De Zeddine à Raïs Hamidou : Sur les chemins escarpés de Novembre

Par Hacène ARAB (*)

Pour comprendre, aujourd’hui, 70 ans après les faits, toute la portée du 1er Novembre 1954 en tant que moment de basculement révolutionnaire dans notre histoire contemporaine, il est nécessaire de revenir sur l’évolution du mouvement national et les phases cruciales qui ont ponctué le processus révolutionnaire, notamment après les effroyables massacres de Sétif, Guelma et Kherratta, le 8 mai 1945.

Massacres commis par la France coloniale, qui n’a pas hésité à déployer un dispositif militaire des plus impressionnants (aviation, bâtiments de guerre, artillerie lourde, légionnaires… ), face aux Algériens, qui ont pourtant exprimé pacifiquement leur aspiration à l’indépendance. En effet, au lendemain de cette tragédie vécue comme une véritable catastrophe nationale — une de plus, une de trop —, les militants du mouvement national (les indépendantistes du PPA/MTLD) ont pris conscience de l’inefficacité et de la caducité de la lutte politique. Tout un courant va ainsi se distinguer au sein du PPA par sa prédisposition à entreprendre une action directe, c’est-à-dire une lutte armée, comme seule alternative possible pour réaliser cette vieille aspiration de tout un peuple : l’Istiqlal.
L’option de l’action directe sera posée clairement, lors du Congrès du PPA/MTLD de 1947, par ceux que l’on appelle les «lourds» ou les partisans de la lutte armée, qui, grâce à leur force de persuasion, ont convaincu le congrès de la nécessité de mettre en place une organisation paramilitaire clandestine qui va servir de fer de lance au déclenchement de la Révolution : l’Organisation Spéciale, l’OS. Née le 18 février 1947, cette organisation paramilitaire sera structurée de façon effective à partir de novembre de la même année autour d’un état-major que coiffe l’infatigable Mohamed Belouizdad. Ce dernier, souffrant de tuberculose, cède sa place à Hocine Aït Ahmed, qui va inscrire l’action de cette organisation résolument dans la perspective de la lutte armée.
Car, désormais, l’alternative pour Aït Ahmed et ses camarades n’est plus de «se soumettre ou de se démettre», mais c’est «lutter ou cesser d’exister». Ce sera, justement, cette option qui sera défendue à partir du mois de mars 1948 par les militants de l’OS devant les responsables du parti appelé à appuyer clairement leur démarche révolutionnaire dans un contexte où l’OS ne cesse de se développer, en poursuivant activement le recrutement et les stages de formation. C’est ainsi que Hocine Aït Ahmed, en tant que chef d’état-major de l’OS, prépare un rapport destiné à préciser les objectifs et les moyens de les atteindre, pour le soumettre à l’appréciation des responsables du PPA/MTLD. Ce rapport sera discuté à Zeddine, vers la fin de l’année 1948.
Sur les contreforts du massif de l’Ouarsenis, dans une ferme au douar Zeddine, à Aïn Defla, se tient une session du comité central élargi du MTLD, en décembre 1948, dans un climat de vivacité et de fraternité. À l’ordre du jour de cette réunion de trois jours, ayant regroupé les plus hauts responsables du parti, à leur tête Messali Hadj, l’examen d’un rapport dont le chef de l’OS donne lecture. Il s’agit d’un rapport «d’orientation générale, d’analyse et de synthèse», qui est structuré autour de quatre parties, à savoir : exposé des formes que devrait prendre la lutte de Libération, analyse de la situation politique, en mettant l’accent sur l’impasse de la voie légale, présentation des objectifs et des mesures appropriées, pour accélérer la préparation de la Révolution et, enfin, l’établissement d’un calendrier. Après sa présentation, suivie de discussions, qui «furent libres, ferventes et sereines», le rapport fut adopté à l’unanimité dans «l’allégresse de l’unité des vues retrouvée, écrira plus tard le responsable de l’OS d’alors, nous carburons, nous avalons gloutonnement l’ordre du jour». Néanmoins, cette session du comité central élargi de Zeddine a été levée sans pour autant que l’ordre du jour soit entièrement épuisé, et ce à cause d’une alerte qui a obligé les camarades d’Aït Ahmed à effectuer un «repli stratégique».
Le point de l’ordre du jour qui n’a pas été abordé à Zeddine sera examiné quelques jours plus tard à Blida. Il porte essentiellement sur la redistribution des tâches dans le Bureau politique et sur la désignation éventuelle d’un Secrétaire général du parti, car il fallait, à l’époque, du point de vue même de certains responsables du MTLD, un «coordinateur énergique», pour faire appliquer les décisions de Zeddine, c’est-à-dire «préparer la Révolution». Ainsi, Hocine Lahouel est élu SG du parti. Et il va régler un problème de taille, celui de ce que l’on appelle les «hors-la-loi» ou les maquisards du parti. Il donne carte blanche à Aït Ahmed pour prendre en charge cette question.
À partir du mois de janvier 1949, tous les maquisards du parti vont rejoindre leurs affectations respectives : «Mostefa Benboulaïd amena, dans les Aurès, trois ou quatre militants, dont Krim Belkacem, mais la plupart des maquisards furent casés par Ben Bella en Oranie. Ils n’en revenaient pas de la chaleur hospitalière et des égards fraternels qu’ils rencontraient dans cette espèce de liberté retrouvée».

