Pr Kherfi Mohamed Salah, président du laboratoire de la langue arabe à l’université Mohamed-Seddik-Benyahia de Jijel : «La promotion de la langue arabe est un impératif de l’heure»

Le professeur Kherfi Mohamed Salah revient sur le rôle historique et actuel de la langue arabe dans la production scientifique et culturelle. Il évoque les défis de sa modernisation, l’importance des technologies et la responsabilité des institutions dans sa promotion.

Le professeur Kherfi Mohamed Salah, chercheur universitaire, auteur, poète et président du laboratoire de la langue arabe à la faculté des lettres de l’université Mohamed-Seddik-Benyahia de Jijel, revient dans cet entretien sur la place de la langue arabe, son importance dans la recherche scientifique, sa vision pour sa promotion, et les enjeux de la modernité et de médias sociaux, ainsi que la démarche des pouvoirs publics pour la généralisation de cette langue dans les différents paliers de l’enseignement, à travers la formation des futurs enseignants.
Le responsable du laboratoire de la langue arabe au sein de la faculté des langues affirme : « En se référant à l’histoire de la culture, et de la langue arabe, des sciences, nous pouvons constater que cette langue a joué un rôle important dans le développement, la transmission des productions intellectuelle et scientifique grecques aux Européens. C’est à travers la pensée des éminents philosophes grecs, Platon et Aristote, qu’on peut observer cette importante influence d’interactivité qui est visible dans plusieurs disciplines scientifiques, comme par exemple chez Hazem le Carthaginois, et nous pouvons également vérifier ce rôle joué par la culture et la langue arabe dans le développement, la diffusion des idées, de l’héritage culturel, ou chez plusieurs savants, hommes de sciences de l’époque, dont Ibn Sina et autres. Cette interactivité traduit l’ouverture de la culture arabe vers les autres cultures et pensées de l’époque.
A cet effet, il convient de mettre en lumière Beit el Hikma, qui était un temple de savoir, car il a joué un rôle clé dans la transmission directe de la production intellectuelle et scientifique grecques, hindoue vers les autres cultures de cette époque. Ajoutant à cela, le rôle l’Andalousie, la Sicile et les pays du Maghreb qui étaient des pôles de savoir par excellence, qui ont contribué pleinement dans la diffusion et la propagation des idées novatrices dans différentes disciplines, avec l’apport d’Averroès, et certains éminents savants de la civilisation établie en Andalousie qui ont laissé des chefs-d’œuvre littéraires et dans les autres disciplines scientifiques, des joyaux architecturaux qui suscitent la curiosité des visiteurs jusqu’à nos jours. Interrogé sur comment faire pour développer cette langue en vue de s’adapter avec la révolution technologique et numérique, l’universitaire Kherfi estime : « S’adapter n’est pas une mission lointaine. La langue arabe dispose d’un héritage scientifique immense et d’un potentiel intact pour accompagner la révolution technologique actuelle.
Tout d’abord, il doit y avoir une volonté politique, et une volonté individuelle. La connaissance et le savoir, doivent être encadrés, accompagnés, orientés et commercialiser à travers la mise en place des mécanismes qui incitent son producteur pour créer, innover dans sa discipline, en tirant profit des acquis des autres civilisations, car la civilisation est un acte constructif humain commun », et d’enchaîner « il est claire, si nous ne produisons pas de nouvelles idées, de nouvelles productions intellectuelles et scientifiques, le champ de notre langue, comme support de communication reste figé dans son milieu.
C’est le producteur qui commercialise ses idées, ses produits. Nous prenons par exemple, la langue chinoise actuellement. Nous constatons qu’un grand nombre d’Algériens se bousculent pour l’apprendre, car il y a de forts liens commerciaux entre notre pays et ce géant asiatique. Les gens ont peur de l’arnaque. Pour cela, ils estiment qu’ils doivent apprendre la langue de ces produits pour qu’ils puissent se protéger contre une éventuelle triche. Ce contact est basé sur une visibilité claire et une transparence, en vue de promouvoir la langue arabe pour nous adapter avec l'évolution technologique, et numérique que connaît le monde d’aujourd’hui, nous devons en outre être fier de cette langue riche, porteuse d’un important héritage cultuel et scientifique, en développant notre production intellectuelle, scientifique et littéraire dans plusieurs disciplines de la connaissance. Une démarche qui passe par la mobilisation d’importants moyens humains et matériels, des mesures incitatifs aux chercheurs porteurs de nouvelles idées ». C’est à nous de la promouvoir, on ne va pas demander, aux Chinois ou aux Italiens de développer notre support de communication. C’est en développant nos produits que nous développons notre langue, car la standardisation des produits, dû au processus de la mondialisation industrielle et culturelle, pousse à unifier une bonne partie des besoins des gens à travers le monde, a-t-il précisé. Concernant l’importance des manuscrits arabes se trouvant dans de nombreuses bibliothèques européennes, il a révélé que la bibliothèque arabe est très riche. Elle contient d’importants manuscrits en arabe d’une valeur scientifique inestimable, qui se trouvent au niveau de plusieurs bibliothèque européennes, dont entre autres, française, américaine, espagnole, italiennes, allemandes et suédoise. Certains de ces manuscrits ont été traduits dans d’autres langues, vu leur valeur scientifique et culturel. Récemment, en lisant un manuscrit de Seljameti sur la linguistique, j’ai trouvé que le vérificateur de ce manuscrit, s’est procuré l’édition originale de ce manuscrit de la bibliothèque suédoise, car durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands ont dissimulé de nombreux manuscrits arabes, anciens, dans cette bibliothèque en vue de les protéger contre un éventuel pillage des Alliés.
De nos jours, l’accès pour les chercheurs nationaux à certains manuscrits en arabes en Europe est limité, et ce faible taux est décidé par les responsables de ces bibliothèques contenant un riche héritage culturel et scientifique, ce que je qualifie de monopole de la connaissance.
Largement conservé dans des bibliothèques européennes, l’accès au patrimoine scientifique arabe reste limité. C’est un véritable « monopole de la connaissance ».
On se rappelle des pillages dévastateurs qui ont ciblé les musées de Baghdad et ses bibliothèques, lors de l’invasion américaine en 2003. Ce riche héritage culturel et scientifique, qui représente une bonne partie de la mémoire et l’histoire de la civilisation babylonienne, a été dérobé... en face il y a eu le mutisme des instances internationales. En parcourant l’histoire, nous constatons que l’Occident s’est inspiré de notre héritage culturel, civilisation et ancien dans plusieurs disciplines de la connaissance pour développer sa pensée, son héritage culturel en vue d’atteindre les années Lumières, signe de la raison, de la rationalité.
En somme, la pensée humaine est une pensée mondiale, selon le principe de l’interactivité. Nous ne devons pas rester figé dans notre coquille car le monde bouge vite. Le responsable du laboratoire de la langue arabe de l’université de Jijel a mis en avant le rôle de l’université qui, selon lui, demeure un acteur important dans la promotion de la langue arabe, et sa diffusion à travers la formation des enseignants de l’école de demain. Une école forte, pourvue des outils pédagogiques cohérents et modernes, à travers la mise à niveau des enseignants qui seront le fer de lance, les diffuseurs de la lumière pour les jeunes générations en quête d’un avenir radieux, dans un monde en pleine mutation. La promotion de la langue arabe est un impératif de l’heure pour protéger notre culture, voire notre existence », a conclu ledit responsable.

M. B.

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