
Entretien réalisé par Samia Boulahlib
Dans cet entretien accordé à El Moudjahid, Mourad Goumiri, expert en économie et finance, s'est exprimé sur le double anniversaire de la création de l’UGTA, en 1956, et la nationalisation des hydrocarbures, en 1971, deux évènements majeurs servant une même cause, celle du peuple et des travailleurs algériens qui aspirent à une vie décente dans la liberté. A ce propos, il explique la portée de ces deux évènements historiques. Grâce à l’entreprise Sonatrach, mais également Sonelgaz, le secteur énergétique a constitué le fer de lance du développement économique et social dans le pays.
El Moudjahid : La nationalisation des hydrocarbures en 1971 a marqué un tournant décisif pour l'économie nationale. Comment la récupération des ressources du sous-sol par l'État algérien a-t-elle contribué au développement économique et social du pays ?
Mourad Goumiri : Il s'agit d'un mouvement international de tous les pays producteurs d'énergie (Iran, Arabie saoudite, Koweït, Irak...) contre le diktat des grandes compagnies pétrolières mondiales (EXXON, BP, ENI, Total, Chevron...). Il ne faut pas oublier que la carte du Moyen-Orient a été découpée sur la base des puits de pétrole de la région (Accords Sicks-Picot). La demande mondiale de pétrole devenant un problème géopolitique international, toutes les nations industrialisées se devaient de s'assurer de leurs approvisionnements en énergie par n'importe quels moyens, y compris militaires. L'Algérie a donc profité de cette dynamique internationale pour récupérer, par un rachat forcé, ses potentialités énergétiques pour assurer son approvisionnement et son développement. La rente pétrolière devait être redistribuée dans le reste de l'économie pour amorcer une politique de développement auto-centrée, notamment dans le domaine de l'industrie, c'est ce que l'on va nommer par la suite «industrie industrialisante» selon les thèses de D. De Bernis.
Depuis sa création, l’UGTA s’est consacrée à la défense des intérêts moraux et matériels de la grande majorité des travailleurs. Quelle perspective pour l'UGTA dans le nouveau contexte économique et social ?
Le syndicat UGTA était un appendice du parti FLN et devait répondre à travers ce lien organique aux thèses de ce parti. Son influence se concentrait essentiellement dans le secteur public qui commençait à devenir de plus en plus important avec les différents plans de développement (triennal, quadriennal, quinquennal). Aujourd'hui, le pluripartisme a déclassé le parti FLN et son allié organique l'UGTA qui a perdu des bastions syndicaux au profit de syndicats indépendants. En outre, le secteur privé se développe de plus en plus et supplante le secteur public, qui lui n'est pratiquement pas syndiqué, malgré la loi sur le code du travail.
L'UGTA est donc condamnée à disparaître si elle n'arrive pas à se restructurer de l'intérieur et à se consacrer à la défense des droits des travailleurs uniquement.
La protection du pouvoir d'achat est centrale, que représente une revalorisation des salaires dans le contexte actuel ?
Effectivement, l'inflation que traverse l'économie algérienne (10%) a eu un impact substantiel sur le pouvoir d'achat des travailleurs, des retraités et des pensionnés. Les mesures du président sont certainement les bienvenues pour rattraper cette perte de pouvoir d'achat. C'est donc sur ce terrain que l'UGTA peut développer son action syndicale et retrouver de nouveaux adhérents. Sinon elle risque de disparaître.
L'effort d'investissement de Sonatrach est colossal pour les quatre prochaines années, faut-il investir plus ?
Cet effort est avant tout nécessaire pour être au rendez-vous de ses obligations vis-à-vis de la consommation nationale, mais également avec ses partenaires et ses cocontractants. Cela nécessite des investissements dans l'exploration, dans la production, le développement des puits, le transport et dans la commercialisation. Il est regrettable que le Conseil national de l'énergie ne joue pas son rôle d'orientation des entreprises du groupe Sonatrach, afin de dessiner une stratégie à moyen et long termes du secteur. Les gestionnaires du groupe, même très qualifiés, ne peuvent à eux-seuls définir les choix stratégiques du groupe, il y va de la sécurité nationale de notre pays.
S. B.