La crise politique en France est si critique que les analystes s’accordent à affirmer que les éventuelles solutions pour y remédier sont, aujourd’hui, pires les unes que les autres.
Nomination d’un nouveau Premier ministre ; dissolution de l’Assemblée nationale ; ou démission du président Emmanuel Macron ? Aucune des trois options, les seules possibles constitutionnellement, ne prémunit la France — de nouveau sans Premier ministre et sans gouvernement depuis avant-hier — d’un surcroît de pourrissement, après près d’une année et demie de désordre institutionnel, de joutes partisanes stériles et de surenchères sans issue. Les indicateurs sociaux et économiques, quant à eux, n’ont cessé de se détériorer, aggravant les craintes dans le milieu du travail et du patronat, en mettant en berne la croissance (05% à la fin de l’année selon les prévisions).
L’impasse politique inspire par ailleurs de lourdes appréhensions sur les marchés financiers alors qu’au niveau européen ne se dissimule plus le malaise de voir « une locomotive » de l’UE tomber en panne au moment où s’accumulent les enjeux commerciaux, géopolitiques et sécuritaires face aux puissances russe, chinoise et américaine. Emmanuel Macron en est encore à payer les conséquences du coup de poker, décidément très mal inspiré, de dissoudre l’Assemblée nationale en juin 2024. Sauf qu’il le fait en transférant la surcharge électrique de la crise sur les fusibles de la primature. Le gouvernement du discret Sébastien Lecornu, désormais le plus éphémère de l’histoire de la France républicaine (14 heures) signe une retentissante limite à la démarche entreprise jusqu’ici pour contenir la situation d’ingouvernabilité qu’a installée l’élection d’un parlement sans majorité.
Les trois blocs dominants, le Nouveau Front Populaire (NFP), Ensemble (macronistes), et Rassemblement National (RN), élus au bout d’une campagne tendue qui s’est jouée sur la corde des tiraillements identitaires, les angoisses budgétaires et l’immigration, s’y neutralisent depuis juillet 2024. Le palliatif du « socle commun », constitué par l’Elysée pour contourner la fragmentation au Parlement sur les dossiers d’urgence, s’est également effiloché au fil de l’enlisement avec cette ultime implosion ayant précipité la chute précoce de Sébastien Lecornu.
Il y a lieu de noter également que depuis l’impasse qui a conduit au départ du gouvernement Bayrou (8 septembre), le mouvement syndical, à travers deux démonstrations d’exaspération sociale, les 18 septembre et 2 octobre derniers, s’est révélé comme un acteur avec lequel il faudra composer dans la conjoncture. Emmanuel Macron a demandé avant-hier au Premier ministre partant de tenter des négociations de la dernière chance, quelques heures à peine après avoir accepté sa démission. La démarche, très inhabituelle, démontre combien la situation est exceptionnellement dans l’aigu. Sébastien Lecornu a accepté de renouer contact avec les partis politiques, depuis hier, à la recherche d’un hypothétique consensus devant être trouvé au plus tard ce mercredi.
Le cas échéant, Macron déclare « prendre ses responsabilités ». Prononcé dans le contexte, les mots ne peuvent pas renvoyer à autre chose que la dissolution de l’Assemblée nationale, ou la démission du président avec annonce d’une présidentielle anticipée. Dominique de Villepin — ancien Premier ministre et l’une des rares voix restées lucides dans la grande cacophonie française — avertit qu’une nouvelle dissolution de l’Assemblée « serait certes la voie la plus démocratique, mais certainement la chronique d’une faillite annoncée, conduisant soit à un plus grand chaos encore, soit à l’aventure identitaire, sécuritaire et autoritaire ». L’homme fait ici référence au risque de voir l’extrême droite l’emporter.
Quant à la démission du président, De Villepin estime qu’elle aurait pu être « courageuse hier », mais qu’elle serait « piteuse » aujourd’hui, dans la mesure où elle ferait entrer le pays dans « une crise de régime ». Les négociations de sauvetage ont commencé hier avec une première défection déclarée du RN de Marine Le Pen, alors qu’à l’autre extrême, Jean-Luc Mélenchon, leader du mouvement LFI, appelle à l’ « examen immédiat » par l'Assemblée nationale d’une motion de destitution du président Emmanuel Macron. Sébastien Lecornu, dont le gouvernement n’a pas tenu une nuit, est concrètement chargé de sauver — pour les deux années qui restent du mandat présidentiel — la France du naufrage budgétaire, et peut-être l’avenir de la Ve République.
M. S.