
Par : Mohamed Koursi
«L'ambition secrète du néo-colonialisme... transpire : ne bénir l'indépendance de ces peuples que si elle permet de sauvegarder, sous des formes nouvelles, plus ’’modernes’’, plus ’’réalistes’’, moins choquantes, moins voyantes, le postulat de l'ancien esprit de domination et d'exploitation.»
Le cirque allemand Roncalli a remplacé les animaux vivants par des hologrammes. La prise de conscience du bien-être animal est devenue un sujet de discussion, un programme politique et un art de vivre et de consommer, même si derrière ces larmes versées devant la souffrance des animaux se cache, quelquefois, le cynisme mercantile. Pour un cirque, il est moins encombrant et donc moins coûteux de trimbaler un ordinateur qu’une ménagerie et il est plus facile au pays des «trente millions d’amis» d’abandonner son chien au bord de l’autoroute, que de l’emmener faire trempette sur la côte d’Azur lorsque arrive la période des congés. Ce frisson de l’homme qui se souvient qu’il a une âme résiste mal quand il s’agit de brûler, tuer pour dominer et spolier. On «aide» des pays avec des armes et des mercenaires tout en jetant un regard plein de compassion sur les réserves énergétiques ou de matières premières qu’on convoite.
Voilà pourquoi, aussi paradoxal que puissent le suggérer, les changements anticonstitutionnels de pouvoir en Afrique, accueillis par des applaudissements par la rue, expriment un rejet de décennies d’ingérences et de paternalisme nés au lendemain des indépendances. Déjà dans Présence africaine, d’avril-mai 1960, Philippe Ardant reprenait cette citation en introduction de notre article dans son texte «Le néo-colonialisme: thème, mythe et réalité.» Revue française de science politique, XV, n°5, 1965. p. 847.
La conférence de Brazzaville qui se déroule durant la Seconde Guerre mondiale (30 janvier-8 février 1944) anticipe l’empire colonial français, même si la France sera présente à la conférence de San Francisco (25 avril -26 juin 1945). On y décèle tout le cynisme traduit en programme : «Les buts civilisateurs de la France dans ses colonies écartent toute idée d’autonomie et toute possibilité de développement en dehors de l’Empire français. La constitution éventuelle, même dans un avenir lointain, de gouvernements autonomes dans les colonies est hors de question.»
Si la dernière moitié du XXe siècle était celle de la libération des pays colonisés, le XXIe siècle a déjà sonné le glas d’institutions poussives qui donnent l’impression d’être ce «gendarme couché» qui incite à ralentir. Le multilatéralisme s’impose même si la guerre de positions persiste. Au cours d'une rencontre avec les dirigeants japonais, sud-coréen et de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) en Indonésie, le Premier ministre chinois, Li Qiang, a déclaré que les grandes puissances devaient s'opposer à la confrontation et «empêcher une nouvelle guerre froide». L’ONU évoque un risque sérieux de «destruction nucléaire mondiale». «La méfiance accrue, la concurrence géopolitique et le nombre croissant de conflits armés n’ont fait qu’accroître les dangers qui pèsent sur notre monde» avertit Csaba Korosi, président de la 77e Assemblée générale des Nations unies entre septembre 2022 et septembre 2023.
Des désaccords et des crises peuvent surgir entre les pays à cause de malentendus, d'intérêts divergents ou d'interférences externes. Pour maintenir ces différends sous contrôle, ce qui est essentiel, à présent, est de ne pas choisir un camp, de s'opposer à la confrontation entre blocs, et d'empêcher une nouvelle guerre froide. De part et d’autre, les forces comptent leurs troupes, jaugent leur capacité et imaginent les faiblesses des autres. L'Arménie a accueilli des exercices militaires avec des forces américaines. Un épisode «inédit» qui interpelle sur les divisions qui s'accentuent entre ce pays du Caucase, allié traditionnel de Moscou, et la Russie en plein conflit ukrainien. D’autres pays «neutres» demandent dans la précipitation leur adhésion à l’Otan. Oui, le monde bascule. Mais, l’ancien fait de la résistance et projette sa semence dans les futurs rapports entre nations. Combien de temps faudra-t-il au Yémen, où l’on décèle l'un des taux de contamination par les mines et autres explosifs meurtriers les plus élevés au monde, pour devenir une destination touristique sans risque ?
Ancienne colonie espagnole, le Sahara occidental est le seul territoire en Afrique dont le statut postcolonial est toujours posé. «Territoire non autonome» selon la terminologie de l’ONU. Le Royaume du Maroc refuse de regarder l’histoire en face, l’histoire en marche. Le 13 septembre dernier, le processus inachevé de décolonisation de ce pays a été au centre d'une conférence organisée par le Groupe de soutien de Genève pour le Sahara occidental à Genève.
Continent dépecé, convoité, martyrisé, lieu de toutes les incertitudes et arène pour les puissances, l’Afrique bouge. Le continent émerge des limbes et veut quitter le strapontin qu’il a occupé trop longtemps. Le G20 a intégré officiellement l'Union africaine (UA) et des pays de la «périphérie» se présentent de plus en plus comme moteur de la croissance mondiale, déplaçant l’axe du monde de l’Europe à l’Asie et déjà les analystes intègrent le paramètre Afrique dans un monde en devenir. «Nous sommes heureux que l'UA, qui représente le continent à la croissance la plus rapide, obtienne un siège au G20. Cela donnera aux intérêts et perspectives africains une voix et une visibilité au sein de cet organe important», s'est félicité le président kényan William Ruto, espérant, par ailleurs, une réforme «des institutions financières internationales et des banques multilatérales de développement».
Quand viendra le tour du Conseil de sécurité de l’ONU d’admettre l’Afrique de façon permanente à sa table ? Le plus grand nombre de pays se trouve dans ce continent. Les conflits et les défis qui pointent montrent déjà que l’Afrique ne peut être un simple invité dans les grandes institutions. «Le futur dystopique est déjà là», a alerté le chef des droits de l'homme de l'ONU, Volker Türk, alertant sur le changement climatique qui déchaîne incendies, inondations et canicules dévastatrices, poussant un nombre croissant de migrants à fuir. Le «Sud global», à moins d’être partenaire dans la destinée mondiale, sera, face à l’autisme du Nord hégémonique, un bélier lancé à une vitesse fulgurante contre les certitudes qui prennent eau de toutes parts.
Partout la crise lamine les couches populaires. L’Europe déclassée par les forces émergentes offre dans les sondages le triste reflet de sociétés à économie à bout de souffle. «Près de trois Européens sur dix déclarent se trouver dans une situation précaire, ce qui les amène à renoncer à certains besoins, comme manger à leur faim ou chauffer leur logement, alerte un baromètre du Secours populaire.» De l’autre côté du globe, la Chine s’est réveillée et les Etats-Unis planchent sur une parade aux nouvelles «routes de la soie». On parle d’un projet qui connecterait l'Inde et l'Europe via des liaisons ferroviaires et maritimes à travers le Moyen-Orient. Ces plaques tectoniques qui façonnent le monde d’aujourd’hui se rapprochent du continent berceau de l’humanité. Tous le courtisent après l’avoir tenu «en dehors de l’histoire».
Alors comment faire pour que le 12 septembre compte ? Coopérer répond Antonio Guterres. La Journée des Nations unies pour la coopération Sud-Sud, le 12 septembre donc, est une occasion pour «rappeler avec force que lorsque les nations s’unissent, elles peuvent surmonter les obstacles et accélérer le développement durable».
M. K.