Pr Bertrand Badie, invité de l’Institut d’études de stratégie globale : «Le monde se transforme par la peur et la nécessité»

Ph. Nacéra I.
Ph. Nacéra I.

L'Institut national des études stratégiques et globales (INESG) a organisé samedi une conférence sur le thème des puissances mondialisées, animée virtuellement par le Pr Bertrand Badie, en présence du ministre de la Communication, Ammar Belhimer. Professeur émérite et spécialiste mondialement connu des relations internationales, Bertrand Badie a affirmé que le système international classique d'autrefois qui reposait sur un simple rapport de force entre quelques États qui contrôlent, à eux seuls, l'ordre mondial, est désormais révolu. Les puissances traditionnelles qui dominaient le monde ne sont plus la matrice exclusive du jeu international. «Nous ne sommes plus dans un monde de tournois ou de compétitions entre princes, mais dans un monde inter-social où les besoins humains l'emportent sur les stratégies politiques.» Il faut rendre les relations internationales «à l'humain», préconise-t-il. Et ce n'est que de cette manière que l'on peut «réduire les risques de conflit et la violence». Car la violence d'aujourd'hui est l'effet d'une «mondialisation qui ne sait pas nourrir et respecter les êtres humains». Ce concept de «respect de l'humain» est la base des relations dans le sillage de la mondialisation et les menaces et pressions globales, d'ordre climatique, sanitaire et alimentaire ont modifié en profondeur les relations internationales qui ne sont «plus l'affaire de puissances nostalgiques des temps passés, mais plutôt de l'humain», a insisté le conférencier.
La réalité internationale, ajoute le Pr Badie, «aussi désordonnée soit-elle, offre une nouvelle chance pour l'émergence de nouvelles formes de puissances modernes», plus «adaptées aux enjeux de l'emploi, de la jeunesse et aux aspirations de la jeunesse». Aujourd’hui, constate le professeur émérite, il y a une «rupture indéniable avec l'ordre mondial tel que dominé par les superpuissances du globe». Les superpuissances se retrouvent d’ailleurs de plus en plus «isolées» sur la scène internationale, affirmant que depuis la guerre contre l’Irak, les USA n'ont plus de «nouveaux relais pour leur politique étrangère». «Le pays de l'Oncle Sam a non seulement perdu toutes les autres guerres après celle d'Irak, mais eux qui contrôlaient 22 % du commerce mondial en 1964 ont vu leur hégémonie économique et commerciale se réduire à seulement 8 %».

Le monde se transforme par la peur et la nécessité

L'écroulement de plus en plus manifeste de l'ancien «ordre mondial» est, selon le professeur Badie, le résultat de trois principaux facteurs : la décolonisation, la dépolarisation et la mondialisation. «Avec les guerres de décolonisation, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité le plus faible a battu le plus fort (...) la défaite de la France en Algérie est un élément clé dans l'histoire des relations internationales. La Guerre d'indépendance en Algérie est cet atout particulier ayant permis à sa société d'émerger et de s'émanciper», indiquait, pour sa part, le Pr MontadaZebbour de l'université de Montréal. «Les enjeux globaux doivent constituer les centres d’intérêt de l'évolution de la mondialisation», a-t-il estimé, insistant sur l'importance d'offrir de sérieuses perspectives aux jeunes afin qu'ils ne deviennent pas des «facteurs de déstabilisation». Second facteur d’effondrement de l'ancien «ordre mondial», sa «bipolarisation». Bertrand Badie explique que la chute du bloc de l'URSS, en 1989, a en effet changé la «donne et le concept de puissance» qui s'est ainsi «évaporé du fait de l'inexistence d’une autre puissance qui lui soit égale». Troisième facteur : la mondialisation qui a accéléré «l'inclusion des sociétés» et la «mobilité des personnes mais aussi de leurs imaginaires, grâce notamment au développement des technologies de la communication». Lors des débats, intervenant en qualité de professeur de droit, le ministre de la Communication, Ammar Belhimer interpelle Bertrand Badie sur l’opportunité de la mise en place d'une cour constitutionnelle internationale. «Les sujets classiques du droit international que sont les États sont de plus en plus dépassés face à l'émergence d'autres acteurs du droit international tels que les ONG et les entreprises», interroge M. Belhimer qui met en relief l'influence du Net et notamment de Facebook qui imposent leurs règles. «Le monde est capable de se transformer sous deux facteurs : la peur et la nécessité», répond le Pr Badie qui propose, dans la foulée, la création de «conseils de sécurité» au sein des structures internationales traitant des enjeux globaux tels ceux relatifs à la santé et aux risques climatiques notamment.
Karim Aoudia

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