Mus par la volonté de préserver et valoriser les produits du terroir algérien, des entrepreneurs passionnés s’engagent à retourner vers la terre et développer des projets dans l’agriculture. Samia Belaid et Bachir Bessai font partie de ces entrepreneurs qui voient dans le sol algérien bien plus qu’une ressource : un héritage à préserver et un avenir à cultiver.
Samia Belaid est dans la culture du paprika et Bachir Bessai dans l’oléiculture. Ils considèrent que ce retour à la terre comme est un «exode rural inversé». La raison : des pratiques ancestrales dénaturées par des méthodes approximatives. Pour eux, renouer avec ces pratiques anciennes, c’est refuser la standardisation qui menace les savoir-faire et replacer la qualité au centre de l’économie.
Un patrimoine culinaire à préserver
Dans la région d’Ath-Abbes, les femmes du village perpétuent un savoir-faire ancestral pour la transformation du piment rouge en poudre. Elles découpent les fruits mûrs, les essuient soigneusement, retirent le pédoncule et les graines, ouvrent les fruits pour les faire sécher ensuite aller au moulin les transformer en poudre.
Ce paprika, Samia le décrit comme étant «piquant au bout de langue et sucré au palais». Son nom, Ifelfel Ath-Abbès, à indice géographique, témoigne de son ancrage dans la tradition locale. Il est appelé dans la région Ifelfel Ath-Abbès mais également felfel mouz-h’lou, prononcé localement bouz-h’lou.
«La culture du paprika est un atout pour le développement local puisqu’il constitue, en plus de l’olivier, un complément de revenu familial, en particulier pour les femmes. Plusieurs familles cultivent ou achètent les piments rouges mûrs en fin d’été pour les faire sécher et ensuite aller au moulin les transformer en poudre. On rajoute du sel pour sa conservation. Les femmes le mettent dans des récipients opaques, à l’abri de l’air et la lumière», décrit Samia.
Ayant toujours vu sa mère préparer du paprika, Samia connaît par cœur la méthode, le goût et la couleur qui font l’identité de cette épice. Pourtant, lors de ses visites aux expositions, elle constate que l’appellation Ifelfel Ath-Abbès est apposée sur des produits qui ne reflètent pas fidèlement le patrimoine culinaire local.
«Le piment se raréfie et devient cher. Sa culture est remplacée par le poivron rouge car il est disponible et plus rentable. Mais celui-ci ne possède pas les bienfaits naturels du piment rouge, qui est antioxydant grâce à la capsaïcine, les flavonoïdes et les caroténoïdes, combat le vieillissement cellulaire et réduit les risques de maladies cardiovasculaires. Ce que je trouve dans les expositions n’a ni le gout ni la couleur du paprika. Le faire à base de poivrons le dénature et prive cette épice de ses bienfaits. J’ai donc constaté que ce patrimoine culinaire est menacé et qu’il fallait agir», affirme Samia.
Préserver la culture du piment d’Ath-Abbès, c’est valoriser le travail des femmes et protéger un savoir-faire transmis de génération en génération. C’est là que Samia décide de lancer une culture de paprika, selon les vraies méthodes, et de le certifier bio par l’organisme Biocert avant de le commercialiser.
En 2023 Samia, lance sa première culture dans le jardin de la maison familiale. La récolte est généreuse et le paprika d’Ath-Abbès retrouve ses lettres de noblesse. Cette année Samia a engagé un agriculteur afin d’agrandir le terrain. « Mon ambition a toujours été de certifier le paprika de Ath-Abbès comme étant un produits issu de l’agriculture biologique avant d’entamer sa commercialisation. La certification de l’organisme biocert exige que certaines conditions soient réspecter que j’ai veillée à réunir » souligne Samia. Les résultats de l’audit relèvent que le paprika de Samia répond aux normes internationales.
Samia souhaite rassembler les femmes du village d’Ath-Abbès autour d’un projet collectif de fabrication de paprika bio, dans le but de le valoriser et de le commercialiser. Son ambition est de renouer avec les bonnes pratiques traditionnelles, de préserver ce patrimoine localet d’offrir aux femmes de la région une opportunité de professionnalisation et d’autonomie économique.
