
Entretien réalisé par : Amar B.
En exclusivité pour El Moudjahid, Me Youcef Hammouda, président de la Chambre nationale de résolution des litiges (CNRL), est revenu dans le détail sur l’affaire «Rooney» qui est à l’origine d’une vive polémique entre le MC Alger et les deux instances du football national, la FAF et la LFP. Parti prenante dans ce litige, le président de la CNRL nous a éclairé dans le détail sur les tenants et les aboutissants de cette affaire, et lève le voile sur une erreur de procédure qui aurait évité au Mouloudia toutes ces tracasseries, et, au football national, une polémique dont il se serait passé volontiers. Éclairage.
El Moudjahid : L’affaire du joueur camerounais du MC Alger, Rooney, polarise l’actualité footballistique nationale depuis plusieurs jours. Une polémique est née du verdict que la chambre que vous présidez, la CNRL, a rendu récemment. Pouvez-vous nous faire un résumé exhaustif du contenu de ce dossier et nous citer les articles auxquels vous avez fait référence pour rendre votre verdict ?
Me Youcef Hammouda : Pour être clair, le Mouloudia d’Alger avait trois dossiers au niveau de la CNRL. Avant le cas Rooney, nous avons eu à traiter les dossiers de Toual et d’El-Ouartani.
Ces deux joueurs ont signé un contrat avec le Mouloudia qui stipule qu’en cas de litige, ils peuvent saisir la CNRL. Le Mouloudia a résilié le contrat de manière unilatérale. C’est là où réside l’erreur. Ce club n’avait pas à saisir la commission des litiges. Le MCA est l’employeur et le monsieur travaille chez vous. Vous l’avez licencié, vous n’avez qu’à lui payer ses indemnités.
C’est aussi simple que ça. Tout comme le TAS de Lausanne ou la commission des statuts des joueurs de la FIFA, le rôle de la CNRL est de recouvrer dans ses droits la partie à qui on a résilié le contrat de manière unilatérale. Ni plus ni moins.
Dans le cas de Toual et d’El-Ouartani, nous avons appliqué les dispositions de l’article 17 du règlement et statut des transferts des joueurs, lequel stipule clairement que dans tous les cas où un club résilie le contrat le liant à son joueur unilatéralement, il est condamné à payer une indemnité audit joueur jusqu’à la fin de son contrat.
À la CNRL, on s’est appuyé sur l’article 17 et la loi nationale 90-11 du code du travail et l’article 73-4 de cette loi pour rendre notre verdict que consiste à ce que le MCA leur verse des indemnités et non pas des salaires, pour résiliation de contrat sans juste cause, ceci pour être précis…
Qu’en est-il de l’affaire Rooney ?
Pour moi, l’affaire Ronney est très très très simple (sic). Franchement, elle ne mérite pas tout ce bruit. Il est vrai que le Mouloudia avait un document émanant de la fédération camerounaise sur demande de la FAF qui dit textuellement que la pièce présentée par le joueur initialement était fausse. Le Mouloudia s’est appuyé sur ce document pour résilier le contrat.
Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi venir saisir la CNRL, après coup. Le contrat est résilié, parce que vous êtes convaincus que le document est un faux, pourquoi saisir et la justice et la CNRL. Le document est un faux, et ils en sont convaincus. Pour démontrer que le document est faux ? Tout le monde le sait déjà !
Ils ont apparemment saisi la CNRL pour faire annuler sa licence…
Mais la CNRL n’a pas pour vocation d’annuler la licence d’un joueur. Le seul organe habilité à annuler la licence d’un joueur et la LFP.
Vous voulez dire qu’ils se sont trompés de procédure ?
Absolument. Je le redis, ils se sont trompés sur toute la ligne. Ils n’avaient pas à saisir la CNRL. Ils nous ont saisi pour qu’on prononce la résiliation du contrat. Mais, c’est le Mouloudia l’employeur ! Il travaille chez eux, et non à la CNRL !
Dans ce cas, ils auraient dû saisir la LFP...
Allez savoir… Ils avaient la loi de leur côté. Ils ont pourtant énuméré tous les textes, mais, au final, ils n’ont pas su faire valoir leurs droits. Ils se sont trompés de procédure.
Puisqu’il est clairement avéré que la fiche de joueur international de Rooney a été falsifiée, pourquoi alors sa licence n’a pas été annulée ?