Le tournant de Zeddine

À partir de la réunion de Zeddine, il fallait consolider davantage l’Organisation spéciale, qui compte désormais entre mille et mille cinq cents militants. Grâce au dynamisme d’une équipe «rodée et soudée» qui compose sa direction, cette organisation clandestine va atteindre la phase ultime de sa structuration, néanmoins il lui manque l’essentiel : les armes.
L’état-major de l’OS doit faire face à de sérieuses difficultés justement pour de se doter de l’armement nécessaire à l’action qu’il comptait entreprendre. Parmi les difficultés, se pose alors la question de l’absence de financement qui entrave sérieusement le fonctionnement de l’Organisation spéciale dans la phase la plus importante de son existence. C’est dans ce moment précis que va surgir l’opportunité d’aller chercher le nerf de la guerre d’une façon spectaculaire, avec l’attaque de la Grande poste d’Oran le 05 avril 1949. Ce jour-là, un commando composé de six militants de l’OS va investir les locaux de cette poste pour mettre la main sur une somme d’argent qui dépasse les 3 millions de francs. Une somme qui sera utilisée, plus tard, pour acquérir quelques armes destinées au déclenchement de la lutte armée. L’attaque de la Grande poste d’Oran constitue l’une des actions d’éclat les plus importantes et les plus spectaculaires que l’on peut mettre à l’actif de l’OS durant toute son histoire, avant le fameux «complot» de 1950, son démantèlement et l’arrestation de ses principaux dirigeants, ainsi qu’une grande partie de ses militants. La vague de répression, qui va s’abattre sur les militants de l’OS, n’est pas sans conséquences sur l’action révolutionnaire qui connaitra un reflux certain. Le mouvement entre, en quelque, sorte dans une forme d’hibernation obligeant les militants ayant échappé à la répression à vivre dans la clandestinité. Le salut viendra, plus tard, de ces clandestins de l’OS qui vont réussir à se placer au dessus de la mêlée lorsque la crise éclate au grand jour au sein du parti, entre les partisans de Messali et ceux du comité central. Les clandestins de l’OS, en rupture avec les anciennes pratiques politiques des appareils traditionnels, optent pour une nouvelle démarche surpassant ainsi le conflit qui ronge le parti. Ils vont d’abord mettre en place le Comité révolutionnaire d’unité et d’action, avant de constituer un groupe chargé de préparer le déclenchement de la lutte armée lors de la réunion des 22.

