Assia Benchabla-Queiroz, directrice du GIE : «De nombreux obstacles entravent le paiement électronique en Algérie»

À l’ombre de l’accélération de la transformation numérique que connaît l’Algérie, le paiement électronique émerge comme l’un des piliers essentiels de l’économie numérique, en raison de la transparence, de la rapidité et de l’efficacité qu’il apporte aux transactions. Et bien que des avancées aient été réalisées depuis le lancement de la première carte bancaire en 2005, le secteur continue de faire face à des défis d’ordre technique, culturel et réglementaire.

Dans ce contexte, le site du journal El Moudjahid a réalisé cet entretien avec Mme Assia Benchabla-Queiroz, directrice du Groupement d’intérêt économique monétique (GIE Monétique), l’organisme chargé de l’organisation et du développement du système de paiement électronique en Algérie. Nous avons abordé avec elle la réalité de l’utilisation des moyens de paiement modernes, la coordination entre les acteurs, les questions de sécurité, ainsi que les projets futurs, dans une tentative de dresser un tableau global de la situation actuelle du secteur et de ses perspectives d’avenir

 

El Moudjahid : Comment évaluez-vous l’état actuel du recours au paiement électronique en Algérie ? Quels sont les indicateurs qui reflètent cette réalité en termes de nombre d’utilisateurs actifs, volume de transactions ou taux de croissance annuel ?

Assia Benchabla-Queiroz : Si on revient un peu en arrière, le paiement électronique en Algérie a commencé en 2005 avec le lancement de la carte CIB. C’était la première brique.Ensuite, pendant plusieurs années, on a constaté une évolution assez lente, avec peu de services nouveaux et une adoption encore limitée.C’est justement pour changer cette dynamique que le GIE Monétique a été créé en 2014, avec pour mission de structurer l’écosystème, de coordonner les acteurs et de réguler le système de paiement électronique.

À partir de là, on a vu les choses avancer : en 2016, on a lancé le paiement sur Internet.En 2020, on a franchi une étape importante avec l’interopérabilité entre la carte CIB et la carte Edahabia, ce qui a permis un vrai boom des transactions, notamment dans les commerces de proximité.En 2023, la carte sans contact a été introduite, rendant les paiements encore plus rapides et simples, surtout pour les petits montants.Et en 2025, le paiement mobile a vu le jour, basé sur les QR Codes. C’est une nouvelle génération de services, plus souple, plus accessible, qui répond aux besoins d’une population jeune et connectée.Aujourd’hui, on compte plus de 20 millions de cartes en circulation et environ 86 000 TPE installés à travers le territoire.Et surtout, la généralisation du paiement électronique dans le secteur public est presque achevée : paiement des impôts, des factures, des assurances, des taxes, des documents administratifs, inscriptions universitaires… pratiquement tous les grands services publics sont maintenant couverts.

Donc, même si le chemin a été progressif, on peut dire qu’une base solide est en place pour aller vers une adoption beaucoup plus large dans les années à venir.

À votre avis, quels sont les principaux défis qui empêchent la généralisation du paiement électronique en Algérie ?

Même si le paiement électronique a bien progressé ces dernières années, on voit encore plusieurs obstacles qui freinent sa généralisation.Le premier, c’est le manque de sensibilisation. Une grande partie de la population ne connaît pas bien les services disponibles ou n’en voit pas encore l’utilité au quotidien.Ensuite, il ya le facteur confiance. Beaucoup de gens ont encore des réticences à utiliser leur carte ou leur téléphone pour payer, par peur de se faire pirater ou simplement parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec les outils numériques.On a aussi des problèmes d’acceptation du côté des commerçants. Certains hésitent à s’équiper de TPEsoit parce qu’ils craignent des charges supplémentaires, soit par manque d’information ou de formation.

