
Entretien réalisé par : Kamélia Hadjib
Le chercheur et auteur d'ouvrages sur l'histoire, Amar Belkhodja, revient dans cet entretien sur le contenu de la plateforme du Congrès de la Soummam, le qualifiant de deuxième texte très important dans la poursuite et la conduite de la guerre de Libération nationale.
El Moudjahid : Quel a été le poids historique du Congrès de la Soummam sur le cours de la Révolution ?
Amar Belkhodja : Tous ceux qui ont étudié la plateforme issue du Congrès de la Soummam sont d’accord sur un point capital, à savoir que le texte élaboré constitue un texte fondamental dans la fondation de la République algérienne. Cela veut dire que parallèlement au combat armé, le texte met en place les idées de réinstauration et de construction d’un État. Avec la Déclaration du 1er Novembre 1954, la plateforme du Congrès de la Soummam constitue un deuxième texte très important dans la poursuite et la conduite de la guerre de Libération nationale.
Quels sont les axes les plus importants qui ont été définis dans cette plateforme ?
La plateforme a évoqué plusieurs points très importants. Le premier est la conduite ininterrompue du combat armé, c’est-à-dire qu’on met en avant la lutte armée, peu importe ce que cela va nous coûter en sacrifices humains. Cette décision a éte prise le 1er novembre 1954. Le peuple algérien va en payer le prix qu’il faut parce que les dirigeants du FLN savaient que la machine répressive allait être déclenchée sans pitié contre le peuple. La plateforme va, également, insister sur le renforcement des structures. De 1954 à 1956, le découpage consistait en six zones, mais après le Congrès de la Soummam, on est passé au système de wilayas, soit six wilayas avec à la tête de chacune un colonel, assisté de trois commandants dont chacun a sa mission. Cette structure se décline du sommet à la base, en wilayas, régions, secteurs et sous-secteurs. Pour ce qui est du côté politique, il y avait un commissaire politique au niveau de chaque structure, qui va s’adresser au peuple pour régler les problèmes de tous les jours. Le Congrès de la Soummam n’a rien négligé, un autre chapitre très important est celui de la mobilisation. Le programme de la plateforme du Congrès insiste sur la mobilisation du peuple. C’est-à-dire que toutes les catégories sociales et professionnelles doivent s’impliquer dans le combat, instituteurs, travailleurs, intellectuels… Ce qui est très important dans ce programme, c’est de sensibiliser les intellectuels français notamment mais aussi l’opinion mondiale et faire en sorte que le combat des Algériens soit connu à l’échelle internationale. Il s’agissait d’internationaliser la question algérienne pour gêner le politique français qui ne cessait de dire que c’était une affaire interne à la France et que l’Algérie était un département qui dépend de la France. On a su mobiliser les intellectuels français, certes pas dans leur majorité, mais quand même, nous avons gagné beaucoup de noms qui se sont ralliés à notre cause et qui ont dénoncé la torture. Les dirigeants c’est l’avant-garde, pour ne citer que Ben M’hidi, Abane Ramdane, Saâd Dahlab et Benyoucef Benkhedda.
La plate-forme a mis en place deux importantes structures, à savoir le Comité de coordination et d’exécution (CCE) et le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) que l’on peut assimiler à un parlement ou un comité central. Le CCE, composé de cinq membres, Abane Ramdane, Saâd Dahleb, Benyoucef Benkhedda, Larbi Ben M’hidi et Krim Belkacem. C’est l’organe d’exécution qui va être plus tard, en 1958, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Les deux aspects qui apparaissent dans cette plateforme c’est que nous avons averti les Français en premier lieu et l’opinion mondiale en deuxième lieu pour leur dire que le peuple algérien et ses dirigeants sont en train de mener une guerre contre le système colonial, pas contre le peuple français, pour leur dire que nous sommes un peuple qui agit pour défendre la paix. Deux précisions importantes ont été mises en avant, à savoir exclure l’aspect racial et l’aspect religieux de la guerre menée contre le colonialisme français.
En prenant connaissance du contenu de la plateforme du Congrès de la Soummam, comment a réagi la sphère révolutionnaire ?
Je dois dire que le discours politique contenu dans cette plateforme a été reçu avec beaucoup de tranquillité et ça a permis à une catégorie d’intellectuels français de se rallier à la cause algérienne. L’aspect diplomatique a été aussi très important, pour dire que la lucidité et l’intelligence de ceux qui ont conçu ce texte ont insisté sur une chose, à savoir que l’action diplomatique doit suivre la guerre et non pas l’inverse. C’est ce qui a gêné les Français, nous n’abandonnerons pas la lutte armée, mais nous continuerons aussi à utiliser l’arme diplomatique pour suivre l’aspect militaire. Ce document va être un trait d’union entre toutes les parties impliquées dans la guerre de Libération nationale, à l’intérieur ou à l’extérieur du pays. Ce qui est important c’est que la plateforme du Congrès est devenue un point de liaison entre toutes les parties, tout le monde était d’accord sur le contenu. Il n’y avait pas crise politique ni de contestation sur le contenu. Autre fait très important, le Comité d’exécution et de coordination était conduit de manière vraiment exemplaire avec une décision collégiale. Il a éte mis fin au «zaïmisme», autrement dit aux chefs, ce qui a sauvé le pays des crises politiques. Il y en a eu, mais elles n’étaient pas assez dangereuses pour menacer la conduite de la guerre. La collégialité a dominé toutes les décisions politiques connues depuis 1956 à 1962, et en cela, il faut souligner l’intelligence de ceux qui ont conçu avec perspicacité la plateforme du Congrès de la Soummam qui a duré du 20 août au 10 septembre 1956.
K. H.