À la villa Boulkine, l’art au féminin célèbre les traditions du Sud algérien

À la villa Boulkine, les femmes du Sud algérien exposent leur savoir-faire traditionnel intimement lié à leur identité. Porteuse d’un héritage ancestral, ces femmes venues de Ghardaïa, Boussaâda, Timimoun, El Menia et bien d’autres villes veillent à la préservation du patrimoine et à son inscription dans l’ère du temps.

La villa Boulkine, résidence secondaire du Dey, fraîchement rénovée, accueille le Festival de la création féminine. Cette édition dédiée aux femmes du Sud algérien met en avant la diversité de l’artisanat et tout le processus de fabrication. La tapisserie traditionnelle, collier de s’khab, broderie d’El Menia, ces métiers sont l’apanage des femmes et se transmettent de mères en fille.  

Parmi les ambassadrices de la culture du Sud, Salama Sabah, présidente de l’Union féminine de Bousaâda, est aussi une artisane spécialisée dans la confection du collier traditionnel «s’khab» à partir d’ambre. L’artisane expose des colliers d’ambre dont l’odeur embaume les lieux. Ce collier est l’indispensable des femmes de Boussaâda. Symbole d’élégance, chaque mariée doit en posséder.

«Le collier est fait à base d’un ensemble de matières naturelles auxquelles on ajoute du musc, du clou de girofle et d’autres ingrédients. La matière principale est la graine appelée el-qamha, une plante que l’on trouve dans le sud du pays. Ces éléments sont pétris, façonnés en petites perles, puis séchés à l’air libre avant d’être assemblés en un collier appelé s’khab, à la fois beau et agréablement parfumé», décrit Salama Sabah.

Pour cette artisane, c’est un long collier multi-rangs de perles d’ambre de couleur noire et de forme triangulaire. Sa conception demande patience et dextérité. Chaque perle est façonnée avec le bout des doigts, un geste qu’il faut répéter maintes fois jusqu’à lui donner la forme parfaite précise-t-elle.

«Ce bijou traditionnel n’a connu aucun changement dans sa conception, cependant les incrustations dorées étaient autrefois de l’or. Aujourd’hui, nous utilisons du cuivre ou l’or plaqué à cause de la cherté de l’or. Le plus important est que l’ambre soit authentique et utilise les ingrédients nécessaires pour sa conception selon la tradition», indique-elle.

Selon elle, ce savoir-faire tend à se perdre auprès des nouvelles générations. Elle souligne qu’il est essentiel que les jeunes filles manifestent elles-mêmes l’envie d’apprendre cet artisanat, car cela ne peut se faire sous la contrainte.

Nadia Ammi Moussa est la présidente de l’Association féminine «Tarselt Oughlane» de Béni Izguen à Ghardaïa pour la  revivification et la préservation du patrimoine du M’zab. Placée derrière son métier à tisser traditionnel, Nadia revient sur le nom donné à son association.

«Le nom Tirselte Aghlane fait référence à la traverse du métier à tisser, évoquée dans des proverbes populaires. Dans la culture mozabite, la traverse représente la femme résiliente et équilibrée, pilier de la vie familiale et communautaire. La femme mozabite est aussi une garante du métier à tisser. Notre association a pour mission de préserver le patrimoine traditionnel et de raviver les savoir-faire menacés de disparition en enseignant les métiers artisanaux aux femmes et aux jeunes filles», indique Nadia Ammi Moussa.

La particularité du tapis de Béni Izguen est sa fabrication en pure laine de différents formats, tissé à la main avec des motifs colorés. «Parmi ces motifs, un chandelier en cinq branches représentant les palais du M’zab qui  sont les cinq ksour ou villages fortifiés de la Vallée du M’zab, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. On dit que ces motifs sont inspirés du vécu quotidien des femmes de la région.»

À travers son association, Nadia Ammi Moussa contribue également à la préservation et à la redécouverte de savoir-faire anciens, tels que la confection de la nappe traditionnelle du M’zab, appelée «Amendil». Entièrement tissée à la main en pure laine, cette nappe se décline en plusieurs formats et se distingue par ses motifs colorés et ses décorations peintes.

L’artisane Ouedate Khadra expose des habits traditionnels brodés à la laine. Devant chaque bobine de laine l’ingrédient dont provient la couleur.

«Ces fils doivent être affinés à l’aide d’une machine avant de les utiliser pour broder. Ensuite, pour réaliser ces motifs géométriques, ce sont des calculs. Concernant la couleur, celle-ci provient de produits naturels comme les bâtons d’arak, l’indigo, la fleur de camomille. Quant à la fixation de la couleur, on utilise le sel et la pierre d’alun», décrit-elle.

La villa Boulkine devient, le temps du Festival de la création féminine, un véritable écrin où s’expriment la mémoire, la créativité et la résilience des femmes du Sud algérien. Ces artisanes, gardiennes d’un savoir-faire transmis de génération en génération, redonnent vie à des gestes anciens tout en affirmant leur place dans la modernité.

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