
Il va être question de l’aspect scientifique de la zakâte, si l’on peut s’exprimer ainsi. Pour ce qui est de l’aspect sémantique, le terme zakâte a une acception de purification. C’est d’ailleurs de là que l’on trouve le terme dérivé «tazkiyah», qui a donné l’expression «tazkiyat oun nafs», qui est la branche de l’effort religieux consacré à la purification de l’âme. Le Qour’aane, faisant allusion à une des missions dont le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a été investi affirme : «C’est Lui qui a envoyé à des gens sans Livre (les Arabes) un messager des leurs qui leur récite Ses versets, les purifie (youzakkîhim) et leur enseigne le Livre et la Sagesse, bien qu’ils étaient auparavant dans un égarement évident (…)» (Sourate 62 / Verset 2) La racine «zakkâh» est employée ici dans une forme dérivée pour faire allusion à la notion de purification spirituelle. Mais ce terme a également une autre acception littérale : C’est celle de la croissance. Dans le vocabulaire religieux, les juristes définissent la zakâte comme étant un impôt institué par Allah sur le musulman, lorsqu’il atteint un certain seuil de richesse. Il doit alors obligatoirement prélever un pourcentage de ses biens pour le distribuer aux personnes nécessiteuses. A partir de ces définitions littérale et religieuse, on peut déjà faire ressortir les trois aspects fondamentaux de la zakâte : – La zakâte possède avant tout une dimension rituelle et cultuelle. C’est une obligation instituée par Allah, comme la salât ou comme le hadj, à cette différence près que la prière est un acte rituel purement physique, alors que la zakâte est un acte d’adoration qui s’exprime par le biais des biens matériels. Cette dimension rituelle de la zakâte, on la perçoit bien dans les propos que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) avait tenus à Mouâdh (radhia Allâhou anhou) lorsqu’il l’avait envoyé au Yémen. Il lui avait alors dit : «Tu vas aller auprès d’un peuple faisant partie des Gens du Livre. Invite-les à attester qu’il n’y a de Dieu qu’Allah et que je suis le Messager d’Allah. S’ils t’obéissent sur ce point, alors fais leur savoir qu’Allah a rendu obligatoire sur eux cinq prières quotidiennement. S’ils t’obéissent sur ce point (aussi), alors informe-les qu’Allah leur a imposé une aumône qui sera prise de leurs riches pour être redistribuée à leurs pauvres (…)» (Rapporté par Mouslim, Ibn Khouzeïmah, Tirmdhi, Abou Dâoûd, Nasaï, Ibn Mâdjah, entre autres) – La seconde dimension de la zakâte, c’est sa dimension spirituelle. Elle a un rôle purificateur, et cette purification porte aussi bien sur les richesses elles-mêmes que sur la personne qui prélève la zakâte : en effet, celui qui s’acquitte de la zakâte exprime par son geste qu’il est en train de lutter contre l’attachement excessif aux biens matériels, et par là, il œuvre pour retirer de lui des maladies spirituelles infectes telles que l’avarice. C’est ce qui est évoqué dans le verset du Qour’aane qui dit : «Prélève de leurs biens une aumône (il s’agit, selon les commentateurs, de la zakâte) par laquelle tu les purifies et les bénis, et prie pour eux… » (Sourate 9 / Verset 103) – Enfin, la troisième dimension de la zakâte, c’est sa dimension sociale. Elle est une expression de la solidarité entre les hommes et en ce sens, elle permet de diminuer et d’apaiser les effets de la pauvreté dans la société. Elle a un donc rôle très important dans la cohésion de la société: En effet, les disparités qui existent dans le monde et qui ont toujours existé entre les différentes classes sociales est une réalité qui est conforme même à la Sagesse Divine. Cela peut paraître étonnant à première vue, mais c’est un fait que le Qour’aane même nous indique, en nous éclairant sur la sagesse qui y est dissimulée. Allah dit : «Est-ce eux qui distribuent la Miséricorde de Ton Seigneur ? C’est Nous qui avions réparti entre eux leur subsistance dans la vie présente et qui les avons élevés en grades les uns sur les autres, afin que les uns prennent les autres à leur service. La miséricorde de Ton Seigneur vaut mieux cependant que ce qu’ils amassent.» (Sourate 43 / Verset 32) Mais il faut aussi reconnaître qu’il y a parmi les gens démunis, de très nombreux individus qui ne peuvent tirer profit de ce lien de dépendance entre les riches et les pauvres: soit parce qu’ils ne sont pas en capacité de travailler et donc d’obtenir un salaire, soit parce qu’ils n’ont pu trouver d’emploi, soit parce que le salaire qu’ils obtiennent ne suffit pas pour subvenir à leurs besoins (ils sont, par exemple, endettés, ou ils ont des familles nombreuses …), et ainsi ces personnes se voient dépourvues de toute ressource matérielle. Et c’est là justement où nous nous retrouvons avec un risque de fracture sociale et de problèmes entre les différentes classes de la