
Après tout ce qui a été déjà dit ici et là sur le personnage, de surcroît en termes fort élogieux, que dire de plus sur l’émir Abdelkader qui soit digne d’intérêt ? Que c’est un homme qui, par sa stature de chef d'État, a marqué de son empreinte le XIXe siècle ?
Qu’une ville américaine dans l’Iowa porte désormais son nom — El Kader— en reconnaissance internationale pour son combat contre l’occupation militaire française en Algérie ? Qu’à ce titre, il a passionné beaucoup d'hommes de lettres et historiens de nombreuses nationalités ?
Mais, en tant que sujet d'inspiration, on n’a peut-être pas dit — ou pas assez dit — qu’il a aussi passionné quelques poètes français, selon des perceptions et des interprétations parfois contradictoires chez les uns et les autres. Deux images différentes sont ainsi évoquées chez deux d’entre eux, Arthur Rimbaud (1854-1891) et Victor Hugo (1802-1885). Curieusement, les deux auteurs font la comparaison de l’Émir avec un autre personnage. De fait, il est question chez Rimbaud de l’Émir et Jugurtha (-160 J.C/-104 J.C). Tandis que chez Hugo, il est question de l’Émir et l’empereur Napoléon III (1808-1873).
On retiendra surtout qu'Arthur Rimbaud, tombé sous l’influence de l’Émir, lui a consacré un long poème en l’exaltant. La circonstance de la composition du poème en question fut l’organisation d’un concours sur le sujet du roi numide «Jugurtha». Arthur Rimbaud prend part à ce concours, étant alors âgé de 15 ans ; il écrit 75 vers en latin sur le grand résistant numide.
Avec grand talent le poète français met en valeur la résistance algérienne dans son texte poétique, alors qu’il est encore élève au collège. Il y évoque la personnalité de l’Émir, digne successeur d’une autre figure algérienne emblématique : Jugurtha. Ainsi Rimbaud fait un parallèle entre la résistance de Jugurtha contre les Romains et celle d’Abdelkader face aux Français.
Le point commun entre les deux résistances réside dans la détermination héroïque et le charisme des deux chefs, lesquels se distinguèrent par leur courage mythique dans le combat. Nous voici donc, avec Abdelkader, face à l’ombre du «nouveau Jugurtha» qui plane encore une fois dans l’histoire de l’Algérie. Rimbaud recourt à l’ancien symbole numide comme prétexte pour projeter la lumière sur la lutte de l’Émir. On a ainsi l’impression que le même personnage se ressuscite tel un phénix à travers les siècles.
Les deux icônes ont farouchement défendu leur territoire et leur peuple. Car le refus de toute occupation étrangère semble viscéral chez eux.
Et, c’est là une autre caractéristique commune entre les deux figures historiques : elles se rejoignent dans l’amour de la terre natale. Pour tout dire on a, toutes proportions gardées, affaire à un texte anticolonial. Si ce n’est pas le premier dans son genre. Le choix du poète est clair et net : il se positionne déjà, nonobstant toute distance temporelle, en faveur de la cause algérienne, ce qui fut tout à l'honneur de l'Emir Abdelkader.
Kamel Bouslama