Journée nationale de l’artiste au Forum de la mémoire d’El Moudjahid - L’art au service de la Révolution : L’expression d’un engagement militant

Ph. T. Rouabah
Ph. T. Rouabah

Il est notoirement admis que les artistes algériens ont été des acteurs qui ont pleinement participé au processus d’éveil des consciences, galvanisé notre peuple et sensibilisé la communauté internationale durant la lutte de Libération.

Ils ont eu l’immense privilège de porter haut la voix de l’Algérie combattante à travers leur art, militer avec ardeur et dévouement et prouver que l’art est une arme, un terrain de résistance et qu’un poème, une chanson, une pièce théâtrale peuvent largement valoir un fusil.
C’est le message, l’enseignement primordial que l’on pouvait retenir, hier, dans le cadre d’un hommage, organisé par le quotidien El Moudjahid et l’association Machaâl Echahid, à la mémoire d’Ali Maâchi et à la troupe artistique du Front de libération nationale. Circonstance oblige, et à la faveur d’un livre qu’il vient de publier sur la glorieuse troupe artistique du FLN, préfacé par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, Abdelkader Bendaâmache, chercheur en patrimoine, a brièvement retracé le parcours flamboyant de cette troupe, qui s’est assignée pour mission, conformément aux directives des dirigeants de la Révolution, de mener la lutte sur le plan culturel (théâtre, chansons patriotiques…)
Ils se sont mobilisés en mettant à contribution leur génie créatif pour le triomphe d’une noble cause. À ce propos, le conférencier, cadre supérieur au ministère de la Culture, a rappelé, non sans une pointe de fierté, les noms de tous ceux qui, à l'instar des Mustapha Kateb, Mohamed Zinet, Ahmed Wahbi, Yahia Benmabrouk et tant d’autres qui ne sont plus de ce monde, que lors du Congrès de la Soummam, en août 1956, l’idée de faire participer toutes les couches de la société à la lutte avait pris corps. La fondation d’une troupe artistique a germé, dès 1957. Elle était composée à l’origine de 35 membres rassemblés dans une totale discrétion et fut placée sous la direction du dramaturge Mustapha Kateb. Petit à petit, elle se renforça et compta, au total, 52 membres. Elle a eu un rôle prépondérant, jouant le rôle de représentation diplomatique et culturel.
Il a indiqué que cette formation jouissait d’une grande considération de la part des hauts dirigeants des pays où elle se rendait.
Le 25 mai 1958, elle exhibait sa première représentation au théâtre municipal de Tunis, avec une œuvre collective intitulée Vers la lumière. Pour les présents, ce fut une immense manifestation de ferveur, à telle enseigne que Cheikh H’sissen, illustre interprète de chaâbi, ne pouvait plus retenir ses larmes. Montserrat, d’Emmanuel Roblès, Les enfants de la Casbah, Les immortels et Le sang des libres sont autant de pièces dont le dramaturge Abdelhalim Raïs fut une des chevilles ouvrières.
En Chine, en Irak, en Tunisie, en Égypte, en Yougoslavie..., la troupe a su battre en brèche toutes les assertions et autres idées fausses colportées par la propagande coloniale, tentant d’accréditer la thèse d’un peuple sans ancrage culturel, sans passé.
Abdelkader Bendaâmache a indiqué que de nombreuses personnalités, qui ont fait partie de cette retentissante épopée, ont quitté ce bas monde, par conséquent, il est plus qu’opportun d’accomplir d’autres travaux de recherche, pour donner plus de visibilité sur cette troupe.

M. B.

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Témoins de l’histoire

Les artistes algériens - qu’ils soient peintres, musiciens, écrivains, cinéastes ou comédiens - ont joué et continuent de jouer un rôle essentiel dans la préservation et la transmission de notre mémoire collective.
Dès les premières années de la colonisation française, les artistes algériens ont exprimé, souvent de manière codée ou symbolique, leur attachement à leur terre, à leur culture et à leur dignité. Le théâtre militant, tel que celui de Mustapha Kateb, ou encore les chansons engagées d’El-Hadj M’Hamed El-Anka ont accompagné le combat du peuple algérien. Ces formes d’expression artistique ont servi à éveiller les consciences et à transmettre des messages de résistance, Safia Kouaci, Hssissen, Bachtarzi, Rouiched n’ont pas cessé de raconter l’histoire du pays, à leur manière. Certains ont vécu la Guerre de libération, d’autres en ont hérité les récits et les ont transformés en œuvres. Leur objectif, transmettre la mémoire aux générations futures.

