
Brahim Takheroubte
Dans une énième sortie empreinte de condescendance et de haine envers l'Algérie, le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, s’est offert une tribune sur BFM TV, le 19 janvier dernier. Il a une nouvelle fois déploré ce qu’il a qualifié d’«humiliation» infligée à la France par l’Algérie, après le refus de cette dernière d’accueillir l’influenceur Doualemn, expulsé de l’Hexagone.
«L’Algérie n’a pas respecté le droit international», en refusant l’accès sur son territoire à ce résident français. Retenons donc cette sentence savamment assénée : «L’Algérie ne respecte pas le droit international.» Rien que ça ! On aurait presque applaudi l’audace du locataire de Beauvau, si ce n’était si pathétique.
Car derrière la posture de fermeté de ce ministre, devenu le porte-flambeau de l’extrême droite française, se dessine une évidence : l’orateur se joue autant du peuple français que de ses propres contradictions. Mais puisque le droit international est invoqué, parlons-en !
Retailleau est-il à ce point amnésique pour oublier que la première violation flagrante du droit international est venue du Président français lui-même ? Il devrait d’abord balayer devant sa propre porte.
Dans un courrier adressé au roi du Maroc, Mohammed VI, le 30 juillet dernier, à l’occasion de l’anniversaire de son intronisation, il y a 25 ans, le Président français, Emmanuel Macron, a apporté son soutien au plan marocain pour le Sahara occidental. Or, depuis 1963, le Sahara occidental est inscrit sur la liste des territoires non autonomes établie par l’ONU. Une décision en flagrante violation du droit international et des centaines de résolutions adoptées par les Nations unies. Non seulement ce geste torpille les efforts diplomatiques internationaux visant à une résolution rapide du conflit au Sahara occidental, mais il menace aussi gravement la stabilité de toute la région d’Afrique du Nord. Dans un élan de «générosité», le Président Macron s’arroge le droit, d’un simple trait de plume, d’offrir un peuple et un territoire à un autre État, alors même que ce territoire est officiellement reconnu comme non autonome par l’ONU et l’ensemble des institutions internationales. Curieusement, M. Retailleau ne semble pas y discerner la moindre entorse au droit international. Éclairons davantage la lanterne de M. Retailleau. Toujours dans le dossier épineux du Sahara occidental, on note une seconde entorse flagrante au droit international. Dans cet alignement servile sur les positions marocaines, Emmanuel Macron a fièrement annoncé que les entreprises françaises «accompagneront le développement de ces territoires», via des investissements. Une admirable largesse, sauf qu’elle piétine allègrement les principes juridiques fondamentaux. Faut-il rappeler en effet que, quatre mois plus tard, soit le 4 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu trois arrêts historiques, invalidant les accords commerciaux entre l’UE et le Maroc, notamment dans les secteurs de la pêche et de l’agriculture. La Cour a fermement rappelé que le Maroc et le Sahara occidental sont des territoires distincts et que l’exploitation des ressources sahraouies sans le consentement de leur peuple est purement et simplement illégale.
Et quelle a été la réplique de la France à cette gifle juridique ? Silence radio. Pas une réaction, pas un mot. Le droit international ? Apparemment relégué au placard. La Cour de justice de l’Union européenne ? Visiblement ignorée. Quant à M. Retailleau, il ne semble toujours rien voir, rien entendre.
Loin de lui l’idée de s’inquiéter des flagrantes violations du droit international par son propre pays. Mais quand il s’agit de l’Algérie, soudainement, le voilà expert en jurisprudence internationale, brandissant le droit comme un bouclier moral. Quelle soudaine rigueur ! Pourtant, comme le dit si bien l’adage, on ne jette pas des pierres quand on vit dans une maison de verre.
Dans le contexte de fortes tensions, le ministre de l’Intérieur entend «remettre sur la table» l’accord de 1968 avec des termes d’un bellicisme inquiétant. «On est allé au bout du bout […] je suis favorable à des mesures fortes, car sans rapport de force, on n’y arrivera pas», a-t-il soutenu. Où s’arrêteront ces provocations ? Les accords de 1968, encadrant la mobilité des personnes entre l’Algérie et la France, ont été révisés à plusieurs reprises, prouvant que la possibilité de les renégocier existe bel et bien. Contrairement aux caricatures véhiculées par les médias d’extrême droite, l’Algérie n’a jamais été un partenaire réfractaire. Ces accords ont été signés entre deux États souverains, avec un respect mutuel des engagements pris. Pourtant, aujourd’hui, la France décide unilatéralement : «Nous allons remettre en cause les accords de 1968.»
Quand donc l’extrême droite française comprendra-t-elle que l’Algérie n’est plus un terrain d’exploitation ou d’expérimentations coloniales, mais une nation indépendante, souveraine dans ses choix politiques, économiques et diplomatiques ?
Croire qu’un ordre dicté par une extrême droite autoritaire se mettra en œuvre par la seule force de l’arrogance relève d’une illusion dangereuse.
M. Retailleau, vous vous trompez d’époque, et, surtout, vous vous trompez de pays.
B. T.