Hausse du SNMG et de l’allocation chômage – Dr Mustapha Mekideche, expert international en énergie : «Notre modèle de consommation énergétique est extrêmement coûteux»

Ancien cadre dirigeant de Sonatrach et ancien directeur général de l’Entreprise nationale d’engineering pétrolier (ENIP), Dr Mustapha Mekideche est expert international en énergie. Dans la foulée des décisions annoncées, lors du Conseil des ministres de dimanche, concernant les carburants, il insiste sur une réalité économique qu’il estime inévitable : la nécessité de revoir les tarifs des énergies.

El Moudjahid : Quelle est votre appréciation sur la décision prise en Conseil des ministres d’organiser des assises sur l’énergie et les hydrocarbures ?

Dr Mustapha Mekideche : C’est une décision toute indiquée, parce qu’il y a deux types de problématiques, à mon avis, qui nécessitent un consensus large et même un consensus national. Le premier est lié à notre modèle de consommation énergétique, qui est extrêmement coûteux, qui fait l’objet de beaucoup de gaspillage et pour lequel il faut prendre un certain nombre de mesures, qui, certes, toucheront la société — d’où le besoin de consensus —, mais qui sont inévitables. Pour prendre l’exemple du gaz naturel, on produit 110 milliards m3/an de gaz naturel commercialisable, dont la moitié est exportée. Avec le développement industriel et agricole qu’on aura dans le futur, il y aura à faire des arbitrages. Pour faciliter ces arbitrages, il faudra que tout ce qui touche au gaspillage ou même au transfert de rente en matière d’utilisation soit régulé de façon plus forte qu’il ne l’était par le passé. J’observe qu’il y a eu, en octobre dernier, pour le gaz naturel, une réforme des tarifs destinés aux industriels, pour pouvoir plafonner certains prix qui sont actuellement compétitifs, pour, d’une part, ne pas confondre entre compétitivité et transfert de rente, et pour, d’autre part, renégocier le reste des prix avec les investisseurs et les industriels. Pour le gaz de pétrole liquéfié (GPL), il y a eu, par le passé, un encouragement à l’utiliser, avec un certain succès, mais le GPL est devenu un intrant pour la pétrochimie, et il serait temps, peut-être, de revoir également ses tarifs. Même chose pour les carburants, sachant que nous sommes, dans la zone Proche-Orient/Afrique du Nord, l’un des pays où le prix du gazole est le plus bas. Il n’y a qu’en Libye où c’est moins cher, parce que, là-bas, le carburant est presque gratuit. On ne peut pas continuer comme ça. Même les pays qui ont des productions pétrolière et gazière beaucoup plus importantes que nous, comme l’Arabie saoudite ou l’Irak, ont des prix de carburant plus élevés. Résultat : on constate à Alger, et ailleurs, que des chauffeurs de voitures ou de bus laissent leurs moteurs tourner même à l’arrêt, parce que le carburant ne leur coûte presque rien. Il va falloir réfléchir à cela. Le second aspect est qu’on doit assurer la sécurité énergétique du pays sur le long terme, sachant que les hydrocarbures et les énergies contribuent, de façon forte, à la sécurité hydrique, par le dessalement de l’eau de mer, et aussi à la sécurité alimentaire, par les engrais et par l’ensemble des intrants qui entrent dans le processus de production alimentaire. C’est donc vraiment important qu’il y ait ces assises sur les hydrocarbures et l’énergie.

Les carburants ont été passés à la loupe, lors du dernier Conseil des ministres. Que faut-il faire pour répondre aux besoins nationaux sans pour autant négliger le volet exportation ?

J’ai fait une communication, lors des journées scientifiques et techniques organisées à Oran l’été dernier sur cette question. Il y a des expériences internationales dont on peut tirer des enseignements. Je peux citer quatre cas : l’Égypte, l’Indonésie, l’Iran et l’Arabie saoudite. L’Égypte a supprimé progressivement les subventions entre 2014 et 2020, les remplaçant par des compensations ciblées par cartes d’approvisionnement pour les ménages, dont les revenus sont relativement faibles ou moyens, afin de ne pas diminuer leur pouvoir d’achat ; l’Indonésie a fait la même chose, tout en introduisant un prix flottant basé sur le marché mondial, c’est-à-dire un prix qui augmente ou qui baisse selon les prix du marché, avec la construction d’un ciblage social précis et approprié ; en Iran, ils ont fait la compensation universelle, via des versements mensuels à la population qui ouvre droit ; en Arabie saoudite, grand pays producteur de pétrole, on a mis en place ce qu’on appelle en anglais «Citizen Account Program» (programme de comptes des citoyens), pour soutenir les ménages. Il est donc temps de porter une réflexion avec les opérateurs économiques, le groupe Sonatrach notamment, et aussi avec les associations de consommateurs, la société civile et la classe politique. Il faut avoir du courage, pour faire des réformes, et il faut les assumer.

Pour conclure, peut-on affirmer qu’il est temps de rationaliser la consommation des énergies, à plus forte raison que c’est à bas prix ?

Je pense, effectivement, qu’il y a un gaspillage de carburant et même d’électricité. Il y en a qui laissent les lumières et les climatiseurs allumés toute la journée. Il y a un rapport direct entre les prix et les niveaux de consommation. Il y a aussi des fuites de produits à l’étranger, parce que, dans les pays qui nous entourent, les prix des carburants sont beaucoup plus élevés. Pour lutter contre le gaspillage local et la contrebande dont font l’objet nos produits, il faut rationaliser la consommation. Autant il faut veiller à préserver le pouvoir d’achat des ménages et des catégories vulnérables de la société, autant il faut mener, en parallèle, une politique de rationalisation de la consommation énergétique, de sorte qu’on puisse faire des économies en direction des industries, comme l’acier, le ciment et d’autres industries qui utilisent énormément d’énergies. Certes, les tarifs bas sont un facteur compétitif, mais il ne faut pas qu’ils se transforment en un facteur de rente. Je salue l’arrêté qui a été signé par le ministre de l’Énergie, en octobre dernier, mais il faut aller, à mon avis, plus loin.

  • «Il faut avoir du courage pour faire des réformes, et il faut les assumer»
  • «Autant il faut veiller à préserver le pouvoir d’achat des ménages et des catégories vulnérables de la société, autant il faut mener, en parallèle, une politique de rationalisation de la consommation énergétique»
  • «Les hydrocarbures et les énergies contribuent, de façon forte, à la sécurité hydrique, par le dessalement de l’eau de mer, et aussi à la sécurité alimentaire, par les engrais et par l’ensemble des intrants qui entrent dans le processus de production alimentaire»

F. A.

 

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