
Propos recueillis par : Farid Bouyahia
Cherif Benhabiles, DG de la CNMA, plaide, dans cet entretien, sur la nécessité de promouvoir les solutions et produits lancés par la CNMA afin de répondre à des besoins spécifiques exprimés par les agriculteurs, les éleveurs et même les pêcheurs. Concernant les risques de catastrophes naturelles, il est devenu impératif, selon lui, de mettre en place un dispositif d’assurance dédié aux calamités agricoles. L'enjeu est de passer d’une situation où l’État viendrait en aide aux agriculteurs, à un système d’assurance efficace.
El Moudjahid : N’est-il pas temps de faire un état des lieux des assurances dans le secteur agricole ?
Cherif Benhabiles : Cet état des lieux, nous le faisons régulièrement, pour mesurer nos performances en matière de couverture en assurances agricoles. Malheureusement, force est de constater qu’un très faible taux d’à peine 3% à 4% des agriculteurs sont assurés, et ce malgré les potentialités existantes, à l’image du marché des assurances, en général.
Nos agriculteurs ont-ils une perception de l'assurance agricole et leur adhésion est-elle une vraie préoccupation ?
Il ne se passe pas une semaine où nous ne sommes pas sur le terrain, pour sensibiliser les agriculteurs à assurer leurs biens pour la pérennité de leurs revenus, et ce à travers tout notre réseau de 70 caisses régionales et plus de 550 bureaux locaux. À la CNMA, quand on parle d’adhésion, ce n’est pas seulement l’action de souscrire un contrat d’assurance, mais c’est carrément participer à la gestion de la caisse. En achetant une part sociale moyennant 2.000 DA, on devient sociétaire d’une caisse régionale et on peut même faire partie du conseil d’administration. Ceci pour rappeler la particularité de la CNMA qui n’est pas une compagnie d’assurances comme les autres, mais une mutuelle qui n’a aucun but lucratif, son objectif étant la satisfaction de ses sociétaires et clients.
Mis en place, en 1990, le Fonds de garantie contre les calamités agricoles (FGCA) n’est-il pas une offre adaptée aux attentes des agriculteurs ?
Pour vous répondre, il faudrait retourner au contexte de l’époque. Le FGCA avait pour mission de verser, à travers des actions urgentes, l’aide que l’État devait apporter aux agriculteurs, en cas d’événements non assurables. Sur le terrain et avec du recul, nous pouvons déclarer que ce système a marqué ses limites, du fait de la lourdeur administrative dans le traitement des dossiers d’indemnisation qui prenait beaucoup de temps, notamment entre la survenance de la calamité, la déclaration du sinistre, l’installation des différentes commissions, l’évaluation des dégâts et la perception de l’indemnisation. De ce fait, les pertes réelles engendrées par les calamités agricoles, notamment la sécheresse, étaient beaucoup plus importantes au vu de l’ampleur des dégâts occasionnés dans les exploitations agricoles, induisant des situations de faillite de certains agriculteurs. De plus, l’analyse des charges de couverture des calamités agricoles sur le budget de l'État et leur impact sur la stabilité de la production agricole posent la question cruciale de l’efficacité de ce dispositif de garantie.
Faut-il mettre en œuvre des innovations, surtout que notre pays est de plus en plus confronté à ces risques, comme cela a été le cas, ces dernières années, lors des incendies et autres catastrophes naturelles ?
En parlant d’innovation, la CNMA a créé, cette dernière décennie, plusieurs produits, pour répondre à des besoins spécifiques exprimés par les agriculteurs, éleveurs et même pêcheurs. Concernant les risques de catastrophes naturelles, il demeure plus que nécessaire, aujourd’hui, pour les pouvoirs publics, de mettre en place un dispositif d’assurance dédié aux calamités agricoles. La CNMA, étant leader des assurances agricoles en Algérie, cumulant un capital expérience non négligeable dans la gestion des calamités agricoles et un réseau dense, présent sur tout le territoire national, est la plus indiquée pour contribuer à la mise en place de ce dispositif, afin de proposer un moyen de soutien et de subvention aux assurances agricoles le plus efficace et adapté au monde agricole et rural. Il s’agit de passer d’une situation où l’État viendrait en aide aux agriculteurs, ayant subi des dommages causés par des risques de calamités agricoles, non assurables, selon les techniques d’assurance du moment, à un système d’assurance des calamités agricoles.
Y a-t-il des expériences dans d’autres pays qui pourraient servir de rampe de lancement à l’assurance agricole ?
Tout à fait. Beaucoup de pays exposés aux mêmes conditions climatiques que l’Algérie, dans le bassin méditerranéen, à l’instar de l’Espagne, montrent une forte implication de l’État. Autre exemple, la Turquie, où le système d’assurances contre les calamités agricoles est très performant. Ces modèles ont conduit à une plus grande responsabilisation des agriculteurs, qui sont passés d'une situation de dépendance vis-à-vis des aides et subventions en cas de calamités agricoles, à une situation d'acteurs responsables de choix économiques.
Quel rôle pour l’État dans le secteur de l’assurance agricole et comment peut-il intervenir ?
Nous ne pouvons plus continuer à compter que sur les indemnités de l’État. Il est grand temps de changer d’approche, avec l’implication des assureurs, et de passer de la logique d’assistanat à une logique économique. Il faut également proposer aux clients, le meilleur service à même de créer un climat de confiance avec l’ensemble des acteurs économiques. Ainsi, l’agriculteur bénéficierait d’une couverture contre les conséquences des calamités agricoles, en ne payant à son assureur qu’une petite partie de la prime, l’autre étant versée par les fonds de l’État directement à la société d’assurances.
F. B.