société, d’où l’extrême nécessité de la présence d’une aide et d’une assistance matérielle désintéressée de la part des personnes aisées en faveur des plus démunies…C’est en gardant cet état des choses à l’esprit que l’on peut comprendre pourquoi, dans tous les messages révélés avant l’islam, on retrouve cette injonction divine de l’aide matérielle aux nécessiteux. Ainsi, en faisant allusion à Ibrâhim (alayhi salâm), Ya’qoûb (alayhi salâm) et Ishâq (alayhi salâm), le Qour’aane dit : «Nous les fîmes des dirigeants qui guidaient par Notre ordre. Et Nous leur révélâmes de faire le bien, d’accomplir la prière et d’acquitter la zakat. Et ils étaient Nos adorateurs.» Au sujet de Ismâïl (alayhi salâm), le Qour’aane dit : «Et mentionne Ismaël dans le Livre. Il était fidèle à ses promesses; et c’était un messager et un prophète. Et il commandait à sa famille la prière et la zakât; et il était agréé auprès de son Seigneur.» Avec la venue de l’islam, cet état de fait va se confirmer et prendre encore plus d’ampleur… Ainsi, depuis très tôt, l’insistance est mise sur l’aide matérielle à apporter aux nécessiteux : En effet, si on regarde les premières parties du Qour’aane qui ont été révélées, on y trouve des versets très explicites et sans ambiguïté sur ce point. A titre d’exemple, on pourrait citer le passage de la Sourate «Al Mouddathir», qui compte parmi les premières révélations… Allah nous y décrit une discussion qui aura lieu le jour final entre les gens du Paradis et ceux qui seront conduits en Enfer : «(…) Sauf les gens de la droite (les élus) : dans des Jardins, ils s’interrogeront au sujet des criminels : «Qu’est-ce qui vous a acheminés à Saqar ?» Ils diront : «Nous n’étions pas de ceux qui faisaient la salat, et nous ne nourrissions pas le pauvre, et nous nous associions à ceux qui tenaient des conversations futiles, et nous traitions de mensonge le jour de la Rétribution, jusqu’à ce que nous vînt la vérité évidente [la mort].» (Sourate 74 / Versets 39 à 47) Le fait de n’avoir pas répondu au devoir de solidarité sociale sera un des facteurs de perdition… Mais, il y a encore plus grave…. Dans une autre Sourate révélée avant l’Hégire toujours, voici ce qu’Allah dit : «Quant à celui à qui on aura remis le Livre en sa main gauche, il dira : «Hélas pour moi ! J’aurai souhaité qu’on ne m’ait pas remis mon livre, et ne pas avoir connu mon compte… Hélas, comme j’aurais souhaité que [ma première mort] fût la définitive. Ma fortune ne m’a servi à rien. Mon autorité est anéantie et m’a quitté !» Bref, on voit bien là que la troisième dimension de la zakâte, la dimension sociale, est une dimension très importante.
Institution de la zakâte
A ce sujet, il est vrai que, généralement, on considère que l’obligation de la zakâte s’est faite après l’émigration du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) à Médine et l’établissement et l’organisation de la société musulmane, plus précisément en l’an 2 de l’Hégire. Mais à vrai dire, comme le font ressortir les commentateurs du Qour’aane, tel que Ibné Kathir par exemple, ce qui a été institué en l’an 2 de l’Hégire, ce sont les modalités pratiques de l’aumône obligatoire : C’est à dire le seuil d’imposition, le montant obligatoire, les personnes bénéficiaires… On trouve des versets révélés avant l’Hégire qui font mention de la nécessité de donner la zakâte. C’est le cas par exemple des premiers versets de la Sourate «An Naml», révélés à Makkah, où Allah dit : «Ta, Sin. Voici les versets du Coran et d’un Livre explicite, un guide et une bonne annonce aux croyants, qui accomplissent la salat, acquittent la zakat et croient avec certitude en l’au-delà.» Par la suite, à Madinah, lorsque la nouvelle cité-état sera en train de se constituer, les prescriptions précises seront révélées. Voilà donc brièvement pour l’aspect historique de ce devoir. La zakâte compte parmi les éléments que le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) a énumérés comme étant les piliers de l’islam. Et c’est aussi le devoir que l’on retrouve lié avec celui de l’accomplissement de la salât dans pas moins de 82 fois dans le Qour’aane, sans compter les innombrables hadiths allant dans le même sens. C’est pourquoi, pour le musulman, il n’est pas concevable d’établir une distinction entre la prière obligatoire et la zakâte. C’est justement ce qu’avait exprimé avec force et conviction Abou Bakr (radhia Allâhou anhou), lorsqu’après le départ du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) de ce monde, une tribu avait refusé de s’acquitter de la zakâte suivant la même méthode qu’elle le faisait à l’époque du Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam)… Abou Bakr avait alors affirmé avec force qu’il leur ferait la guerre à cause de ce refus, et qu’il ferait la guerre également à quiconque établirait une distinction