C’est entre eux et la Ligue. La CNRL est un organe décisionnel indépendant. Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous n’avons pas pour vocation de résilier des contrats.
Le Mouloudia accuse les instances de «sabotage». C’est le mot qui a été employé en conférence de presse. Comment réagissez-vous à ces propos ?
Je ne représente ni la FAF ni la LFP. Comme je l’ai dit, on s’est retrouvés mêlés à cette affaire alors qu’on avait ni l’habilitation ni la vocation à traiter ces dossiers. La preuve, pourquoi ils n’ont pas saisi le TAS de Lausanne, la FIFA… Je leur ai dit, quand je les avais reçus, qu’il n’y a aucun texte de loi qui stipule que dans ce cas de litige, vous pouvez vous référez à la CNRL. Mais c’est une aberration !
Le direction du Mouloudia a mis en avant la responsabilité de la LFP dans cette affaire, sous prétexte qu’elle a validé le dossier de qualification de Rooney et lui a fait délivrer une licence sans avoir, au préalable, vérifié l’authenticité des pièces versées à son dossier. Selon vous, à quel degré la responsabilité de la Ligue est-elle engagée ?
Il faudra poser cette question à la Ligue. Comme je l’ai dit, je ne suis ni l’avocat de la FAF ni celui de la Ligue.Un jugement de justice pour faux et usage de faux va-t-il suffire, juridiquement parlant, au Mouloudia, pour défendre ses intérêts et faire valoir ses droits auprès de la commission des statuts des joueurs de la FIFA ?
S’ils n’avaient pas saisi la justice, on l’aurait pris en considération, pour la simple et bonne raison que ce document a été établi par une instance officielle, qui est la fédération camerounaise, et a été délivré au club par un canal officiel, c'est-à-dire la FAF. À la CNRL, nous avons pris ça en considération. On allait même rendre une décision en faveur du Mouloudia, qui stipulerait que Rooney devrait rembourser à son club employeur les salaires perçus depuis son recrutement à ce jour, mais quand ils ont déposé plainte, ils nous ont bloqués. Mais, au risque de me répéter, pour ce qui est de la résiliation du contrat, ceci n’est pas de nos prérogatives. À partir de là, nous avons décidé de surseoir à statuer jusqu’à solution du litige par le tribunal pénal compétent.
Si le verdict du tribunal confirme l’infraction du faux et usage de faux, l’affaire sera-t-elle alors recevable ?
Nous avons conclu dès le départ que l’affaire était recevable. Nous avons dit surseoir à statuer. C’est qui veut dire qu’on pourra rejuger l’affaire à notre niveau plus tard. Mais il faut que les gens comprennent que la CNRL n’est pas là pour résilier les contrats des joueurs ni leur réintégration.
Dans une conférence de presse, les dirigeants du MCA disent pourtant avoir invoqué les 108, 43, 44, 37 et 92. Selon vous, tous ces articles ne justifient pas l’annulation de la licence de Rooney...
Ce n’est pas un problème de lois ou de textes, mais de procédure. Pour moi, ils ont été peut-être mal conseillés. Je ne sais pas. Je suppose que la décision de la commission de discipline de la Ligue nationale de football qui stipulait, je cite : «La commission s’est déclarée incompétente renvoyer les parties la cause à mieux se pourvoir.» Je pense que cette phrase «à mieux se pouvoir» a été mal interprétée. Ils ont compris qu’il fallait déposer plainte. En le faisant, ils nous ont bloqués, parce que dans le droit, le pénal tient le civil en l’état. De manière générale, combien de dossiers en litige traite votre commission par semaine, et la crise sanitaire y est-elle pour quelque chose dans la recrudescence des affaires ou les clubs algériens sont tout simplement mauvais payeurs par nature ?
C’est vrai que la crise a influencé un petit peu. Mais la plupart des clubs, pour ne pas dire tous, ont des dossiers en litige à notre niveau.
À la CNRL, nous avons établi un barème conformément à la circulaire 1714 de la FIFA pour établir le pourcentage d’indemnités à percevoir.
Car il y a une différence entre un joueur qui touche 150.000 dinars et un autre qui touche 1 ou 2 million de dinars. Pour la première catégorie, le pourcentage d’indemnités a été fixé à 100%, alors que pour les autres, il est de l’ordre de 25%.
A. B.