La cuisine algérienne traditionnelle plonge ses racines dans un passé très lointain et fut constituée en premier lieu de plats simples à base de légumes frais ou secs, de céréales avec l'apport épisodique d'un peu de volaille, de viande séchée et, pour les populations en bord de mer, de poisson. A partir de ces éléments, les femmes qui avaient «la main» mitonnaient sur leur kanoun des mets qui seraient qualifiés de nos jours de «gastronomiques» car ils laissaient aux aliments leur goût naturel, épices et plantes aromatiques ne servant qu'à en rehausser la saveur. Les grands courants de l'histoire, qui ont de tout temps favorisé la culture et les arts, dotèrent l'Algérie d'apports culinaires importants. Enfin le soleil, l'air, le sol et l'espace ajoutés aux gestes ancestraux des grands-mères lui donnèrent cette originalité, cette finesse si recherchée par l'hôte et ami reçu en Algérie. Elle se présente de nos jours comme une palette riche et variée et ne se limite pas au traditionnel couscous ou au méchoui. Mais il y a aussi les produits locaux qui apportent une note d’originalité et permettent d’apprécier la différence d’une région à l’autre. On pourrait, par exemple, imaginer un tour d’Algérie du couscous : celui de l’Algérois, riche et diversifié ; celui de la Kabylie, à la rudesse montagnarde, grand seigneur en sa simplicité ; celui du Sud, accompagné de dattes… Une de ces originalités consiste en la variété de préparations de légumes cuits ou crus, les apprêts délicieux d’abats et de pâtisseries. Parce qu'elle reflète assez la diversité des plats nationaux et régionaux du pays, la cuisine algérienne reflète en effet cette finesse, cette simplicité, ce charme qui, au delà de l'art culinaire, sont l'expression même de la culture de l'Algérie. Ici quelques éléments-clés du terroir :
Pâtes alimentaires traditionnelles, des succédanés du couscous
En Algérie, l’usage des pâtes alimentaires s’inscrit sur un double registre : pâtes du commerce pour tous les jours et celles de fabrication domestique pour les repas festifs. «Rogag», «trida», «chakhchoukha», «bouf’tat» désignent des pâtes cuites sur un ustensile métallique (m’ri) ou en terre placé sur un foyer, puis émiettés et arrosés d’une sauce à base de poulet ou d’agneau, oignons, pois chiches, garnie de navets ou de courgettes, le tout relevé diversement. «Rechta» (fil en iranien), «tarechta» (berbérisation de l’iranien), «tiftitin», «qatàe oua rmi» (couper et cuire) sont des variantes de nouilles utilisées toujours fraîches. Toutes ces spécialités ont de nombreuses variantes régionales, voire familiales. Elles jouent le rôle de succédanés du couscous qui reste l’aliment par excellence dans les fêtes du calendrier folklorique et religieux. Moins connues, ou en voie de disparition depuis la mécanisation, «f’daouche», «m’qatfa», «dwida» (littéral, vermicelle), «qahwa» (grain de café), «d’rihmet» (petites monnaies) également appelées «caryate» (petits carrés), ce qui nous fait ouvrir, ici, une petite parenthèse pour souligner que la forme carrée de ces monnaies nous renvoie à l’époque almohade. N’oublions pas de citer «maqarone berettork» ou «maqarone ibari» dont il reste à trouver les origines turques ou andalouses.
«Berkoukès», parmi les plats les plus anciens d’Algérie
Avec l'entrée en lice de l’hiver, un des plats les plus consommés en Algérie après le couscous se trouve être le «berkoukès» ou «petits plombs», un plat d'ailleurs très proche du couscous par sa base, sa préparation. En berbère «aberkukès» veut dire «faux couscous» tant il en est proche dans sa texture ainsi que dans sa préparation et ses recettes. «Berkoukès», «aïch» ou «abazine», ces grosses graines roulées à la main comme le couscous (en français petits plombs), est un plat rustique très ancien, du reste fort singulier. Naguère, il était roulé en été et devait sécher plusieurs jours avant d’être stocké sous forme de «âawla» (une sorte de réserve) pour les froides journées d’hiver. Aujourd’hui, on peut l’acheter tout prêt dans le commerce, qu’il soit roulé de manière artisanale ou industrielle. En particulier cette variété plus petite de berkoukès appelée «m'hamsa». Mais il n'empêche, certaines familles demeurent attachées aux traditions et préfèrent préparer ces petits plombs à la maison et les conserver comme jadis. Après les avoir passés à la vapeur, elles les étalent sur un linge propre sans les enduire de beurre, puis les laissent sécher plusieurs jours ou semaines, voire plusieurs mois. D'est en ouest, il existe plusieurs façons de préparer le berkoukès. Mais si dans la majorité des régions, ce plat se cuisine exclusivement en hiver, à l’ouest, il est souvent préparé pour la femme qui vient de mettre au monde un bébé : elle le consomme alors durant sept jours, pour reprendre des forces. On retrouve également cette habitude dans certaines villes du nord, notamment à Cherchell. Dans cette ville, on le prépare aussi avec la panse du mouton, «douara ghon'mi» qu’on offre à la mariée, la veille de la grande fête. Il se cuisine enfin au quotidien : sec, et/ou parfumé de graisse séchée. A Tlemcen, entre autres régions, on le prépare surtout pour le Mouloud et pour Yennayer (jour de l’an berbère). Pour cette dernière fête, il revêt la même symbolique que le couscous, c’est-à-dire que ses graines augurent d’une année de bonne récolte. Mais quelle que soit l’occasion ou la saison, ce plat riche et nourrissant compte autant de variantes que le couscous. Il y a d'ailleurs autant de recettes de berkoukès que de familles qui le préparent, comme son cousin le couscous. S’il faut faire un tour d’horizon et décrire les différentes variantes de ce plat traditionnel, il faudrait carrément, comme pour le couscous, faire le tour de l’Algérie. Cependant, on peut d'ores et déjà citer quelques variantes parmi les plus courantes telles le «berkoukes b'lahlib» (petits plombs au lait), «berkoukes bel khodra-aich» (petits plombs aux légumes), «berkoukes bel-loubiya el kahla» (petits plombs aux haricots blancs à l'œil noir), «berkoukes bel qaddid» (petits plombs à la viande séchée), etc. Pour tout dire, c’est à travers ses nombreuses variantes, perpétuées des siècles durant, que le berkoukès figure parmi les plats les plus anciens de l'Algérie d'aujourd'hui.
Kamel Bouslama