«Réunion des 22», le 24 juin 1954 à Clos-Salembier : Le conclave qui créa l’épopée

Les 22 historiques qui déclenchèrent la lutte armée.
Les 22 historiques qui déclenchèrent la lutte armée.


C’est la modeste villa des Derriche, à El-Madania (ex-Clos-Salembier), qui va constituer le cadre de cette rencontre historique. Noureddine Chabane, moudjahid, qui a été longtemps directeur du Centre culturel d’El-Madania, a recueilli les témoignages des uns et des autres, et en a fait un récit succinct.

«En ce 24 juin 1954, à Clos-Salembier, personne ne savait ce qui allait s'y passer. Les plus avisés des militants savaient seulement qu'une réunion des cadres Scouts allait se tenir quelque part dans le quartier. Il y en a eu tellement de réunions clandestines dans ce quartier que cela n'avait plus rien d'étonnant pour les autochtones. Quant au groupe restreint chargé de la sécurité, ils savaient que la réunion dont il était question était importante, sans plus. En ce qui concerne Liès Derriche, chez qui cette rencontre allait se tenir, il savait, quant à lui, qu'elle était «très importante» et qu'elle devait compter «25» personnes, et c'est parce qu'il devait les nourrir qu'il en connut le nombre ; quant à l'ordre du jour, comme tous les autres, Liès Derriche ne le sut que lorsque la réunion commença (selon ce que Liès Derriche lui-même a rapporté à l'auteur). L'exigence du cloisonnement voulant que la prévention soit mère de la sûreté, une réunion de coordination des responsables de la surveillance eut lieu chez Mohamed yeux bleus, à la Cité Nador, et en son domicile se sont regroupés pour examiner la situation : Debbih Chérif, Madani Saïd et Laala Abderrahmane.
Il y décide du comportement à tenir, et fixe des mots de passe. Il y fut évalué les armes disponibles qui avaient été sorties de leurs caches nettoyées, graissées et essayées dans la terre du jardin, pour s'assurer qu'elles fonctionnaient bien. Puis, ceux qui auront à assurer la sécurité du lieu de la réunion ont reçu les consignes de sécurité et les armes qui vont avec, pour, en cas de nécessité, défendre les invités qui seront là, et leur servir de bouclier jusqu'à les faire fuir en urgence. Tout cela avait été prévu ce soir-là au cours de cette réunion, dont tous les membres figureront parmi les premiers chouhada du combat de libération. Le père et la mère Derriche savaient que leur fils Liès allait recevoir des «chefs Scouts» qui allaient tenir une réunion ordinaire, comme il s'en tenait un peu partout dans tous les quartiers populaires, et que les invités seraient une trentaine, et Liès avait insisté auprès de la maîtresse de maison pour leur faire un bon couscous. Il avait d'ailleurs procédé lui-même aux achats nécessaires, sans oublier le petit lait, le dessert et la limonade.

Les «architectes de la Révolution»

Liès Derriche savait que les frères surveillaient sa maison 24h sur 24. Deux militants, habitant la même ruelle, se relayaient nuit et jour derrière des volets clos, pendant que d'autres patrouilles à deux ou trois, circulant par intermittence, à travers les rues environnantes, changeant d'itinéraires après chaque passage. Deux jours avant la réunion, les cinq du CRUA, Mostefa Ben Boulaïd, Mohamed Boudiaf, Didouche Mourad, Larbi Ben M'hidi et Rabah Bitat étaient arrivés les premiers, pour s'imprégner des lieux, et ainsi ensemble ils se répartirent les tâches et se préparèrent à l'accueil de leurs compagnons pour les présenter les uns aux autres. Et au matin du 25 juillet, un dimanche, à l'heure où à Clos-Salembier les femmes préparent le petit-déjeûner à leurs enfants, d'autres hommes arrivèrent encore successivement, marchant sur le sol de cette commune, donnant ainsi aux lieux et à l'instant une sacralité éternelle. Et Liès Derriche, en se souvenant de ces moments-là comme étant les plus beaux de sa vie, les rapportera en ces termes : «Puis la maison s'imprégna de la présence de tous ces hommes qui s'étaient succédé par groupes de deux à trois personnes, à quelques minutes d'intervalle entre chaque groupe, comme si quelqu'un posté au coin de la rue régulait leurs apparitions. Ils rallièrent la maison comme s'ils étaient tombés du ciel. Discrets et prompts, rapides et silencieux, ces hommes commencèrent à arriver à Clos- Salembier, sans que l'on sache par où ni comment, et parvinrent jusqu'au lieu du rendez-vous, sans que l'on sache qui les a guidés. Liès se souviendra avoir vu entrer successivement chez lui, après, les cinq organisateurs, Didouche, Ben M'hidi, Bitat, Boudiaf et Ben Boulaïd où se trouvaient déjà «Bentobal, Boussouf, Benaouda, Souidani et Bouchaib qui lui, avait été présenté par Didouche, puis tout s'est mélangé dans sa tête, et dans son esprit tous se ressemblaient, ne les connaissant pas, il ne savait plus «qui était qui».
Même les autres ne se connaissaient pas tous», avait souligné Liès Derriche, ému. A la fin de la rencontre, le groupe des ‘‘22’’ va désigner une direction composée des ‘‘Six’’ responsables de l'Organisation spéciale (OS) que sont : Mohamed Boudiaf, Mustapha Ben Boulaïd, Mourad Didouche, Larbi Ben M'hidi, Rabah Bitat, Belkacem Krim. Après cette rencontre des ‘‘22’’ à Clos-Salembier, il y en aura une autre en octobre, qui avalisera la création du FLN et fixera la date du déclenchement de la lutte armée au 1er Novembre 1954. Il y a lieu de souligner à la fin que le groupe des ‘‘21’’ deviendra le groupe des ‘‘22’’ après avoir associé le militant Liès Derriche, leur hôte qui était également ancien chef scout et membre de l'OS du Clos-Salembier.
Amel Zemouri

 

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