Le Festival du film d’Alger a donné le coup d’envoi de sa 12e édition avec la projection du film muet Ghetassou Essahra (Les plongeurs du désert) de Tahar Hannache. Réalisé en 1952, il est reconnu comme la première œuvre de fiction algérienne.
Cette séance inaugurale, accompagnée d’un ciné-concert assuré par le maestro Khalil Baba Ahmed, a permis au public de redécouvrir un jalon majeur du patrimoine cinématographique national.

Il faut d’abord se projeter dans l’Algérie des années cinquante. Le pays est sous occupation depuis plus d’un siècle. Le peuple subit les affres de la colonisation, et son identité est prise en otage. Dans ce marasme, un Algérien, Tahar Hannache, réussit à s’imposer dans un domaine encore interdit aux Algériens. Mieux encore, il réalise un film ou il célèbre une Algérie authentique, loin des clichés coloniaux, tout en s’inscrivant dans une démarche d’affirmation identitaire.
Dans la grande salle du Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, la projection de ce film muet a été rythmée par la musique du chef d’orchestre Khalil Baba Ahmed. À partir de la composition originale de Mohamed Iguerbouchen pour Les Plongeurs du désert, Khalil Baba Ahmed a patiemment retranscrit la musique à l’oreille, en l’absence de toute partition, afin d’en restituer fidèlement l’esprit et l’inspiration.
En noir et blanc et d’une durée de 21 minutes, les rôles principaux sont campés par Himoud Brahimi (Cheikh Ali) et Djamel Chanderli (son fils Mansour). Le film sans dialogue avait été tourné à Tolga, dans l’actuelle wilaya de Biskra.
Dans cette ville du Sud, des hommes pratiquent un métier honorable : ramener l’eau à la terre. On les appelle «ghetassine», puisatiers. Au péril de leur vie, ces hommes descendent dans des profondeurs d’une eau bourbeuse, au risque de s’asphyxier, pour forer des puits, assurer leur entretien, procurer l’eau aux populations du Sud.
Ce métier de plongeurs est intimement lié aux traditions de cette région puisque ce savoir-faire est transmis selon des règles séculaires. Le film se distingue par sa qualité technique mais, surtout, par le message engagé qu’il transmet : Les Plongeurs du désert annonce le cinéma de résistance algérien.
Le film connaît des péripéties, il est censuré et ne sera pas projeté en Algérie, les autorités françaises estimant que Les Plongeurs du désert apparaît comme une œuvre annonciatrice du cinéma algérien de résistance. Ce film a néanmoins été présenté à Cannes et a remporté un prix.
Une version restaurée
Ce film culte a été restauré en 2024 à l’initiative des Archives numériques du cinéma algérien dirigé par Nabil Djedouani. Il a été numérisé à partir d’une copie positive 16 mm avec bande sonore optique combinée, issue des archives préservées par la famille Benelhannache.
«Cette copie présentait des signes de dégradations avancées : rayures profondes, taches, voiles chimiques, pertes d’émulsion, rendant certaines séquences à peine lisibles. À l’initiative des Archives numériques du cinéma algérien, la numérisation en résolution 2K a été effectuée à la Cinémathèque de Saint-Étienne en novembre 2023. Grâce au soutien de l’association Jocelyne-Saab, la restauration de l’image et du son a été réalisée par Nadim Kamel et Monzer El Hachem en 2024», indique Nabil Djedouani.

Nabil Djedouani rappelle que grâce aux efforts de chercheurs comme Abdenour Zahzah, Ahmed Bedjaoui et Djamel Mohamedi, la mémoire de Tahar Hannache a été réhabilitée. «Les archives familiales, notamment celles sauvées par sa fille Thourya, offrent un témoignage précieux de sa contribution au cinéma de la première moitié du XXe siècle. Ses œuvres, dont Les Plongeurs du désert, sont en cours de numérisation et de restauration, permettant ainsi de redécouvrir ce pionnier du cinéma algérien et de rendre hommage à son immense et unique parcours», ajoute-t-il.
Ce que dit Tahar Hannache de son film
En novembre 1951, une interview de Tahar Hannache a été publiée sur le journal Algérie républicaine. Interrogé par Mohamed Dib, le réalisateur exprime clairement sa volonté de créer un cinéma algérien, de former des jeunes qui seront les pionniers dans ce domaine.
«Ici, les ressources sont inépuisables. Nous avons tout ce qu’il faut pour faire un cinéma admirable. L’Algérie est un pays en pleine croissance, il lui faut son cinéma» ,confie-t-il à Mohamed Dib.
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Dans cet entretien, il revient sur l’histoire du film Les Plongeurs du désert. Il dit son admiration pour ces hommes à qui il rend le mérite de la végétation luxuriante des oasis de Touggourt.
Pour rendre dignement hommage à ce métier, il dit avoir choisi dans le rôle du «ghetass» Himoud Brahimi, acteur et champion de plongée sous-marine. Momo de la Casbah, que le public connaît particulièrement pour son rôle dans Tahya ya Didou de Mohamed Zinet.
«Pour mener à bien son travail, le puisatier se soumet parfois à une immersion qui dure jusqu’à 1h31 et ce, dans de très mauvaises conditions. Himoud Brahimi est donc tout désigné pour ce rôle», précise-t-il.
Il conclut cet entretien en en affirmant qu’avec ces réalisations «nous assisterons tout simplement aux premiers pas d’un cinéma authentiquement algérien».
Ces article de presse nous a été transmis par Nabil Djedouani, fondateur de la plateforme alternative Archives numériques du cinéma algérien.
Tahar Hannache, un précurseur du septième art algérien
Né à Constantine en 1898, Tahar Hannache a grandi dans une famille aisée, son père étant propriétaire d’une fabrique de tabac. Mais la fortune familiale a rapidement décliné à cause de la colonisation, ce qui l’a poussé à partir. C’est durant son enfance, en allant souvent au cinéma Nunez de Constantine qu’il a découvert sa passion pour le cinéma.
Dans les années 1920, après son service militaire, Tahar Hannache quitte Constantine pour Paris avec pour seul héritage un Louis d’or. En traînant autour des studios de cinéma, il rencontre par hasard un régisseur qui cherchait des comédiens de «type arabe» pour le film L’Atlantide de Jacques Feyder. Grâce à son allure et sa présence devant la caméra, il obtient plusieurs petits rôles dans différents films, comme Les Fils du soleil de Renée Le Somptier. Ces débuts lui permettent ensuite de travailler avec de grands réalisateurs, dont Rex Ingram, auprès duquel il officiera aussi comme assistant-réalisateur et traducteur.

Tahar Hannache participe à de nombreux films dans les années 1930, souvent crédité simplement comme Tahar. Il collabore fréquemment avec André Hugon, notamment sur Sarati le Terrible, aux côtés d’une autre figure de la scène artistique algérienne, Rachid Ksentini.
En 1938, Tahar réalise son premier film, Aux Portes du Sahara. Longtemps présumé perdu, ce film a été retrouvé en 2019 dans les Archives de la Cinémathèque Suisse. C’est le début de sa carrière de réalisateur.
Son grand projet, Les Plongeurs du désert, débuté en 1952, témoigne de son désir de créer un cinéma authentiquement algérien. Après l’indépendance de l’Algérie, Tahar Hannache termine sa carrière en tant que cameraman à la Télévision algérienne. Il forme plusieurs futurs cinéastes algériens. Tahar Hannache décède, dans l’anonymat, en 1972.