C’est avec les mots de l’écrivain palestinien Refaat Alareer, «s’il est écrit que je dois mourir, il vous appartiendra alors de vivre pour raconter mon histoire», lus par Mehdi Benaïssa et Nabila Rezig, respectivement commissaire et directrice artistique du Festival du cinéma d’Alger, que se sont ouvertes les Journées du cinéma palestinien à Alger.
Cet événement annuel commémore la date anniversaire de la Déclaration de Balfour. À travers la projection de films palestiniens, 94 pays, dont l’Algérie, s’engagent à faire résonner la voix du peuple palestinien.
«Le colonisateur est connu lorsqu’il s’empare des terres et des biens, mais le plus grand danger est lorsqu’il dérobe la mémoire. Dans ce cas, le cinéma devient un instrument de résistance pour les peuples. Aujourd’hui, nous œuvrons à préserver une mémoire particulière, celle de la Palestine. C’est dans cet esprit que nous avons collaboré avec l’association Film Lab Palestine pour organiser cet événement. Nous allons poursuivre le travail tout au long de l’année autour de la mémoire, de la Palestine et du cinéma», a précisé Mehdi Benaïssa.
Organisé en partenariat avec Film Lab Palestine et le Centre algérien de la cinématographie, sous le patronage du ministère de la Culture et des Arts, cet événement se tiendra à travers les cinémathèques d’Alger, de Béjaïa, de Constantine et de Sidi Bel Abbès, la salle Mohamed-Touri à Blida et la salle Mezzi à Laghouat.
Selon la directrice artistique du Festival du film d’Alger, Nabila Rezig, un partenariat sera signé entre le Festival, prévu pour le mois de décembre, et l’association Film Lab Palestine.
Elle précise que ce partenariat vise, d’une part, à renforcer l’organisation des Journées du cinéma palestinien et la réalisation de projets communs dans un avenir proche. «Nous allons projeter quatre films retraçant le parcours de la cause palestinienne, de 1948 à 2024. Ces films seront annoncés durant le festival», informe-t-elle.
Elle ajoute qu’il a également été question de l’organisation d’un atelier de formation autour du thème «Lecture de l’image et analyse des films», destiné aux enfants âgés de 5 à 14 ans. «La période du festival coïncide avec la reprise des cours, nous avons donc décidé de former d’abord les formateurs. L’idée est aussi d’intégrer des films algériens dans le cadre des manifestations organisées par Film Lab Palestine», souligne Nabila Rezig.
Cet événement a été marqué par la projection du court-métrage Ma Baâd (Après) de la réalisatrice Maha Haj, du documentaire State of Passion (Halet Eshq), des réalisatrices Mouna Khalidi et Carol Mansour.
«Ma Baâd» ou l’impossible deuil
Dès les premières scènes, le film nous plonge dans le quotidien tranquille de Suleiman et Mona vivant dans une ferme isolée. Chaque jour, ils accomplissent les mêmes tâches entre s’occuper des arbres et des poules, ramasser le bois et partager les repas en discutant de leurs enfants et petit-enfant.
Ils sont les parents de quatre garçons et d’une fille. Khaled, l’aîné, vit à l’étranger. Le spectateur le comprend lorsqu’il envoie un email pour annoncer sa prochaine visite. Bassel, doué pour le dessin, est père d’un petit garçon dont les grands-parents s’inquiètent de la poussée dentaire. Oumeïa, la seule fille de la fratrie, est encore célibataire. Sa mère reproche à Suleiman d’encourager son indépendance. Tarik est le vilain petit canard. Il mène une vie d’artiste qui ne semble pas plaire à son père. Et puis il y a aussi Hamza, le benjamin de la famille.
Suleiman et Mona se chamaillent parfois, mais restent complices et partagent les tâches quotidiennes dans un cadre de vie calme et serein.
Un jour, par un temps de pluie, un journaliste entre dans le jardin. Il se présente : «Je m’appelle Khalil Hadj. Je suis un ami de Khaled et je viens faire un reportage sur vous, sur la vie que vous menez coupés du monde. Excusez-moi, je suis fatigué. Le bus m’a déposé loin de votre maison et j’ai dû beaucoup marcher», dit-il en s’adressant à Suleiman et Mona.
Le couple, indifférent, refuse et rentre à la maison. Le journaliste reste alors sous la pluie battante, avant que Mona, prise de remords, demande à Suleiman de le faire entrer.
Le point de bascule est lorsque Khalil leur demande : «Quel âge avaient vos enfants lors du bombardement qui les a emportés ?» En larmes, Suleiman répond : «Khaled avait 10 ans, Bassel 8, Tarik 6, Oumeïa 4 et Hamza 2 ans.»
On comprend alors que la douleur était si insupportable que les parents se sont réfugiés dans un univers où leurs enfants ont grandi, se sont épanouis et ont quitté la maison pour vivre leur propre vie.
Ce passé tragique est celui de nombreuses familles palestiniennes, marquées par les atrocités du génocide israélien. À travers cette métaphore, la réalisatrice parvient à relater avec une force bouleversante la souffrance du peuple palestinien.
À travers les yeux de Ghassan Abu Sitta
La soirée dédiée au cinéma palestinien s’est poursuivie à la Cinémathèque par la projection du documentaire State of Passion (Halet Eshq), des réalisatrices Mouna Khalidi et Carol Mansour.
Ghassan Abu Sittah est chirurgien reconstructeur britannico-palestinien, né réfugié, bénévole dans les zones de guerre à travers la Palestine depuis la fin des années 1980. À travers ce documentaire, le spectateur découvre ce médecin infatigable parmi les siens après les atrocités auxquelles il a assisté. Il revient sur cette guerre effroyable, où il raconte le terrible sort des Palestiniens sous le joug de la colonisation israélienne.
«Le choix des personnages à opérer ne repose sur aucune donnée scientifique. Les parents s’organisent entre eux et cèdent la priorité à ceux qui ont perdu le plus d’enfants.» C’est un témoignage des plus poignants qu’on découvre à travers ce documentaire. Ghassan Abu Sittah est marqué également par le nombre d’amputations effectué sur des enfants. «Je n'avais jamais pratiqué autant d’amputations sur des enfants de toute ma carrière.»
Les réalisatrices donnent la parole aux proches de Ghassan, notamment à sa mère, qui évoque son engagement précoce, et à son épouse, qui parle de leur vie de couple profondément engagée dans la cause palestinienne.
Amies proches du médecin, Mouna Khalidi et Carol Mansour montrent à travers ce documentaire comment elles ont saisi l’occasion pour réaliser cette rencontre. Elle était en contact avec lui quand il était à Ghaza, le médecin les prévient qu’il part le soir même à Rafah, ensuite à Amman pour 24 heures et, enfin, rejoint Londres pour voir sa famille. Les deux réalisatrices saisissent cette opportunité et livrent un documentaire puissant entre engagement et vie intime de ce chirurgien au grand courage.
Les deux films ont suscité une vive émotion dans la salle de la Cinémathèque, témoignant de la force du cinéma à transmettre la douleur, la mémoire et la résilience du peuple palestinien.