Adolpho Kaminsky, ami de la Révolution algérienne : Un «faussaire» au service de l’idéal révolutionnaire

«Rester éveillé. Le plus longtemps possible. Lutter contre le sommeil. Le calcul est simple. En une heure, je fabrique trente faux papiers. Si je dors une heure, trente personnes mourront… » Adolfo Kaminsky, faussaire, à la vie, à la mort.

Humaniste, libertaire, naturellement, photographe talentueux, faussaire de génie et producteur de faux documents notoire, résistant et militant anticolonialiste, Adolfo Kaminsky est décédé, lundi, 9 janvier, à l’âge de 97 ans.
Engagé de 1957 à 1962 dans le réseau Jeanson et de 1963 à 1971 au sein du mouvement anticolonialiste Solidarité d’Henri Curiel et ses «porteurs de valises», Kaminsky a l'Algérie chevillée au corps. Il y séjournera longtemps d'ailleurs, de 1971 à 1982, fuyant les sbires des services de l’Afrique du sud et de l’apartheid qui le traquaient. L’artiste révolutionnaire d'origine russe, né d’une famille juive, à Buenos Aires, en Argentine, a voué son existence entière au triomphe des causes justes. Dans l'univers interlope des «producteurs de faux», les réseaux clandestins et cloisonnés, il fait figure de légende.
À 17 ans, il est résistant dans la France occupée et met ses talents au service de l’exfiltration des recherchés, notamment les juifs pourchassés par le régime nazi. Les mouvements révolutionnaires d’Amérique du Sud, de l’Afrique, la guerre d’Espagne, la révolution des Œillets au Portugal et dans la Grèce des colonels, Adolfo Kaminsky connaît. Il y sera d’un apport précieux et salutaire, ce qui le prédestina à être la cible des services de tous bords, l’homme de l’ombre à abattre à tout prix.
Dans «Vie de faussaire», la biographie que lui a consacrée sa fille Sarah, se décline le parcours vertigineux de celui qui fut à ses débuts... un apprenti teinturier (sic), métier qui lui inocule ses premières notions de chimie : «J’ai amélioré les méthodes de travail et créé un atelier voué à la photogravure et au moulage des tampons.» Expert de la teinte par des encres, son œuvre ne sera jamais prise en défaut.
Il deviendra bientôt, dans la France sous occupation, la cheville ouvrière d’un laboratoire clandestin de faux papiers. «J’avais trouvé le moyen de produire une telle quantité de faux documents, raconte-t-il, que, très vite, toute la zone nord, jusqu’à la Belgique et aux Pays-Bas, en fut inondée. Quiconque cherchait des faux papiers en France savait qu’en établissant un contact avec n’importe quelle branche de la Résistance, il les obtiendrait spontanément.»
Fausse identité, reproduction de tampon administratif, conception de passeports à l’identique jusqu’à imiter l’infalsifiable passeport suisse. Son enfance ne sera pas un conte de fées. Il perd sa mère, «défenestrée» d’un train en 1941, déporté, en famille, en 1943 au camps de Drancy, il est libéré grâce au consul d’Argentine.

M. Az.

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«L’Algérie au cœur»

Son premier contact avec la cause algérienne, note sa fille et biographe, a eu lieu à Paris, en 1957, où faisaient échos les crimes de l’armée française, qui systématisa les disparitions forcées et la torture. Ces pratiques soulèveront l’ancien résistant à l’ordre nazi : hanté qu'il est par le «spectre de la Gestapo. Les victimes avaient changé, mais les méthodes étaient les mêmes», comparait-il (lire portrait de Gilles Manceron). Il rejoint derechef les réseaux constitués par le philosophe Francis Jeanson, des militants internationalistes, Henri Curiel et Georges Mattéi. L’historien René Galissot (lire le témoignage sur l’encyclopédie Maitron) rappelle que ce sont ses amies, la cinéaste Marceline Loridan et la doctoresse Annette Roger (Anne Beaumanoir), connaissant ses capacités et ses positions pour l’indépendance de l’Algérie, qui font appel à lui pour reprendre la fourniture de faux papiers pour le réseau Jeanson puis pour le réseau Curiel. «Son laboratoire reproduira même des cartes d’état-major et des plans de l’Institut géographique national transmis par le géographe Jean Dresch, pour servir à l’ALN. Pour des raisons de sécurité, le laboratoire est transféré à Bruxelles. En 1961, il remplace, au pied levé, Henri Curiel, mis en difficultés par la traque, et organise à partir de Paris l’exfiltration des militants (réseau de Bruxelles) par les passages aux frontières. Sa fille Sarah raconte que son père avait même échafaudé le plan d’«inonder la France de fausse monnaie pour déstabiliser son économie. Au cessez-le-feu, le 19 mars 1962, il brûlera toute sa production, jamais mise en circulation».
Il demeura en «service actif» jusqu’en 1971, année où il se met au vert, trouvant à Alger un havre de paix pendant plus de dix ans. En Algérie, il aura à exercer sa passion, la photographie et différents métiers et sera même embauché par la Société algérienne de sidérurgie. Avec Leila, Algérienne, étudiante en droit, engagée bénévole auprès du Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA), il fondera un foyer, pourvu par la grâce de trois enfants. Ironie de l’histoire : Adolfo Kaminsky arborera, d'après sa biographie, «un casier judiciaire vierge. Il n’aurait appartenu à aucun parti, et est surtout resté fidèle au rêve de liberté et de fraternité universelles».

M. Az.

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