Redouane Yahiaoui Yousfi, chercheur en démographie à l’université Lounici-Ali (Blida 2) : «Les prévisions démographiques permettent de concevoir des politiques publiques»

El Moudjahid : En tant que démographe, le RGPH constitue une source inépuisable pour l'étude quantitative et qualitative de la population algérienne et ses dynamiques, telles que la fécondité, conjugabilité, la mobilité sociale, le vieillissement et la mortalité. Confirmez-vous ?

Redouane Yahiaoui Yousfi : Le RGPH est l’une des sources les plus précises et précieuses pour recueillir un ensemble de données, qui permettent de décrire la répartition et la composition de la population. Les données issues du recensement ne sont pas limitées à la description des phénomènes de fécondité, natalité, mortalité et de mobilité sociale, mais facilitent également la réflexion sur les différents statuts sociaux, les tendances culturelles et même les affiliations politiques de la population, et ce en mettant en évidence l’état matrimonial des individus (célibat, mariage et divorce) ainsi que la situation économique, telle que l’emploi (entrepreneuriat libre, fonction publique, secteur privé). Cela aide les décideurs et concepteurs des politiques publiques à avoir une vision globale pour mesurer l’évolution de la participation des deux sexes au marché du travail, en particulier la participation des femmes ; ainsi que par la mesure d’âge pour connaître la catégorie active déterminée par les démographes et les économistes entre 15 ans et l’âge légal de la retraite à 65 ans. Connaître la proportion de la dépendance démographique que la catégorie active fournit aux groupes vulnérables d’enfants de moins de 15 ans et au groupe plus âgé de 65 ans et plus. Nous pouvons également voir de plus près le niveau d’éducation des individus, la nature, les caractéristiques et les modes de vie des citoyens à travers les composantes liées à la consommation, les types de logement et la répartition des familles par lieu de résidence (rural et urbain), ainsi que la distribution et le développement des villes selon l’indice d’urbanisation et d’infrastructure.

Quels sont les défis induits par l'allongement du cycle de vie sur les politiques publiques et la société (santé, éducation et économie) ?

Sur la base des données actualisées collectées à travers le RGPH, il sera possible d’établir des prévisions démographiques qui permettent de concevoir des plans et des politiques publics à long terme pour répondre aux besoins sociaux de la population en matière d’emploi, d’éducation, de santé et de logement. En connaissance de l’évolution des groupes actifs et en prévoyant des plans et projets sociaux, les décideurs peuvent réfléchir à des stratégies de développement économique pour la création de nouveaux postes d’emploi. De telles stratégies stimulent le développement et réduisent le taux de chômage élevé. En ce qui concerne l’éducation, les stratégies peuvent être envisagées sur la base de l’évolution des proportions et du nombre de la population scolarisée à tous les niveaux, en particulier au primaire, en répartissant les places pédagogiques nécessaires pour réduire le surpeuplement des départements, écoles et classes, en construisant plus d’établissements d’enseignement et en formant du personnel pédagogique qualifié. S’agissant de la santé, le RGPH permet de décrire ce domaine par les éléments liés à la proportion de la couverture sanitaire des besoins de la population, des services de santé, le suivi de l’évolution des projets de construction de structures de santé telles que les établissements hospitaliers et les centres de soins de proximité. En ce qui concerne l’habitat, le taux d’évolution des structures familiales qui sont relativement cohérentes avec l’évolution des taux de nuptialité est un facteur clé, mais il existe un indicateur très important calculé à partir de données démographiques, appelé «taux d’occupation du logement (TOL)». Il permet de mieux calibrer les futurs projets de développement en matière d’offre de logement aux particuliers.

Comment les différentes statistiques des RGPH précédents peuvent-elles nous informer sur les métamorphoses de notre société d'aujourd'hui ?

On ne peut jamais évaluer les transformations sociétales de toutes sortes, qu’elles soient démographiques, culturels, politiques ou économiques, à partir de données en temps réel. À cet égard, l’Organisation des Nations unies tient à prendre note de l’observation rétrospective, qui est fondée principalement sur des statistiques démographiques antérieures. L’ONU oblige les États membres d’établir des statistiques générales sur la population et l’habitat au moins une fois tous les dix ans. Par exemple, l’Algérie a, jusqu’à présent, réalisé cinq recensements démographiques (1966, 1977, 1987, 1998 et 2008). Au cours des décennies précédentes, notre pays a connu plusieurs transformations sociales, économiques et politiques qui ne peuvent être appréhendées que par le biais des données recueillies auparavant. Entre le premier et le deuxième recensement (1966 et 1977), l’Algérie avait connu une détérioration significative dans divers secteurs à cause du poids lourd de l’héritage du colonialisme. Le recensement de 1966 était une tentative d’évaluation de la situation à l’époque. Le deuxième recensement de 1977, a été le point de départ des réformes et de l’établissement de programmes de développement économiques. Les résultats montrent que l’Algérie a connu une croissance démographique rapide. Le recensement de 1987 a permis de constater et d’évaluer les résultats des réformes entamées au début de la décennie de 1970, notamment en matière de vaccination obligatoire et d’accès aux soins et à l’éducation. Dans le recensement de 1987, la politique de contrôle et de régulation des naissances, adoptée à cette époque pour réduire et maîtriser le boom démographique, a révélé la détérioration des conditions économiques, sociales et politiques à cause de la crise économique. C’est également le cas lors de la décennie noire. Cependant la période1998-2008 a été caractérisée par la mise en œuvre de différents programmes et plans de relance pour améliorer les conditions de vie, à l’image de l’ambitieux programme de 1 million de logements. Le recensement de 2022 nous montrera, j’espère, les différentes métamorphoses liées à l’introduction des nouvelles technologies dans le quotidien des citoyens, et l’élargissement des tissus urbains.
Selon vous, comment articuler l'analyse statistique de la composante sociale et l'étude qualitative des changements et autres phénomènes sociaux émergents à l'issue du RGPH ?

Compte tenu de la complexité des données recueillies, on peut dire que plusieurs transformations sociales et économiques ont déjà eu lieu au sein de la société algérienne, d’autant plus que ce recensement a rajouté plusieurs nouvelles variables comme la numérisation, le mode de vie moderne et la nature de la consommation d’énergie.
Par conséquent, ces changements seront mis en avant à l’issue de l’opération mais aussi par le croisement des données issues de différentes sources. Il est à noter que les nombres de divorce augmentent constamment, et en parallèle une baisse des ratios de mariage. L’élévation des niveaux d’apprentissage et des taux d’analphabétisme est remarquable, s’ajoute à cela l’évolution des modes de vie et la tendance à la numérisation et à la construction de nouvelles villes, sans oublier l’évolution remarquable de la proportion de femmes sur le marché de l'emploi.
T. K.

Sur le même thème

Multimedia