Clôture de la 25e édition du festival européen de musique : Flamenco incandescent et rock du Nord, Alger danse au rythme de l’Europe

La 25e édition du Festival européen de musique touche à sa fin, et pour ce dernier soir, la magie avait rendez-vous avec l’intensité. Mardi soir, une file s’étire jusqu’aux marches du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi (TNA). Dans la grande salle illuminée, le public passionné, curieux, fidèle s’est déplacé en nombre. Le programme est clair : du feu andalou pour embraser les planches, et du blues-rock scandinave pour clore avec panache. Deux univers. Deux climats. Une même ferveur. Les lumières se tamisent. Puis, d’un seul coup, la scène s’embrase de rouge profond. Un compás lourd s’élève, profond, presque viscéral. Jesús Corbacho, cantaor, fait résonner une voix rauque, minérale, modelée par les vents salés de l’Atlantique et les douleurs de l’histoire andalouse. Il ne chante pas, il raconte, il saigne, il exorcise. Sa voix claque comme une vérité nue.
À ses côtés, David Caro, le guitariste, déploie un jeu vibrant de tension et de relâchement. Il cisèle les falsetas avec une élégance acérée, caressant les cordes dans des silences pleins de résonance, puis les fait jaillir avec une vigueur maîtrisée. Sa guitare respire. Mais c’est l’apparition de Saray de los Reyes qui transforme le théâtre en tablao andalou. Elle s’avance lentement, dans une robe rouge écarlate aux volants violets, le regard tendu, le corps suspendu. Elle commence par un simple port de bras : les coudes relevés, les poignets ondulent comme une flamme, les doigts s’ouvrent et se referment comme une fleur qui s’épanouit sous la douleur. Puis viennent les zapateados : les frappes des talons sur les planches résonnent comme des coups de tonnerre. Talón, planta, punta, elle sculpte le rythme du bout des pieds. Ses pieds deviennent percussions, ses bras calligraphie, son corps volcan. À chaque silence, on entend son souffle. À chaque frappe, un pan de mur intérieur s’écroule. Puis arrive Juan de los Reyes, silhouette droite, démarche lente, torse fier. Vêtu d’un costume noir taillé au cordeau, il entre dans la danse comme un torero dans l’arène. Ses pas sont plus retenus, mais tout aussi puissants. Il frappe le sol avec la précision d’un horloger, pivote sur lui-même, puis avance avec une solennité majestueuse. Un regard, une esquive, une attaque de talon. Elle tourbillonne, il frappe. Elle s’arrête net, il la contourne.
Et soudain, dans un moment suspendu, ils frappent à l’unisson, fort, plus fort encore… jusqu’à ce que la scène vibre, que les murs du théâtre tremblent, et que le public explose d’un même souffle. C’est plus qu’une danse. C’est un voyage en Espagne, un plongeon dans l’âme andalouse. Le parfum du jasmin semble traverser les rangées, l’ombre des patios blancs se dessine sur les murs du TNA, et l’Andalousie tout entière s’invite dans le cœur d’Alger. Mehdi venu avec ses amis nous dira : «J’ai vu la poussière de Séville danser devant moi», et d’ajouter «j’ai voyagé en Espagne, puis en Suède, sans quitter ma place. C’était magique». Après ce vertige andalou, c’est une tout autre énergie qui envahit la scène. Le groupe suédois Among Lynx, formation féminine mêlant blues, rock et attitude, prend le relais. Guitare en bandoulière, harmonica hurlant, rythme appuyé : elles ne laissent aucune place au doute. Leur musique est un cri de liberté. Elles imposent un style, à la fois ancré et actuel, avec une charge féministe assumée. La chanteuse, magnétique, harangue le public d’un regard complice. Sa voix rauque fend l’air, soutenue par une section rythmique d’une efficacité implacable. Dans les travées, des jeunes dansent, d’autres hochent la tête, absorbés. C’est brut, c’est vivant, c’est contagieux. Dans un discours prononcé devant l’assistance, l’ambassadeur de l’Union européenne en Algérie, Diego Mellado Pascua, a affimé «ce festival est un miracle de rencontres, de sons, d’amitiés. Pendant une semaine, chaque soir, vous avez répondu présents. Vous avez applaudi, chanté, vibré avec nous», c’est grâce à vous que ce festival a un sens», remerciant, à cette occasion, les artistes, le public merveilleux, les partenaires et les équipes. Puis il conclut dans un murmure «ce soir, Alger est le cœur battant de l’Europe musicale».

S. O.

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