
«Au cours des étés 1953 et 1954, j’ai fait deux voyages en Algérie avec Colette, ma compagne de l’époque, photographe comme moi, dont le père, un entrepreneur d’origine grecque, était installé depuis longtemps en Algérie. […] J’ai découvert là-bas les graves problèmes que posait la colonisation. J’ai ressenti très fortement la distinction entre les catégories de population, les Français d’une part et les “Français musulmans d’Algérie” — comme on disait à l’époque quand on était poli, bien que le mot “Arabes” sorte plus machinalement des bouches — d’autre part. J’ai vu le racisme, les discriminations et les humiliations publiques. J’ai vu les Algériens qu’on tutoyait et les Français qu’on appelait “Monsieur”. Face à des scènes qui me mettaient très mal à l’aise, j’ai souvent eu honte d’être à ma place de Blanc.
J’ai eu honte pour la France. (...) Ce magnifique pays, à la culture infiniment riche, je l’ai vu comme une cocotte-minute prête à exploser. Le comportement condescendant de la plupart des Français d’Algérie vis-à-vis des Algériens, cette relation paternaliste de propriétaires à quasi-esclaves ne pouvaient qu’enflammer un brasier déjà bien attisé. Colette et moi photographions Alger et les très beaux visages d’enfants qui nous regardaient derrière les grilles. Ces photos montraient de l’Algérie toute sa beauté et sa gravité.
Massacres du 8 mai 1945 «Spectre de la Gestapo»
«Le 1er novembre 1954, premier jour de l’insurrection, est passé quasiment inaperçu en France. On parlait de terroristes, d’attentats. Pour ma part, je n’étais pas dupe, comme j’avais pu l’être lors du soulèvement du 8 mai 1945, au cours de la première manifestation pour l’indépendance de l’Algérie, qui coïncida avec la capitulation de l’Allemagne. A l’époque, la presse avait omis de nous raconter le massacre de plusieurs centaines de civils. L'événement avait été présenté comme un déferlement de haine de la part de musulmans extrémistes, antisémites et antifrançais, qui manifestaient leur soutien à l’Allemagne nazie déchue. J’y avis cru. (...) Vers la fin de l’année 1957, les premières publications témoignant de la pratique de la torture par l’armée et la police française en Algérie sont sorties. Nous le savions déjà, mais cette fois, il ne pouvait plus s’agir d’actes isolés. Quelques chefs militaires hauts gradés, refusant d’être complices, demandaient à être relevés de leurs fonctions. Nous étions quelques-uns, anciens de la Résistance, à voir resurgir le spectre de la Gestapo. Les victimes avaient changé, mais les méthodes étaient les mêmes.»
«L’indépendance inéluctable»
«Comme Jeanson, comme moi et tous ceux qui avaient rejoint le réseau, c’est en tant que Français qu’on s’était engagé, au nom de cette amitié franco-algérienne à construire, parce que les valeurs françaises de “liberté-égalité-fraternité” devaient s’inscrire dans l’action, parce que l’indépendance de l’Algérie était inéluctable et qu’il fallait l’aider à gagner la bataille le plus vite possible si l’on voulait arrêter ce gâchis, cesser d’envoyer les gosses de France mourir là-bas pour rien, et ne pas perdre totalement la confiance de nos frères algériens.»
M. Az.