Madrasset Errached/El-Madania : La démarcation

Le 23 Mars 1954, deux militants de l’OS, Mohamed Boudiaf et Mostefa Ben Boulaïd, ainsi que deux autres du comité central, Mohamed Dekhli et Ramdane Bouchebouba, se réunissent dans les locaux de Madrasset Errachad, près de la Casbah, à Alger, que chapeautait alors Sid-Ali Abdelhamid. Ils décident de mettre en place une organisation, dont l’objectif serait d’œuvrer pour ressouder les rangs du Parti et de préparer la lutte armée : le CRUA. Ce Comité, se voulant neutraliste, promeut l’idée selon laquelle l’unité ne peut-être envisagée en dehors de l’action. Néanmoins, il ne parviendra pas à ses fins, malgré la campagne de sensibilisation lancée sur les pages de son organe médiatique Le Patriote. Ce journal du CRUA va disparaitre après la publication de cinq numéros. Eu égard à l’affront subi par l’armée française à Dien Bien Phu, le 7 mai 1954, et ne tardant pas à s’apercevoir de l’échec inéluctable du CRUA, Boudiaf et Benboulaïd changent de tactique dans l’objectif d’agir immédiatement. Ils conviennent de se réunir avec d’autres militants activistes à El-Madania, (ex Clos-Salembier), chez le militant Lyes Derriche. Ils sont 22 militants à prendre part à cette réunion tenue le 24 juin 1954. Cette réunion, déterminante dans l’histoire de la lutte de Libération, constitue un tournant décisif dans la mesure où la décision de déclencher la guerre de Libération nationale est prise d’une façon effective et inéluctable. Pour ce faire, un comité de cinq militants est constitué pour superviser les préparatifs. Il s’agit de Mostefa Benboulaïd, de Mohamed Boudiaf, qui a d’ailleurs joué un rôle stratégique d’organisateur sur tout le territoire national, de Mohamed Larbi Ben M’Hidi, de Didouche Mourad et de Rabah Bitat. Ce comité deviendra le «Comité des six», avec le ralliement de Krim Belkacem. Et avec les trois militants du Caire, Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed et Mohamed Khider, la future Révolution algérienne trouve ainsi ses neufs chefs «historiques».
À partir de cette réunion des 22, les choses sérieuses commencent. C’est la course contre la montre pour, notamment, engager les hommes et réunir les moyens matériels avant le jour J.

Khraïssia/Draâ Ben Khadda, la préparation

L’été 1954 sera marqué par un intense travail de préparation, de formation et d’explication mené par le comité chargé de déclencher la Révolution. Le stage du 20 juillet 1954, à Khraïssia (ex-Cresia), reste un événement marquant dans l’histoire de la préparation du 1er Novembre 1954. En effet, ce stage de 3 jours, encadré par Benboulaïd dans la ferme de Bachir El-Hedjim, a été consacré à la confection des bombes et des grenades artisanales. La ferme El-Hedjim, sise sur un territoire à cheval entre Baba Hassan et Khraïssia, s’étale sur une superficie de 5 hectares. C’est un haut lieu de mémoire qui «rappelle le passé glorieux de la famille El-Hedjim, qui a contribué grandement au déclenchement de la Révolution». D’après un témoignage du militant Abdelkader Kouini, qui a pris part à ce stage, ont participé à cette rencontre : «Mostefa Benboulaïd, Didouche Mourad, Mohamed Larbi Ben M’Hidi, Rabah Bitat, Abdelhafid Boussouf, Souidani Boudjamaâ, Zoubir Bouadjadj, Hadj Ben Alla, Abdelkader Kouini, Othmane Beouizdad, Mohamed Merzougui, Kaci Abdellah Mokhtar, Kaci Abdellah Abderrahmane, Mustapha Zergaoui et un représentant de la Kabylie».
Après le stage de Khraïssia, un autre regroupement des maquisards du Djurdjura est organisé dans une ferme qui appartenait à Khelifati, dans la région de Draâ Ben Khadda (ex-Mirabeau). Il a été tenu en présence, notamment de Rabah Bitat. À propos de ce stage de Mirabeau, Ali Zamoum nous a confié, quelques mois avant son décès, qu’il a été marqué par la présence aussi de Kaci Abdellah Mokhtar et d’Abdelkrim Tidjani, un chimiste chargé de produire la nitroglycérine. Ce regroupement allait permettre aux participants d’apprendre les formules chimiques pour la fabrication de la poudre et de la dynamite, selon Ali Zamoum. Ce stage de Draâ Ben Khadda, faut-il le souligner, intervient aussi après la rencontre entre Krim Belkacem et Mostefa Ben Boulaïd au café El-Arich de la Casbah, après la réunion des 22. Rencontre qui consacre l’engagement de Krim aux cotés des 5 militants chargés de préparer la Révolution.
Avec le ralliement de Krim, les 6 décident d’accélérer la cadence des préparatifs. Plusieurs rencontres seront organisées à Alger, selon Mohamed Lebjaoui, pour passer en revue les différents scénarii avant le jour «J». Il s’agit, notamment, précise Lebjaoui, de la réunion tenue chez Larbi Zemmouri, à Birmandreis, celle qu’abrite la maison du traminot Mohammed Layachi, à Hydra, celles oroganisées au domicile de Zoubir Bouadjadj à la Colonne Voirol et d’autres.
Et il y a cette réunion de la rue Montpensier à la Casbah, où Boudiaf et ses cinq camarades examinent la configuration que devra prendre l’organisation sur laquelle ils comptaient construire le projet révolutionnaire. En revanche, les réunions les plus importantes qui couronnent le long processus de la préparation de la lutte armée demeurent celle du 10 octobre 1954, et notamment celle du 23 octobre de la même année.

