
L'ancien ministre de la Justice, garde des Sceaux, Tayeb Louh, a réfuté dimanche, devant la chambre criminelle près le tribunal de Dar El Beida, toutes les accusations retenues contre lui. Louh s'est présenté à la barre à 13h 21 minutes suite à la clôture de l'audition de Tayeb Benhachem, inspecteur général près le ministère de la Justice.
Dimanche 10 octobre. Tribunal de Dar El Beida. 10 h 37 minutes : arrivée des accusés. L'ancien Conseiller à la Présidence, Said Bouteflika, est le premier arrivé dans le box des accusés, suivi de l’ancien SG du ministère de la Justice, Tayeb Benhachem, et de l'ancien ministre Tayeb Louh, tous en détention provisoire. Sept accusés en liberté sont également poursuivis, dont l'ancienne PG près la Cour de Boumerdès, Djamila Z., qui ne s'est pas présentée pour la 2e fois. Des magistrats sont aussi mis en cause, dont l'ancien procureur de la République près le tribunal de Sidi M’Hamed, Khaled El Bey. L'ancien ministre de l'Energie et des Mines, Chakib Khelil, son épouse Nadjet Arafat et ses deux fils Sina et Khaldoun, en fuite à l'étranger, figurent parmi les accusés. Le procès a vu également la comparution de 36 témoins, dont l'ancien ministre de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, absent à l’audience, l'ancien SG à la Présidence, Haba Okbi, présent, l'homme d'affaires Mahiedine Tahkout, en détention et qui a comparu par visioconférence. L'ouverture de l'audience a été marquée par une bataille de procédures. Les avocats de la défense ont défilé à la barre. Certains ont relevé des vices de procédure comme l'audition de l'homme d'affaires Ali Haddad par visioconférence. "Une violation du principe de la présence physique de l'accusé", plaide l'avocat de ce dernier et demande l'annulation de cette procédure et le transfert de son client en détention à la prison de Tazoult (Batna). Sa demande a été rejetée. La défense de Tayeb Benhachem relève que l'accusé est poursuivi alors qu'il n'a pas été «informé de la liste et de l'identité des témoins». L'avocat de l'accusé principal, Tayeb Louh, insiste: «Mon client est poursuivi pour incitation à la falsification d'un document officiel, mais le document n'existe pas dans le dossier et il n'y en a aucune trace." Après délibération, le président de l'audience a décidé le déroulement du procès et le transfert des dossiers des accusés poursuivis pour délits à la chambre pénale près le tribunal de Sidi M’Hamed.
Inspecteur général du ministère de la Justice, de 2013 à 2019, T. Benhachem, a été auditionné en premier par le président de l’audience, Ali Haichour. "J'ai exécuté les instructions du ministre de la Justice. Je ne suis pas un juge, mais un fonctionnaire, et, par conséquent, je dois être sanctionné par un conseil de discipline en cas d'erreur", se défend-t-il. Interrogé sur l'annulation des mandats d'arrêt émis contre les Khelil, il répond : «Je ne le connais pas, ni lui, ni sa famille et je n'ai aucune relation avec lui, ni avec un autre membre de sa famille. Louh m'a instruit pour l'annulation des mandats d'arrêt contre Khelil et des membres de sa famille. Le juge d'instruction m'a affirmé que les mandats n'étaient pas légaux car ils n'étaient pas convoqués par le juge d'instruction chargé de l’affaire". Interrogé sur les législatives à Ghardaïa, il a nié avoir exercé des pressions sur le président de la Cour de Ghardaïa qui a refusé d'avaliser la candidature d'une ancienne membre du comité central du FLN. S'agissant du litige entre Ali Haddad et le club sportif USMA, l'accusé affirme n’avoir aucune relation avec l’homme d’affaires, ni d’intérêt. «Ce n'est pas de mes prérogatives de mettre fin aux fonctions d'un fonctionnaire ou d’un magistrat. Je n'ai exercé aucune pression ni sur le procureur de Sidi M'Hamed ni sur le juge d'instruction près le pôle spécialisé». Le PG intervient: «Vous transmettez toutes les directives du ministre de la Justice aux magistrats, même si elles sont illégales ?». L'accusé : «Le ministre a un poste politique, je ne conteste pas les décisions et elles sont légales». Un avocat de la défense intervient : «L'accusé ne peut pas savoir que les instructions ne répondent pas à la loi.» En réponse à une question du PG, l’accusé précise que «c'est l'avocat de Khelil qui m'a appelé pour retirer les documents d'annulation des mandats d'arrêt contre ses enfants, mais j'ai refusé». S'agissant de l'affaire de Tahkout avec la SNVI, l'accusé a nié toute intervention au profit de ce dernier.