entre la prière et la zakâte. C’était là une période cruciale, où le Califat en était à ses tous débuts, et pourtant Abou Bakr (radhia Allâhou anhou) était déjà prêt à aller mener bataille contre ces gens… C’est vous dire l’importance qu’avait la zakâte à ses yeux… Par ailleurs, l’un des meilleurs moyens pour se faire une idée et prendre conscience de l’importance de la zakâte, c’est de passer en revue quelques références énoncées à l’égard de ceux qui ne s’en acquittent pas. Le Prophète Mouhammad (sallallâhou alayhi wa sallam) évoque ceci dans un hadith rapporté par Abou Houreïra (radhia Allâhou anhou) : «Celui à qui Allah a donné des biens et qui ne s’est pas acquitté de la zakâte, ceux-ci prendront le jour final la forme d’un serpent extrêmement venimeux (littéralement: «serpent dégarni, avec deux taches noires»; cette description désigne un type de serpent très dangereux, au poison puissant), qu’on accrochera autour de son cou le jour final; puis ce serpent lui mordra les deux joues en disant : «Je suis ton bien; je suis ton trésor.» Puis le Prophète (sallallâhou alayhi wa sallam) récita le verset (…)» (Boukhâri et Mouslim) Les propos du Prophète Mouhammad trouvent confirmation dans le verset coranique suivant: «Que ceux qui gardent avec avarice ce qu’Allah leur donne par Sa grâce ne comptent point cela comme bon pour eux. Au contraire, c’est mauvais pour eux : au Jour de la Résurrection, on leur attachera autour du cou ce qu’ils ont gardé avec avarice. C’est Allah qui a l’héritage des cieux et de la terre. Et Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites.» (Sourate 3 / Verset 180) Ensuite, si, dans ce monde, les biens étaient source de protection et de bien être, dans l’Au delà, les choses seront tout autrement : Ils seront transformés en plaques ardentes qui serviront à marquer celui qui a fait preuve d’avarice. Allah évoque ce châtiment terrible quand Il dit : «Ô vous qui croyez ! A ceux qui thésaurisent l’or et l’argent et ne les dépensent pas dans le sentier d’Allah, annonce un châtiment douloureux, le jour où (ces trésors) seront portés à l’incandescence dans le feu de l’Enfer et qu’ils en seront cautérisés, front, flancs et dos : voici ce que vous avez thésaurisé pour vous-mêmes. Goûtez de ce que vous thésaurisiez.» (Sourate 9 / Versets 34 et 35) On retiendra également que, d’après certains hadiths, il ressort aussi que le châtiment du non acquittement de la zakâte, lorsqu’il prend une dimension globale, se fait ressentir dans ce monde même et touche l’ensemble de la société : Il se présente alors sous la forme de la sécheresse qui s’abat sur eux. (Sens d’un hadith rapporté par Ibn Mâdjah, Bayhaqui et Bazzâr) Après ce nécessaire rappel concernant les châtiments auxquels s’expose celui qui fait preuve de négligence à l’égard de la zakâte, voici à présent quelques aspects positifs liés à l’accomplissement de ce devoir. Tout d’abord, la zakâte a non seulement un rôle purificateur pour la personne, comme souligné précédemment, mais elle constitue également une purification pour les biens, et par là, elle devient un facteur de croissance pour la richesse, aussi paradoxal que cela puisse sembler… Cette croissance des biens purifiés par la zakâte se présente en fait sous la forme d’une bénédiction venant de la part d’Allah, la «Barakah»… Allah dit : «Tout ce que vous donnerez à usure pour augmenter vos biens au dépens des biens d’autrui ne les accroît pas auprès d’Allah, mais ce que vous donnez comme zakât, tout en cherchant la Face d’Allah (Sa satisfaction)… Ceux-là verront [leurs récompenses] multipliées.» (Sourate 30 / Verset 39) Dans notre contexte où le matérialisme domine et où, trop souvent, on a tendance à privilégier uniquement le concret et le visible, on se devrait de méditer longuement sur ce genre de versets. Autre effet positif de la zakâte : Elle contribue à amener la Miséricorde divine sur l’ensemble de notre communauté. On perçoit bien cela dans le verset suivant du Qour’aane : «Les croyants et les croyantes sont alliés les uns des autres. Ils commandent le convenable, interdisent le blâmable accomplissent la salât, acquittent la zakat et obéissent à Allah et à Son messager. Voilà ceux auxquels Allah fera miséricorde, car Allah est Puissant et Sage.» (Sourate 9 / Verset 71) Et il n’est pas difficile de comprendre le pourquoi de la chose… En s’acquittant de ses devoirs individuels et communautaires, on contribue naturellement à renforcer la cohésion de la société entière entre les classes : Et nul ne doute que la fraternité entre individus amène la bénédiction d’Allah sur l’ensemble de la communauté. Enfin, la zakâte permet de neutraliser les effets néfastes des biens. Les biens matériels ont une double dimension : ils renferment aussi bien le potentiel de servir pour les bonnes causes que pour les mauvaises.