Sur le plan infrastructurel, il ya eu des progrèsmais, dans certaines zones, la connexion Internet est instable ou absente, ce qui rend le service difficile à utiliser.Et enfin, il y a le manque d’intégration du paiement électronique avec d’autres secteurs économiques. Si on veut que les gens utilisent plus ce type de paiement, il faut qu’ils puissent s’en servir partout : pour le transport, les services publics, les abonnements, les petits achats…

Donc, en résumé, les freins sont à la fois culturels, techniques, économiques et organisationnels. Il faut les traiter ensemble si on veut changer les habitudes durablement.

Comment évaluez-vous le niveau de coordination entre les différents acteurs de l’écosystème du paiement électronique ?

Franchement, la coordination entre les acteurs – que ce soit les banques, les opérateurs télécoms, les prestataires de services de paiement ou les institutions de régulation – s’est clairement améliorée ces dernières années.Et ça, c’est en grande partie grâce à la création du GIE Monétique, qui a justement été mis en place pour structurer l’écosystème, établir des règles communeset, surtout, créer de la synergie entre tous les intervenants.Avant ça, chacun travaillait un peu dans son coin, avec peu de visibilité sur les projets des autres.

Aujourd’hui, on a un cadre de concertation plus régulier, des groupes de travail communset une meilleure circulation de l’information.Mais il reste encore des efforts à faire. Par exemple, la coordination technique avance bien, mais il faudrait renforcer la vision stratégique partagée, surtout quand il s’agit de lancer de nouveaux services ou d’assurer l’interopérabilité entre tous les systèmes.Il faudrait aussi que les délais de mise en œuvre soient plus harmonisés entre les différents acteurspour que les projets aboutissent plus vite.

Donc, la base est là, mais pour aller plus loin, il faut encore plus de coopération, plus de transparenceet une vision commune plus affirmée, notamment pour accélérer la digitalisation du secteur financier dans son ensemble.

Quels sont les principaux problèmes de sécurité liés aux paiements mobiles sur le marché algérien ?

La sécurité, c’est vraiment la base. On ne peut parler de développement du paiement électronique sans parler de confiance, et cette confiance repose avant tout sur la sécurité.Dans ce sens, tous les acteurs du secteur ont travaillé ensemble pour renforcer la sécurité, en particulier sur les canaux distants comme le paiement en ligne ou le paiement mobile, où les risques sont plus élevés.

On a mis en place plusieurs couches de protection, des mécanismes d’authentification renforcée, des systèmes de surveillance des transactionset des alertes en cas de comportement suspect.Mais au-delà des aspects techniques, il y a aussi un cadre réglementaire qui s’est durci.

Les autorités(ASSI, ANPDP, Banque d’Algérie) nous demandent aujourd’hui plus de rigueur, avec de nouvelles exigences réglementaires sur la sécurité des systèmes de paiement et la protection des données personnelles.Tous les acteurs doivent s’y conformer, que ce soit les banques, les PSP, les opérateurs ou les commerçants.

C’est cette combinaison – action des acteurs sur le terrain et encadrement clair des autorités – qui nous permet aujourd’hui de bâtir un environnement de paiement plus sûr, plus fiableet plus rassurant pour l’utilisateur final. Mais la veille et la vigilance restent de mise au regard des menaces des innovations en matière de cyberattaques.

Quelle est la stratégie adoptée par la Banque d’Algérie pour développer les paiements électroniques ?

La Banque d’Algérie a clairement pris des mesures concrètes et structurantes pour faire avancer le paiement électronique dans notre pays.D’abord, elle a émis plusieurs règlements importants, notamment pour encadrer l’activité des prestataires de services de paiement (PSP), ce qui a permis de créer un cadre clair pour l’arrivée de nouveaux acteurs.Ensuite, il y a eu le règlement sur la banque digitale, qui ouvre la voie à une nouvelle génération d’établissements, entièrement numériques, plus souples et plus accessibles.

Un autre tournant important, c’est l’introduction du e-KYC, qui permet l’identification des clients à distance de façon sécurisée. C’est une avancée majeure pour faciliter l’accès aux services financiers, surtout dans les zones éloignées.