Le nouveau statut de l’artiste, une reconnaissance tardive mais nécessaire

Aujourd’hui, une nouvelle génération d’artistes algériens revisite l’histoire avec des approches novatrices. Leur travail contribue à enrichir une mémoire plurielle et a engager une réflexion sur l'identité et les valeurs à transmettre aux générations futures.
Pour Bendaâmache, l’adoption du nouveau statut de l’artiste, en décembre 2024, marque un tournant décisif dans la reconnaissance du rôle fondamental que jouent les créateurs dans la société. «Ce statut, longtemps attendu, apporte des bénéfices significatifs, tant sur le plan professionnel que social, et constitue une avancée majeure pour le secteur culturel du pays». D'abord, ce nouveau cadre juridique permet une reconnaissance officielle du métier d’artiste. Autrefois perçu comme un métier informel ou marginal, le travail artistique est désormais inscrit dans la légalité, ce qui donne aux artistes une véritable identité professionnelle.
Cette reconnaissance est essentielle pour légitimer leur rôle dans la société et leur permettre de mieux défendre leurs intérêts.
Ensuite, l’instauration d’un système de protection sociale représente un progrès social considérable. Grâce à ce statut, les artistes peuvent bénéficier de la sécurité sociale, de l’assurance maladie, et même de droits à la retraite, ce qui constitue un pas important vers une meilleure qualité de vie.
Cette sécurisation des parcours encourage également les jeunes talents à s’engager dans des carrières artistiques, en réduisant la précarité qui pesait, jusque-là, sur ce milieu.
Par ailleurs, la structuration du secteur artistique, à travers un registre national des artistes, contribue à une meilleure organisation de la vie culturelle.
Cela facilite l’accès aux financements, aux programmes de soutien et aux opportunités professionnelles, tout en permettant à l’État d’avoir une vision plus claire, pour orienter ses politiques culturelles.
«Le nouveau statut de l’artiste en Algérie constitue une avancée salutaire. Il contribue à redonner aux artistes la place qu’ils méritent dans la société, en leur offrant les moyens de vivre dignement de leur art, tout en stimulant la dynamique culturelle nationale», a estimé l’invité du forum .

F. L.

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Safia Kouaci, artiste et membre de la troupe théâtrale du FLN :
« On a tant donné... Ce n’était peut-être pas assez »

Propos recueillis par Radja Benhameurlaïne

Elle revient avec émotion sur son engagement durant la Guerre de libération. Une implication qu’elle juge modeste, presque insuffisante face aux sacrifices ultimes de tant de ses camarades. «On a tellement fait, et pourtant on a l’impression de ne pas en avoir fait assez… Certains sont morts, et moi, parfois, j’ai l’impression de n’avoir rien accompli», a-t-elle confié, la voix chargée de souvenirs. «Quand je repense à tous ceux que j’ai connus et qui sont tombés, je me demande : Qu’ai-je vraiment fait ? Cette impression me hante encore. Mais en même temps, je suis heureuse d’avoir vécu des moments extraordinaires, d’avoir côtoyé des gens inoubliables.»
Parmi ces figures marquantes, elle a cité Benyahia ou encore Yazid, avec qui elle a collaboré lorsqu’elle travaillait dans le secteur de l’information, en parallèle de ses activités au sein de la troupe artistique. «Notre Révolution était magnifique. Contrairement à ce que pensent beaucoup de jeunes aujourd’hui, elle ne se limitait pas au combat armé. Elle englobait toutes les sphères de la société : les étudiants, le social, les femmes, les artistes, les sportifs... Elle était partout», a-t- elle relevé.
Safia Kouaci a insisté sur l'importance du rôle culturel durant la lutte, et précisé que la troupe théâtrale existait pour porter la voix de l’Algérie à travers le monde, pour faire connaître notre cause, notre identité. «Les artistes, les footballeurs..., tous ont contribué à faire rayonner notre pays bien au-delà de ses frontières».

R. B.

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Amar Belkhodja, chercheur en Histoire :
« La culture forge l’identité nationale »

Amar Belkhodja a tenu à saluer le travail de mémoire accompli par Abdelkader Bendaâmache, spécialiste reconnu de la scène artistique algérienne. «C’est un grand connaisseur de la mémoire culturelle. Il a rédigé de nombreuses biographies d’artistes, contribuant ainsi à préserver des parcours souvent méconnus. Grâce à lui, nous disposons aujourd’hui d’un corpus précieux sur l’histoire artistique du pays», a-t-il déclaré. Parmi les figures évoquées dans les écrits de Bendaâmache figurent des grands noms de la chanson chaâbi, comme Amar Ezzahi, El-Badji, condamné à mort pendant la Guerre de libération, ou encore El-Hadj Mrizek, qui a profondément marqué le renouveau du genre. Plus récemment, Bendaâmache a consacré une biographie à El-Hadj Mohamed El-Anka, maître incontesté du chaâbi.
Pour Belkhodja, la culture joue un rôle fondamental dans la construction de la personnalité algérienne.
«À l’étranger, nous devons être fiers de notre identité culturelle. Nos artistes, nos créateurs ont porté haut les couleurs de l’Algérie. Nous venons tout juste de commémorer la disparition de Mohamed Lakhdar-Hamina, un immense cinéaste, Palme d’or à Cannes. Ce sont ces noms-là qui traversent les frontières et nourrissent notre fierté.»

R. B.

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