
Par Aomar Khennouf
‘‘Si vous ne dites pas la vérité sur vous-mêmes, vous ne pourrez pas la dire sur les autres’’, ainsi commence la préface de mon ami Mohamed Koursi. C’est une très belle préface qui introduit la lecture de ce très bel essai. Je pense aussi que cette citation résume l’objectivité de l’auteure et du préfacier. Une objectivité empreinte de lucidité, de sincérité et surtout de courage. Parce qu’il en faut du courage et de la hauteur pour se démarquer du ‘‘brouhaha des époques’’ et de la notre en particulier en ces moments, pour se remettre en cause et réexaminer ce qui nous a été inculqué, à tort ou à raison, dès notre enfance, nos premiers pas, nos premiers contact avec les autres. Ce que nous avons appris de nos plus proches, dans nos premiers environnements, de notre histoire très malmenée d’ailleurs, de nos traditions en tout genre, au sein de nos familles et dans nos premières classes. Pour se dire la vérité sur ce qu’Amin Malouf appelle ‘‘ces gènes de l’âme’’ ou les composants et les appartenances qui constituent et définissent l’identité, c’est 62 questions (si j’ai bien compté) que se pose Malika Challal, et qu’elle nous pose par à coup. L’identité, un mot, une notion dont la perception ne va jamais sans quelques charges émotionnelles et conflictuelles à la fois. Un mot qui ne peut pas ne pas provoquer la discorde tant il est devenu un fonds de commerce dont use et abuse des politiciens véreux sans mesurer l’étendue des dégâts qui peuvent en résulter. ‘‘Tout est culturel’’. Dès, l’incipit de cet essai, la culture prend tout son sens et sa dimension : Sans culture, peut-on comprendre, se comprendre et changer son regard sur soi-même et sur les autres ? Peut-on voir le beau et le meilleur chez les autres pour cesser de se prévaloir d’une quelconque supériorité ou se croire dépositaire de la terre autant que de la gloire. Quelle qu’elle soit, historique, ancestrale, voire préhistorique ? Il faut du détachement, un cœur dépassionné et un œil critique pour pouvoir le faire. Et Malika a ces qualités que le lecteur pourra aisément confirmer le long de cet essai et son long cheminement pour aborder cette question de l’identité. Un périple intérieur de 50 années, depuis son enfance, son adolescence, jusqu’à l’âge de la raison (je préfère toujours le terme raison à prise de conscience). L’illusion de l’identité est aussi une profonde réflexion sur un sujet épineux très souvent source de discorde, de controverse, d’accaparement et d’exclusion. Mais aussi de fierté (le mot revient sept fois dans le texte) et de haine (celui-là revient par contre vingt-cinq fois). J’ai lu et relu L’illusion de l’identité qui n’est ni une analyse politique, ni une étude sociologique, et qu’il n’a rien d’académique comme le précise l’auteure dans l’épilogue. C’est juste la somme de ses observations, de ses découvertes, de ses émois, de ses joies, de ses interrogations et aussi de ses exclamations devant certains constats. Ceci au fur et à mesure que son horizon s’élargit. Parce que sans élargir son horizon, sa vision, on ne peut comprendre les autres. Je n’ai jamais résumé un livre ou un roman pour laisser intact le plaisir de sa découverte pour ceux qui sont encore atteint, comme moi, par cette merveilleuse pathologie. Je dirais seulement que s’il y a des idées maîtresses qui ressortent, c’est bien la grande capacité et le courage de l’auteure de se remettre en cause, à chacune de ses haltes, en regardant autrement les autres. Le lecteur comprendra aussi la nécessité de sortir des sentiers battus, des formes monolithiques de la pensée et des formes d’embrigadement quelles qu’elles soient. D’essence ethnique, religieuse ou idéologique, cela importe peu. Le lecteur averti comprendra aussi qu’il est difficile de répondre aux dernières interrogations de Malika Challal : ‘‘Mais comment expliquer tout cela à des gens qui ne réfléchissent pas ? Qui n’ont aucune empathie envers les autres ? Qui ne veulent rien partager ?’’. Les réponses sont en soi, tout un programme. Est-ce si difficile d’essayer de comprendre lorsqu’il est plus facile de juger sur les apparences, sur les appartenances ou simplement sur les origines ?’’. C’est tellement vrai devant notre propension à juger au lieu d’essayer de comprendre et c’est tellement vrai que seule une bonne instruction pour nos enfants, une éducation basée sur le respect, et le développement de l’esprit critique, peut nous laisser espérer un monde meilleur.