
El Moudjahid : La récente réunion de niveau décisionnel s’est achevée par la prise d’engagements devant permettre de relancer l’accord d’Alger. Pensez-vous qu’ils seront tenus ?
Alpha Mahamane Cissé : Cette réunion a pu véritablement déboucher sur une décision forte, et on peut vraiment s’attendre à voir une évolution, parce qu’au sortir de la réunion, il y a une certaine volonté d’avancer. C’est l’ultime chance de déboucher sur de véritables engagements concrétisés sur le terrain. S’agissant des engagements pris, il y en a un qui retient l’attention des Maliens et des observateurs avertis. Il était très attendu, même s’il suscite des craintes. Cet engagement phare est la réintégration de 26.000 combattants dans l’armée régulière, dans les forces paramilitaires, dans l’administration et dans la vie sociale.
Pourquoi, selon vous, tout ce retard mis dans la mise en œuvre de l’accord, alors qu’il y a consensus sur le fait que le document signé en 2015 peut contribuer au retour de la paix et à la stabilisation du Mali ?
Ce retard est dû en partie à la situation du pays. Les anciennes autorités ont traîné le pas par rapport aux questions pratiques d’ordre constitutionnel. Je parle, par exemple de la mise en place des autorités intérimaires dans les régions. Ce sont des questions qui ont été gérées dans des réunions qui étaient organisées à l’extérieur et qui finalement ont été délocalisées à Bamako. Le CSA (Comité de suivi de l’accord) a permis une certaine inclusivité. Les scissions entre les groupes armés ont fait aussi que la mise en œuvre de l’accord tarde. Certains peuvent également dire qu’il n’y avait pas une volonté politique de faire appliquer l’accord en son temps, mais depuis l’arrivée des nouvelles autorités, notamment les autorités de transition, les engagements pris, contenus dans l’Accord d’Alger, font partie de ceux pris par la junte. Il va aussi sans dire que la brouille entre la Cedeao, la France et le Mali peut avoir un impact sur l’application de cet accord. Il y a aussi le fait qu’une bonne partie de l’opinion n’approuve pas l’accord dans sa totalité. Elle estime qu’une partie de l’accord devait être revisitée. Le Premier ministre a demandé une application intelligente de l’accord, ce qui a été aussi demandé par la conférence nationale du dialogue inclusif. La donne terroriste a aussi freiné son application. Ce qui est important c’est qu’aujourd’hui tous les acteurs sont conscients que le chemin pour la paix est irréversible. Je crois que, dans les jours à venir, ce retard sera comblé avec la reprise des sessions du CSA
L’annonce portant réintégration de 26.000 combattants sur deux ans est-elle suffisante pour restaurer la confiance entre le gouvernement et les groupes armés ?
En partie, cette réintégration suscite beaucoup d’espoir puisqu’un travail de terrain a été déjà effectué et ayant permis d’identifier les personnes à désarmer et les personnes à réintégrer. Cela va être un challenge énorme pour recruter autant de personnes dans l’armée. Une bonne partie de l’opinion estime que si on devait recruter 26.000 personnes d’un seul coup, cela aura des répercussions sur la stabilité, puisque ce sont quand même des anciens rebelles. Toujours est-il que la formule standard est celle choisie par le gouvernement. Et en raison des besoins du moment, les recrutements peuvent se faire. Je crois aussi que les groupes armés ont compris que la démarche du gouvernement, qui consiste à étaler cette réintégration de 26.000 personnes sur deux ans, est la meilleure.
Le Mali est aussi sur la voie du retour à l’ordre constitutionnel. Comment les Maliens voient-ils cette sortie de l’ornière ?
L’annonce des autorités de transition de travailler au retour de l’ordre constitutionnel était très attendue par les Maliens. Le fait qu’il y a un accord, et la fixation d’un délai de deux ans, permettront d’avancer. Depuis cette annonce, beaucoup de choses ont été adoptées. Je peux citer, les commissions mises en place pour la relecture de la Loi fondamentale, le vote de la loi électorale qui facilite l’organisation des élections, qui seront désormais confiées à un organe unique de gestion. C’est un début prometteur d’un retour à l’ordre constitutionnel.
Le Président Tebboune a annoncé la disponibilité de l’Algérie à organiser des rencontres pour faciliter la réconciliation inter- malienne. Quel est votre commentaire sur cette offre de médiation ?
Les propos du président algérien sont vus d’un bon œil. Si on se réfère au discours du Premier ministre malien, qui a commenté les déclarations du Président Tebboune, on peut dire que le Mali est disposé à recevoir le soutien de l’Algérie, qui n’a jamais fait défaut du reste. On espère que cela pourra se concrétiser pour que notre pays puisse retrouver sa stabilité. C’est tout le challenge.
N. K.