Louh : Les mandats d'arrêt contre les Chakib annulés
par le PG
Louh a comparu par la suite. Evoquant les chefs d'inculpation, il a précisé concernant l'entrave au bon fonctionnement de la justice que des magistrats, objet de mutations ou d'avertissement, ont saisi l'Organe central de lutte contre la corruption. «Les sanctions relèvent du CSM (…)», répond-t-il. Concernant la candidate de Ghardaïa, l'accusé a affirmé qu'il ne la connaissait pas. «Elle a saisi la wilaya de Ghardaïa qui a contacté le ministère. J'ai appelé l'inspecteur général pour prendre en charge l'affaire de cette candidate qui n'a pas pu déposer son dossier à temps», précise-t-il. Pour le PG à la Cour de Ghardaïa, il affirme que celui-ci est resté 11 ans en poste. «Il a été muté dans le cadre d'un mouvement ordinaire et les nominations relèvent du président de la République. Le conseiller du Président est présent et peut le confirmer». Louh est auditionné sur les incidents du renouvellement partiel du Conseil de la nation à Tlemcen. «Le parquet près la Cour de Tlemcen a dressé un PV à cause des incidents et la présence d'une personne armée d'un Tazer». Le président de l'audience lui a rappelé que c’est lui qui a ordonné au PG de Tlemcen (témoin dans ce procès) l'ouverture d'une enquête. «Est-ce que le ministre de la Justice doit instruire les procureurs pour lancer les enquêtes ?». Le président de l'audience appelle Bey Ben Ali. «Est-ce que Louh vous a demandé d'ouvrir une enquête ou vous a-t-il instruit de faire le contraire ?» Le témoin : «Non, j'ai instruit le procureur (…) conformément à mon travail». Louh est confronté au témoin H. Okbi. «Qu'en est-il du dossier du PG de Ghardaïa ; sa mutation fait suite à une décision du président ou à un rapport du ministre Louh?», interroge le président de l'audience. Le témoin : «(…) Je ne me souviens pas». Evoquant l'annulation des mandats d'arrêt internationaux contre Khelil, Louh a assuré que «le PG à la Cour d'Alger est venu me voir en 2014 pour me dire qu'il a commis une grave erreur. Je lui ai dit qu'il est un homme de loi et qu'il doit corriger le problème», insiste-t-il. Le PG l’interroge de nouveau sur le non- respect des procédures: «Pourquoi ne pas les soumettre à la loi, vider le mandat d'arrêt au lieu d'envoyer un fax au juge d'instruction par la défense de Khelil ?» Louh répond: «Nous avons coordonné avec le procureur de la République et le juge d'instruction. Nous ne pouvons pas les placer sous mandat de dépôt durant 48h pour les auditionner par la suite, ce n'est pas logique», dit-il. L'audition de Louh a duré plus de 3 heures. L'audience est levée à 15h 28 mn avant d’enchaîner avec l'audition de Mahieddine Tahkout en sa qualité de témoin. Il déclare: «Je ne connais aucun des accusés principaux, ni la PG près la Cour de Boumerdes. J'avais des affaires commerciales, mais aucune intervention n'a été menée pour les régler», a-t-il insisté. La chambre criminelle a également auditionné, par visioconférence, l'ancien P-DG de l'ENTRHP Ali Haddad, détenu à Tazoult à Batna. «J'ai plus de 40 affaires commerciales au niveau de la justice et je n'ai jamais demandé l'intervention de personne et d'aucun haut responsable», dit-il. 16h 52 minutes : Said Bouteflika se présente à la barre. Il décide de répondre pour la première fois publiquement aux chefs d'inculpation retenus contre lui. Il est poursuivi pour délits de participation à l'abus de fonction et participation à l'entrave au bon fonctionnement de la justice.
Concernant l'annulation des mandats d'arrêt contre Chakib Khelil et des membres de sa famille, Said Bouteflika a répondu que «ce qui s'est passé est une grave erreur : comment humilier un ministre d'Etat dans un journal télévisé du 20h, c'est une première». Il a tout au long de son audition assumé ses relations avec la famille de Chakib Khelil. «Nous avons grandi ensemble», dit-il.
Neila B.