie dans cette élection prévue le 6 juin. Un éclairage sur les enjeux géopolitiques de la candidature algérienne dans cet entretien accordé par Ahmed Kateb, politologue spécialiste des questions internationales, au journal El Moudjahid.

El Moudjahid : Quelles sont les cartes qui plaident en faveur de l’Algérie pour remporter ce siège ?

Ahmed Kateb : Déjà, la charte de l'Onu elle-même et son système d'organisation. Outre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, ce dernier inclut également dix autres membres non permanents. D'ailleurs, l'article 23 de la charte le stipule.
Donc, c'est l'Assemblée générale qui procède à l'élection des membres non permanents. L’article 142 du règlement intérieur de l’Asseæmblée générale dispose que celle-ci élit chaque année cinq membres non permanents au Conseil de sécurité, ce qui fait qu'en deux ans, il y a dix membres élus par l'AG de l'Onu. Selon la résolution 1991 A (XVIII) de décembre 1963, les continents africain et asiatique ont eu cinq sièges sur dix, les cinq autres sièges restants sont distribués entre l'Europe occidentale et orientale ainsi que l'Amérique latine. On le voit, du point de vue organique et réglementaire, l'Algérie dispose au moins de deux atouts : le géographique (pays africain) et le politique (contribution au maintien de la paix et de la sécurité).
Il y a également, et c'est très important, les principes défendus par l'Algérie dans les organisations internationales mondiales et régionales auxquelles elle appartient, des principes en totale concordance avec ceux des Nations unies : promotion de la paix, de la coexistence pacifique, la non ingérence dans les affaires intérieures des Etats et le multilatéralisme. Il ne faut pas oublier que ce n'est pas la première fois que notre pays occupe ce poste. Il y a les précédents de 1968-1969, 1988-1989 et 2004-2005. Lors de ces sessions, l'Algérie s'est brillamment acquittée de ses tâches et missions au sein du Conseil de sécurité, ce qui est un autre gage en sa faveur. Ce sont donc autant d'atouts qui plaident en effet pour l'accession de l'Algérie au Conseil de sécurité en qualité de membre non-permanent.

Comment comprendre le soutien affiché par l'UA, l'OCI et la Ligue des États arabes à la candidature de l’Algérie ?

C'est un soutien tout à fait naturel et normal. L'Algérie faisant partie de ces organisations régionales, il est tout à fait logique qu'elle puisse être soutenue par ces organisations. En février 2021 déjà, les travaux de la 38e session du Conseil exécutif de l'UA ont été clôturés par la validation de la candidature de l'Algérie au poste de membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU pour la période 2024-2025. De novembre 2022 à mai 2023, l'Algérie était présidente en exercice de la 31e session de la Ligue arabe, ce qui sous-entend qu'elle est un acteur clé dans la résolution des conflits et des problèmes que connaît le monde arabe. Concernant l'Organisation de la Coopération islamique (OCI), l'apport de l'Algérie est indéniable. Et puis, le groupe arabe ne pouvait pas se permettre le luxe de bloquer la candidature de l'Algérie pour sponsoriser une autre qui ne fait pas forcément l'unanimité. En définitive, ces trois organisations ne pouvaient que soutenir l'Algérie pour porter haut et fort leurs idéaux et leurs intérêts.

Certains observateurs estiment que ce soutien traduit le grand retour de l’Algérie sur la scène internationale et le succès de sa diplomatie en Afrique et au sein de la Ligue arabe. Partagez-vous cet avis ?

Tout à fait. Il y a effectivement une conjonction entre le retour dynamique de l'Algérie sur la scène internationale en tant que partenaire incontournable des puissances qui comptent aux niveaux régional et multilatéral, et sa candidature au siège de membre non permanent du Conseil de sécurité. Depuis l'élection du président de la République, Abdelmadjid Tebboune, la diplomatie algérienne s'est impliquée dans les dossiers libyen et palestinien, sans oublier le grand retour en Afrique. D'ailleurs, Alger a renoué avec les ballets diplomatiques lors de plusieurs visites de présidents africains, arabes et méditerranéens. Les questions du Sahel et du Sahara occidental sont redevenues des priorités de la diplomatie algérienne qui a brillé fin 2022 en organisant la réconciliation palestinienne quelques jours avant le sommet arabe d'Alger les 1er et 2 novembre. La crise en Ukraine a également mis en relief les atouts de l'Algérie sur les plans stratégique, politique et énergétique. Les dirigeants italiens, français et allemands ont fait le déplacement à Alger et ont mesuré le poids de l'Algérie et la constance de ses positions. Russes et Américains ne sont pas en reste. Désormais, l'Algérie est courtisée pour toutes ces considérations.

Ne pensez-vous pas que ce soutien conforte la demande de l’Algérie portant sur la réforme de l'ONU, avec comme point d'orgue l'attribution au continent africain d'un siège permanent au Conseil de sécurité ?

Effectivement, la réforme des Nations unies est une revendication des pays en développement depuis les années 1960. Il s'agit de remédier à une injustice historique institutionnalisée par les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. L'Algérie qui a fait de la réforme de l'Onu son cheval de bataille durant les années 1970, aura une occasion en tant que membre non permanent du Conseil de sécurité de plaider une réforme de cette institution afin d'attribuer un siège de membre permanent à un pays africain. Certes, il y a de nombreux prétendants, mais le plus important est d'arracher cette réforme et de doter l'Afrique d'un outil d'affirmation de puissance et de garant de ses intérêts face à des puissances qui ont historiquement contribué au pillage du continent africain.

A. S.

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