 

À cela s’ajoute la mise en place du Conseil national des paiements, qui regroupe les principaux acteurs du secteur autour de la Banque d’Algérie. Ce conseil joue un rôle de coordination, de réflexion stratégiqueet de suivi des grands chantiers.Et puis, il y a le projet de paiement instantané, qui est en cours de finalisation. Une fois déployé, ce système permettra des transferts d’argent en temps réel, H24, 7j/7, entre toutes les banques et PSP. C’est une vraie révolution en perspective pour les particuliers comme pour les entreprises.

Donc clairement, la Banque d’Algérie ne se limite pas à un rôle de supervision : elle s’est engagée activement pour structurer, moderniser et accélérer le développement du paiement électronique, avec une vision claire et des actions concrètes sur tous les fronts.

Comment la GIE Monétique contribue-t-elle à la sensibilisation des citoyens et des commerçants à l’importance et aux avantages de l’utilisation des e-paiements ?

La sensibilisationest un axe-clé dans la stratégie de développement du paiement électronique.En tant que GIE Monétique, on sait très bien que pour faire adopter ces solutions, il ne suffit pas que la technologie soit prête : il faut aussi accompagner les usagers.C’est pour ça qu’on mène des campagnes de communication continues, sur plusieurs fronts.

On passe par les médias traditionnels (TV, radio, affichage), par des actions de terrain (salons, foires, interventions en milieux universitaires), mais aussi, et surtout, par les canaux digitaux, qui sont devenus essentiels.On utilise les réseaux sociaux comme un véritable outil de communication permanente : on y publie des contenus pédagogiques, des démonstrations, des témoignages, des conseils de sécurité… tout cela pour créer une relation directe et continue avec le public.L’objectif, c’est de rassurer les citoyens, leur montrer que le paiement électronique est fiable, sécurisé, pratique, et que c’est une solution d’avenir.Côtécommerçants, on les accompagne aussi à travers des supports de formation, des kits de communicationet une présence sur terrain pour répondre à leurs besoins.

Enfin, chaque action est évaluée, on suit les retours et l’évolution des usages pour ajuster nos campagnes.Cette approche est menée en coordination avec les institutions, notamment l’Abef, dans une logique de transformation numérique et d’inclusion financière durable.

Quels sont les projets futurs pour élargir la gamme de services numériques disponibles via les téléphones mobiles ? Y a-t-il une tendance à intégrer de nouveaux services ?

Le paiement mobile est une brique importante dans la stratégie de modernisation des paiements.Il faut savoir que le paiement mobile interbancaire existait déjà, notamment à travers BaridiPay et l’application de la BNA, qui ont été les premières à proposer ce type de service.

Mais l’activité devrait prendre de l’ampleur depuis l’intégration des solutions des banques au Switch mobile, ce qui a permis l’interopérabilité entre les différentes solutions de paiement mobile.

Le lancement officiel du paiement mobile interbancaire s’est fait récemment, il y a quelques mois, avec sept banques pilotes. C’est une première phase structuréequi nous permet de poser les bases solides avant de généraliser le service à l’ensemble des banques, puis aux prestataires de services de paiement (PSP).Ce produit est donc encore récent, mais il est voué à s’élargir rapidement à tout l’écosystème.Et surtout, nous sommes déjà tournés vers l’avenir avec le paiement mobile NFC, qui permettra aux clients de payer simplement en approchant leur smartphone du TPE, sans contact.C’est une étape-clé pour améliorer l’expérience utilisateur, fluidifier les paiements en magasinet renforcer l’adoption du digital au quotidien.Parallèlement, d’autres services mobiles sont en cours de développement : paiement de factures, titres de transport, prestations administratives, toujours dans une logique d’inclusion financière et de numérisation des services de proximité.

Entretien réalisé par : Chahira Hadj Moussa

 

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