Olivier Le Cour Grandmaison à Politis-El Moudjahid : «Le massacre de civils le plus important commis en France après la Seconde Guerre mondiale»

Politologue français, auteur de nombreux ouvrages, Olivier Le Cour Grandmaison est considéré comme étant l’une des voix les plus critiques, en France, sur les questions liées à l’histoire coloniale, mais pas forcément l’une des plus écoutées.
Dans une interview accordée à Politis-El Moudjahid à paraître d’ici peu, il revient sur le traitement historique du passé colonial qui lie l’Algérie et la France et confirme que le général de Gaulle avait connaissance des répressions qui se préparaient, comme révélé du reste par des archives publiées en juin dernier par ‘‘Mediapart’’. «Ces documents montrent, effectivement, que très vite, les plus hautes autorités de l’Etat, le Premier ministre et le général de Gaulle notamment, ont été informés de plusieurs éléments d’une extrême gravité. Informé, le général de Gaulle a, semble-t-il, hésité sur la conduite à tenir avant de se rallier à la thèse officielle forgée par le gouvernement et Maurice Papon, puis de couvrir ce dernier et de le maintenir à son poste», soutient-il.
L’universitaire fait remarquer cependant qu’à présent, tous les protagonistes de ce massacre ont disparu et la justice «ne pourra donc jamais» être rendue aux victimes ou à leurs descendants et considère que la reconnaissance par le chef de l’Etat de ce massacre reste l’unique façon de rendre hommage aux victimes, martelant que jusqu’à présent, ni Hollande ni Macron n’ont reconnu ce massacre avant de détailler ce point. «Leurs déclarations, poursuit-il, demeurent très en-deçà de la réalité des faits et de leur qualification juridique. Relativement à l’actuel président de la République, ajoutons qu’il a de plus forgé une mauvaise fable tendant à faire croire que la responsabilité du massacre incombe au seul préfet Papon. Quiconque a travaillé sur cette période connaît le fonctionnement de la Cinquième République en situation de crise particulièrement grave et les rapports entre le gouvernement, le ministre de l’Intérieur et le préfet de police, et sait que les propos de Macron sont contraires à la vérité historique, politique et institutionnelle». Pour lui, les responsables politiques français sont «très mal placés» pour donner des leçons de rectitude historique, eux qui se refusent à reconnaître les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité.
Au sujet de la création, annoncée par Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron, d’une commission conjointe d’historiens qui aura pour tâche d’étudier de manière «intelligente et courageuse» la période coloniale et la guerre d’Indépendance, Olivier Le Cour Grandmaison estime qu’il va de soi que les recherches doivent se poursuivre. «Cependant, nuance-t-il, nous en savons déjà beaucoup et suffisamment en tout cas pour être à même de qualifier ce qui a été perpétré pendant ces 132 ans de colonisation française. Macron, son conseiller en ces matières et leurs soutiens aiment à vanter la politique des ‘‘petits pas’’ mise en œuvre par le premier. Relativement à cette commission, il s’agit moins d’un pas en avant que d’un énième pas de côté permettant une fois de plus au chef de l’Etat de ne pas se prononcer sur le fond, c’est-à-dire de ne pas reconnaître les crimes coloniaux commis par la France».
A une question sur l’accès aux archives, le politologue regrette l’attitude de la France qui fait preuve, à ses yeux, et ce depuis longtemps, d’une duplicité persistante, alors même que de très nombreux historiens se sont mobilisés pour exiger que cette situation cesse. Et d’enchaîner : «On ne peut d’un côté se prononcer pour la vérité historique et de l’autre maintenir des dispositions et des pratiques particulièrement restrictives en matière d’accès à certaines archives».
Olivier Le Cour Grandmaison ne manquera pas, par ailleurs, de fustiger ce qu’il qualifie d’acte de censure inadmissible commis par le journal Le Monde lorsqu’il a retiré de son site une tribune traitant de la visite de Macron en Algérie. Pour lui, la formule incriminée et employée par Macron pour rendre compte des relations entre la France et l’Algérie était «très certainement à dessein, imprécise afin de donner des gages aux nostalgiques de l’Algérie française et aux adeptes des aspects prétendument positifs de la colonisation».
Synthèse SAM

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