Bab El-Oued/ Raïs Hamidou : Ultime étape avant le jour J

Le 10 octobre 1954, les six futurs responsables de la Révolution se retrouvent au café El Kamel, en face de l’actuelle salle Atlas à Bab El-Oued, avant de se rendre discrètement dans une maison privée située dans le même quartier, où ils seront pris en charge par le très dynamique Zoubir Bouadjadj.
Mohamed Boudiaf et Didouche Mourad sont chargés de rédiger un texte dans ce sens : ce sera le texte fondateur de la révolution algérienne : la Proclamation du 1er novembre 1954. Dans un article académique que nous avons consacré à la naissance de ce texte fondateur, avons souligné qu’«une fois rédigé et adopté par les six, il fallait assurer son tirage. C’était à ce moment là qu’Amar Ouamrane annonce à Krim Belkacem qu’il possédait une ronéo en Kabylie, mais que personne dans son entourage ne savait la faire fonctionner. Didouche Mourad s’était engagé à son tour à faire appel à un journaliste, Mohamed Laichaoui, qui s’était entraîné à la manipulation de cet équipement dans le cadre de son travail journalistique à Paris. Ainsi, ce dernier fut convoqué et confié à Ouamrane au marché des Halles de Belcourt, qui le conduisit à son tour à Tizi-Ouzou. Ensuite, Ali Zamoum, l’un des militants les plus actifs du comité d’Ighil Imoula, se chargea de l’accompagner à son tour au village pour procéder au tirage sur stencil de la Proclamation du premier novembre 1954. »
Au cours de cette rencontre, ils choisiront le sigle «FLN» pour Front de libération national, sous la bannière duquel devra être menée la guerre de Libération et, à coté de l’organisation politique, ils décident de créer une organisation militaire pour mener les offensives : l’ALN (Armée de Libération Nationale). Soucieux de garder le secret jusqu’à l’ultime minute du passage à l’acte, une fois le choix du 1er novembre choisi comme date du début de la révolution, les six préconisent que cette date soit gardée absolument secrète. A ce propos, certains chercheurs précisent que même «les adjoints ne devront le savoir que la veille et tous les autres quelques heures avant l’offensive.» Le choix des objectifs militaires et les autres cibles est laissé à l’appréciation des responsables de zones.
A la fin de cette réunion du 10 octobre, ils se fixent un ultime rendez-vous pour le 23 octobre 1954. À cette date, au domicile de Mourad Boukechoura à la Pointe Pescade, actuellement Rais Hamidou, Benboulaid, Krim, Bitat, Ben M’Hidi, Boudiaf et Didouche se réunissent pour la dernière fois. Ils approuvent la Proclamation du 1er Novembre, la création du FLN et de l’ALN et fixent définitivement la date du déclenchement avant de se répartir également les responsabilités en fonction des différentes zones d’opération, préalablement délimi-tées : Ben Boulaid, responsable de la Zone 1 (Aurès/Nememcha), Didouche, Zone 2 (Nord constantinois), Krim, Zone 3 (Kabylie), Bitat, Zone 4 (Algérois), Ben M’Hidi, Zone 5 (Oranie) et Boudiaf coordinateur entre l’intérieur et l’extérieur. L’extérieur sera pris en charge par une délégation composée de Ben Bella, Ait Ahmed et Khider qui ont accompagné la préparation de la révolution à travers des réunions tenues à Bern, en Suisse, durant l’été 1954.
Il y a lieu de souligner, comme nous l’avons déjà noté dans un article académique que nous avons dédié au 1er novembre publié sur la revue de l’Université d’Alger 2, Aleph, «qu’à la fin de la réunion des six, à la Pointe Pescade, et après avoir «posé» chez un photographe de la rue de Marne à Bab el Oued pour une photo souvenir, Mohamed Boudiaf quitta Alger pour se rendre au Caire, via Genève. Une fois en Suisse, Boudiaf avait adressé une lettre à partir de Berne aux membres de la future délégation du FLN, à l’extérieur, à savoir Ait Ahmed, Ben Bella et Khider. Cette lettre reste mémorable dans la mesure où elle constitue le premier document de la main de Mohamed Boudiaf qui mentionne la date du 1er novembre. D’ailleurs Boudiaf avait utilisé une formule typiquement algérienne pour annoncer l’événement à ses frères du Caire. Il avait écrit : «La circoncision aura lieu le 1er novembre à 1 heure (31 au soir)». Dans la même lettre, Boudiaf leur avait demandé de faire le nécessaire à la radio «La voix des arabes» pour la diffusion de l’appel : «Le mieux, écrivait-il, c’est de lire l’appel, sinon faites un appel vous-même en citant des passages du notre. Le lundi au soir sera le meilleur…».
D’après Mabrouk Belhocine, cette proclamation avait été traduite en arabe, ensuite elle a été lue par Ben Bella sur les ondes de Sawet el Arab.»
Ainsi, après cette réunion mémorable et après la photo souvenir, chaque responsable devait rejoindre sa zone pour organiser les troupes et définir les cibles.

