Un jour, un livre : Hedia Bensahli, orages

Par Aomar Khennouf

«Orages» est écrit avec une plume tellement belle, truffée de belles tournures, de descriptions si détaillées et si soignées que le lecteur est projeté sur les scènes du roman et dans la peau des personnages. «Très» est un superlatif qui n’est pas du tout exagéré ni complaisant. Je dois faire un aveu avant d’aller plus loin. Le récit est tellement beau que l’élève que j’ai été, il y a longtemps et qui alignait des zéros à ses devoirs et compos de français s’est senti mal à l’aise de parler ou d’écrire à propos de celle qui possède cet art digne des plus grands romanciers de toutes les époques. Sa parfaite maîtrise de la langue de Molière m’a laissé admiratif. C’est une véritable leçon de choses. Ceci dit, revenons à «Orages», le premier roman de Hedia Bensahli. On ne saura jamais le prénom de la narratrice, comme si l’écrivaine voulait qu’elle représente toutes les femmes victimes de l’ordre établi. Pour être osé, «Orages» l’est incontestablement. Dans un langage franc, direct et d’une liberté totale, il dépeint les rapports H/F dans une société à redéfinir, à repenser. Le roman de Hedia Bensahli est volcanique, comme l’a qualifié à juste titre un critique littéraire. Il est véhément et sans concession pour dénoncer la primitivité chronique de certains hommes et de certaines femmes aussi qui sont les premières ennemies d’elles-mêmes. Ce roman, en filigrane, exhorte les hommes à se sentir concernés par ce qui perturbe leur double féminin et qui les empêche de vivre pleinement. «Orages» est à la hauteur de l’absurde qu’il démontre et à la hauteur de la violence que subissent les femmes sous toutes leurs formes : verbale, corporelle, condescendante, méprisante, lui déniant les droits les plus fondamentaux et les plus élémentaires. Il ne lui accorde qu’un seul droit : celui de la fermer, comme l’écrit la romancière dès le début. Ce n’est pas un roman contre les hommes, loin de là. C’est un cri de colère contre la résignation de certaines femmes devant la chosification de leur être. «Orages» est le récit de cette colère sourde, profonde, qui dévore de l’intérieur. «J’ai mal d’avoir à me construire dans ce carcan qui m’enchaîne à la potence de l’assujettissement»,s’insurge le personnage narrateur tant l’orage gronde constamment dans son ventre et dans sa tête. La parole libératrice a un effet cathartique même si, parfois, elle est éruptive. Le texte est déroutant. Il l’est encore plus à l’entame du 2e chapitre. Le sort des femmes, sous plusieurs facettes est raconté sans fausse pudeur. L’auteur ne mâche pas ses mots. Elle appelle un chat un chat, qu’il soit blanc ou noir. Tous les visages de la femme et de l’homme sont décortiqués au ‘’scalpel’’, en taillant profondément sous la peau et le vécu de ses personnages, les déconstruisant avec minutie et avec la force du détail. Sans résumer le roman, j’ai suivi les tribulations de l’héroïne sans nom. Depuis le cocon familial au gynécée des cités universitaires, l’antre des hétérodoxes, des conformistes, des marginales, des grégaires, des nonnes, des libertaires et des ‘’intellos libérées’’, les tchitchis amatrices de bling bling. Et puis moi, homme bien campé sur mes jambes, j’ai failli écrire trois, j’ai lu la première fois «Orages» avec un parapluie sur la tête, craignant d’être arrosé par ses ondées. Je l’ai relu une deuxième fois avec un peu de détachement. Et enfin de l’ai rerelu en accordant une attention particulière aux hommes de l’héroïne anonyme. Il y a d’abord un oncle agacé et impatient. Qui s’énerve à cause de l’entêtement d’une fillette de trois ans. Je me suis dit que d’autres n’auraient peut-être pas hésité à lui coller la baffe qui remet dans le droit chemin sur le coup et qui laisse une blessure chronique dans l’âme de l’enfant par la suite. J’ai trouvé que cet homme est, malgré son apparente impatience, très patient. Ensuite il y’a Beba, le patriarche, et les patriarches sont des patriarches, il y a rien à dire ni à redire. Passons à Djamel qui ne se sent pas coupable d’un péché commis avec la narratrice. Pourtant, tous les deux perdent quelque chose : l’innocence. Mais il n’y a que la fille qui perd définitivement autre chose. Après Djamel, c’est Malek, un amoureux dans l’air du temps, mais au fond, ce n’est qu’un faux jeton et un lâche qui n’assume pas son sentiment. Entre en scène ensuite Amer et ses grands airs et sa merguez. Une merguez qui ne veut pas être médaille d’argent. Parce que c’est sur ce podium qu’est le corps de la femme, les hommes veulent toujours être sur la plus haute marche. Au passage, il y a le père qui n’est pas jaloux du corps de sa femme qui aime la plage. Un père qui nage à contre-courant dans une société aux réflexes formatés. Une société qui aspire à la modernité sans épousseter les archaïsmes qui lui collent à la peau. Il ne manquera pas, au tableau des hommes de la narratrice, le spécimen le plus répandu : le kahl erras qui excelle dans ‘’l’art de conjecturer dans le vide’’. Un spécimen largement répandu au point que nous pouvons en exporter des cales entières de bateau sans provoquer de pénuries. Et pour clôturer le panorama de ces ‘’paysages humains’’, il y a le modèle typique de la pathologie qui donne beaucoup de fierté à celui qui en est atteint : Le séducteur pervers et narcissique. Le genre qui a fait le plus de mal à la narratrice et sa crédulité. Par contre, il y a un homme que je laisse le soin aux lecteurs de découvrir. Un homme qui paye sans avoir commis la moindre faute, le moindre péché, le moindre crime. Il paye et payera sa vie durant ce que d’autres ont commis. Comme il y a dans ce roman des hommes, pas uniquement chez nous, mais dans des sociétés qui se croient civilisées et que l’on croit émancipés, évolués, libres mais qui ont des gènes afghans. Des hommes si fiers de se sentir supérieurs aux autres. En pliant le livre, je me réjouis qu’il existe encore des hommes véritables, authentiques, tel le père de la narratrice. Comme cet oncle qui n’a pas corrigé sa nièce et comme ce médecin psychologue. Je me réjouis que ces hommes existent autant qu’il existe des femmes véritables, authentiques, courageuses.

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