L’or vert de Bordj Bou Arréridj
À Bordj Bou Arréridj, Bachir Bessai a repris un terrain familial abandonné, soigné des oliviers millénaires et relancé la production d’huile d’olive extra-vierge. Baptisée «Braza Olive», au nom d’une vallée à proximité du verger, cette huile a dépassé les frontières pour aller séduire le jury d’un prestigieux concours à Rome.
«Notre huile a remporté la médaille d’or lors de la 30e édition du concours BIOL, tenu à Rome. Ce concours de référence pour l’huile d’olive bioest organisé au sein du ministère italien de l’Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et des Forêts. La concurrence était rude. L’événement a réuni pour l’édition 2024 des huiles d’Italie, de Grèce, d’Espagne, de Tunisie, de Turquie, du Portugal, de Slovénie, du Chili…Nous nous sommes imposés comme une huile produite selon les standards internationaux mais ayant aussi des vertus médicinales», précise notre interlocuteur.
Bachir Bessai a mené une carrière dans le commerce extérieur. Ce retour à la terre, il l’explique par sa connaissance des atouts oléicoles de sa région qui possède ses propres variétés. Il donne l’exemple de l’huile BouchoukGuergour, une huile d’olive extra-vierge, caractérisée par des notes gustatives de tomate et d’herbe fraîche. Elle est issue de la variété d’olivier «Bouchouk», originaire de Guergour, dans la wilaya de Sétif.
Ce projet agricole remonte à 2011. Bachir Bessai revient sur cette terre abandonnée et pratique la taille de régénération et le traitement biologique sur les mille arbres centenaires. La première plantation débute en 2015. Aujourd’hui, 25 hectares sont exploités pour une production de 1500 litres. Et la production est en constante augmentation.
Bachir explique que pour faire une huile extra-vierge, il faut suivre des étapes rigoureuses. La cueillette des olives commence en octobre, avec les variétés précoces. Selon lui, si les olives arrivent à leur pleine maturité, la qualité de l’huile diminue. L’olive doit être pressée rapidement après la récolte.
La récolte se fait dans le respect des normes. Les olives ne doivent jamais toucher le sol, car elles absorbent facilement les odeurs. Une olive abîmée ou ouverte s’oxyde rapidement. Après la cueillette, elles sont soigneusement nettoyées afin d’éliminer les feuilles.
Bien que les feuilles d’olivier soient reconnues pour leurs bienfaits sur la santé, elles ne doivent pas être mélangées aux olives destinées à l’extraction. Une huile obtenue avec des feuilles se dégrade plus vite au contact de la lumière, explique l’oléicole.
Bachir fait en sorte que tous ces facteurs soient réunis pour «Braza Olive». Ces efforts ont payé puisque cette huile se distingue sur plusieurs aspects.
«Selon le Conseil oléicole international, une huile d’olive de qualité doit contenir au minimum 400 mg/kg de polyphénols. La nôtre en compte 560 mg/kg, un taux élevé qui témoigne de sa richesse en composés aux puissantes propriétés antioxydantes. Ce résultat est le fruit de plusieurs facteurs : la variété des olives, la période de récolte choisie avec soin, ainsi que le procédé d’extraction qui respecte les normes les plus exigeantes.»
Loin de faire du gain sa priorité, Bachir est sincèrement engagé à offrir au consommateur une huile de qualité. En 2024, la récolte a débuté au mois de novembre à cause d’une panne dans la presse. Les olives étaient donc en pleine maturité. Selon lui, le taux d’acidité du dernier lot était de 0.6%, ce qui signifie quel’huile d’olive est de très bonne qualité, car elle se situe en dessous de la limite maximale de 0.8% pour une huile d’olive extra-vierge.
«J’ai fait l’analyse physicochimique de l’huile qui sert à évaluer sa qualité, sa fraîcheur et sa composition en déterminant des paramètres clés comme l’acidité, l’indice de saponification, l’indice d’iode, l’indice de réfractionet la densité. Tout était aux nomes, mais je n’étais pas convaincu.Je me suis basésur mon analyse sensorielle et je l’ai dégradé d’une huile extre-vierge a une huile vierge», informe-t-il.
Samia et Bachir portent des initiatives, conjuguent savoir-faire ancestral et exigence moderne, prouvant qu’un patrimoine culinaire préservé peut aussi devenir une véritable force de développement local et d’ouverture sur l’international.
Lire aussi : Brahim Seddiki "Obtenir une certification bio ouvre la voie à l'exportation"