Ichemoul, Batrouna : Lil Fida !

Mostefa Benboulaid qui va directement rejoindre ses compagnons dans l’Aures, d’après M’hamed Yousfi, ne va pas cesser de leur répéter, durant les derniers jours ayant précédé cette journée mémorable : «Redoublons de vigilance. La révolution armée n’est ni une petite affaire de quelques jours ni l’apanage de quelques uns, parce qu’elle appartient à tous. La révolution est le dernier bien qui reste au peuple pour survivre et se reconnaître dans l’honneur et la dignité.»
Ensuite, il a regroupé l’ensemble de ses compagnons pour peaufiner les préparatifs. Cette réunion qui a regroupé plus de 350 militants s’était déroulée dans le village d’Ichemoul du 27 au 31 octobre 1954, dans la maison familiale d’Ali Benchaib. Selon certains témoignages, treize groupes d’une douzaine d’hommes furent formés et ordre leur avait été donné de ne pas sortir sous quel que motif que ce soit. Un programme d’instruction était suivi durant cette réunion, comme il avait été également question de passer en revue les problèmes liés aux tactiques de combat, aux liaisons et aux renseignements. Les responsables de l’armement étaient alors chargés de récupérer les armes cachées dans un dépôt situé le long d’un oued non loin d’une mine. Et d’après certains acteurs de la révolution, les premiers dépôts d’armes furent placés sous surveillance continue, contrôlés par Benboulaid en personne de manière régulière. Ainsi, instruction était donnée, à partir de ce 27 octobre : «Chaque partisan devait disposer de son arme, se vêtir de son uniforme ou de la kachabia et suivre l’instruction.»
Krim Belkacem, quant à lui, va élire domicile dans une huilerie qui fait office de poste de commandement dans le village de Batrouna où deux réunions sont programmées avec l’ensemble des chefs de groupes. Ali Zamoum, qui avait vécu ce moment fatidique, raconte ainsi dans ses mémoires le déroulement de ces rencontres mémorables : «Je me souviens très bien des deux dernières réunions. Après avoir récapitulé l’état des préparatifs (revue des plans d’attaque, établissement des liaisons...) Krim nous dit que désormais nous allions nous vêtir d’uniformes et porter des galons. […] Krim nous expliqua que nous allions devoir fonctionner désormais comme une armée avec tous ses impératifs et ses signes extérieurs. »
Ainsi, le soir du 31 octobre 1954, chaque chef de zone informe ses troupes de l’heure H. Des attaques seront lancées simultanément un peu partout en Algérie, entre minuit et
1 heure du matin. Ce n’était pas l’étincelle de l’insurrection, mais le feu à la poudre qui va embraser la citadelle du colonialisme. C’est aussi toute l’Algérie qui se soulève pour déchirer le linceul d’infamie dans lequel la France prétendait enterrer les Algériens vivants. Les Algériens vont répondre à l’appel du FLN avec cette vieille devise chère à tous les militants indépendantistes : Lil Fida !

H. A. (*)
(Journaliste et universitaire)

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