Double anniversaire du 24 février, 1971 nationalisation des hydrocarbures : L’ordre mondial bousculé

Une onde de choc  planétaire

Que s’est-il passé en ce jour du 24 février 1971, quand le baril de pétrole ne valait que 1,88 dollar ? Derrière le rideau sur le discours et la décision politiques, l’Algérie était venue bousculer l’ordre mondial dans la cour des grands, en posant un acte fondateur dans les relations internationales par la nationalisation de ses gisements de gaz et de pétrole.

Une révolution dans l’acception du terme. Le discours du Président Houari Boumediène allait résonner comme une onde de choc planétaire, avec des retentissements sur toutes les places fortes financières à New York, Tokyo ou Londres. Dans toutes les salles de rédaction du monde, c’est l’hystérie autour de l’évènement, vu comme «une aventure hasardeuse», considérant que nous n’étions pas au niveau requis pour gérer l’industrie pétrolière dont la haute technologie ne sera jamais à la portée d’un pays du tiers- monde. C’est dire que le défi était de taille. En cette année 1971, nous n’étions qu’à neuf ans du jour «J» de l’indépendance nationale en 1962. Dans l’hémisphère Nord, l’Algérie était quelquefois perçue tout au plus comme un trublion pétri de romantisme révolutionnaire, attaché, mais que verbalement, à la question de la souveraineté nationale.

Non à la souveraineté fictive !

Quid des observateurs et analystes des services de renseignement ou des chancelleries de cette époque pouvait anticiper, un tant soit peu, que l’Algérie allait avancer ses pions aussi audacieusement sur l’échiquier mondial ? En face de nous, il y avait les dinosaures pétroliers des pays industrialisés bien installés dans un confort bâti sur le lit de l’épouvantable expérience du Dr Mossadegh, Premier ministre iranien qui, en 1952, avait payé de sa vie pour avoir défié l’Anglo-Persian-OilCompany qui refusait de renégocier les accords de 1913.
Avant ce malheureux Premier ministre du Shah, traîné en justice et condamné à mort, l’unique expérience réussie fut celle du Mexique, le 18 mars 1938, quand le Président Lazaro Cardenas décida la nationalisation des ressources pétrolières de son pays, dans un climat chargé par l’approche de la Seconde Guerre mondiale. Les contours de la doctrine algérienne inaugurée le 24 février 1971 s’inspiraient des idées des pères fondateurs de la lutte pour la Libération nationale qui soutenaient, à travers le prisme de la Révolution de Novembre, que «sans notre contrôle des richesses nationales, notre souveraineté est fictive».
Les enjeux étaient lourds et la prise de risque capitale sur un double volet; malgré les assurances de Belaïd Abdesselam, ministre de l’Énergie, sur la fiabilité du personnel algérien et de Sid Ahmed Ghozali, l’entourage immédiat de Houari Boumediene était sur des charbons ardents. C’est que la maîtrise de l’extraction et du forage n’est pas simple. Les travaux pétroliers relèvent d’une technologie très pointue.

RDV à la caserne d’Ouargla

Le défi est alors lancé à une cadence d’une rare intensité. C’est le chef de secteur de la IVe Région Militaire de Ouargla qui convoque le personnel technique algérien de Hassi Messaoud, y compris les étudiants de l’IAP alignés au garde-à-vous dans la cour de la caserne pour l’hymne national. L’évènement, qui ne fut pas médiatisé, avait une haute portée symbolique. La gorge nouée, le colonel leur tint un discours à teneur militaire : «Djounoud du pétrole, vous allez mener une guerre d’un autre type. L’Algérie toute entière attend de vous la victoire. Vous avez tous retenu ce qu’ils disent de nous à l’étranger. Que nous ne sommes pas capables de relever le défi de la nationalisation que vient d’annoncer le Président Boumediène. Le peuple attend de vous que vous soyez à la hauteur de votre noble mission, de reprendre les rênes des ingénieurs et techniciens étrangers qui s’en vont dans l’espoir de vous voir abdiquer par incompétence. Saurez-vous relever le défi en étant engagés corps et âme dans cette bataille historique ?» Le discours a résonné dans les esprits et fut reçu 5/5. Il a retenti surtout dans le cœur de ces hommes qui ont pris la relève. Dans les rangs, il y avait Si Mohamed Brahimi, qui sera plus tard un homme connu dans le monde entier pour ses capacités à maîtriser les plus graves accidents et incendies des chantiers.
De même, le regretté Si Mohamed Fechkeur, qui a animé des équipes pour la formation de générations de pétroliers algériens de haut niveau, acharnés à la tâche avec un savoir-faire animé par une émotion sur fond de nationalisme. Ce défi réussi du 24 février allait ouvrir la voie à un immense projet initié par l’Algérie concernant une refonte structurelle des rapports internationaux sur la base d’un commerce équitable. Il s’agissait de repenser les prix des matières premières exportées vers les pays industrialisés. Ce fut le thème du Premier Sommet de l’OPEP tenu à Alger en mars 1975 et des Assises de la 38e Session des Nations unies présidée par l’Algérie. Le mot de la fin était : «Pas de paix et pas de sécurité internationale sans développement et participation équitables de nos pays au destin de l’Humanité».
Rachid Lourdjane

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