Forum de la mémoire d’El Moudjahid - Hommage aux femmes algériennes condamnées à mort : A l’ombre de la guillotine

Ph. : T. Rouabah
Ph. : T. Rouabah

Elles ont porté la Révolution jusqu’au bout avec conviction et courage, bien souvent à la fleur de l’âge, voire mineures. Plusieurs militantes algériennes, ont été condamnées à la peine de mort par un tribunal militaire passé maître dans l’art des jugements bâclés. Elles ont payé un lourd tribut. Leur combat est à inscrire en bonne place dans notre histoire contemporaine.

Ce chapitre flamboyant mais aussi douloureux a été évoqué, hier, par le quotidien El Moudjahid et l’association Machaal Chahid, dans le cadre d’un hommage dédié à la militante Zahia Kherfallah, ancienne condamnée à mort.
Ce furent des moments d’intense émotion qui ont bouleversé l’assistance. Des exécutions capitales de militants de la cause nationale ont eu lieu à Serkadji. Ces peines sont prononcées lors de procès expéditifs, à Alger, capitale mondiale de la torture, selon la juste formule de Zohra Drif Bitat. Ces moudjahidine ont tous affronté dignement le couperet, accompagnés par des chants patriotiques de l’ensemble des détenus. Ces chants, les youyous des femmes incarcérées et les cris de toute la vieille médina ont résonné avec force.
Amar Belkhodja, ancien journaliste et chercheur en histoire, a cité le courage de Mme Zahia Kherfallah qui avait décidé de renoncer à sa demande de grâce, préférant voir s’accomplir son destin dans la sérénité. Il a également rappelé les noms de Djamila Bouhired, Djamila Bouazza, Jacqueline Guerroudj, Baya Hocine, qui bien que mineure, a été condamnée à mort, Djouher Akrour, Zahia Kherfallah, toutes condamnées à mort. Zahia était, selon le témoignage de Zohra Drif Bitat, d’un calme olympien, dotée d’un bon niveau d’instruction, et s’était comportée comme une valeureuse combattante.
Amar Belkhodja a tenu à faire une mise au point importante. Contrairement aux allégations mensongères et à une propagande coloniale sans fondements, il affirma que le FLN n’a jamais pris la décision de s’en prendre à la population civile française, mais qu’au contraire ce sont les ultras d’Algérie et leurs acolytes qui ont perpétré moult attentats sanglants contre de paisibles citoyens algériens.
A l’appui de son argumentation, il a parlé de l'attentat de la rue de Thèbes, à la Casbah d’Alger, survenu le 10 août 1956, une attaque criminelle perpétrée par des ultras d’Algérie, à leur tête, le sinistre André Achiary qui n’en était pas à sa première forfaiture, et qui a causé des dizaines de victimes. A chacune de ses interventions, notre invité réitère l’importance de lutter contre l’oubli et la désinformation, tout en appelant à une vigilance permanente face aux tentatives de réécriture de notre histoire par des plumes malintentionnées.

M. B.

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Ils ont dit

Zohra Drif Bitat rend un vibrant hommage à Zahia Kharfallah :
« Digne face à la mort »

La moudjahida Zohra Drif Bitat relate avec détails sur sa rencontre marquante avec Zahia Kherfallah dans les geôles coloniales. «Elle était d’un calme olympien, avec une sérénité presque irréelle. Quelles que soient les circonstances, les événements tragiques ou les violences, elle restait impassible. Rien ne semblait pouvoir la déstabiliser», se souvient-elle en qualifiant cette période de «très difficile» et durant laquelle, les prisonnières, pour la plupart très jeunes, vivaient dans un «huis clos tendu». «Ce n’était pas évident. Nous étions nombreuses, jeunes, parfois impulsives. Il y avait des rires, des disputes, des doutes. Et au cœur de tout cela, Zahia représentait l’élément d’équilibre. Elle apaisait les tensions, avec une douceur désarmante», confie-t-elle.
Mais c’est surtout la dignité de Zahia face à l’épreuve ultime qui a marqué à jamais Zohra Drif Bitat. «Elle a gardé ce calme extraordinaire même après sa condamnation à mort. Imaginez ce que cela signifie : être enfermée dans une cellule, H24, avec cette pensée constante que demain pourrait être le jour où l’on viendra vous conduire à la guillotine. Chaque jour, elle vivait avec l’ombre de la mort. Et pourtant, elle ne flanchait pas. C’est Dieu qui nous a donné cette force, cette foi», a-t-elle témoigné avant d’évoquer ce moment poignant de solidarité entre détenus : «Lorsqu’un frère était emmené pour être exécuté, toute la prison d’hommes entonnait l’hymne national, et du côté des femmes, les youyous résonnaient, portés par les voix des moudjahidate de la Casbah. C’était notre manière de lui dire : "tu n’es pas seul, tu pars entouré de l’amour et du courage des tiens"».

Zouina Fettal, fille de Mustapha Fettal, ancien condamné à mort :
«Mon père était le ‘'Fellaga volant’’»

Fille de Mustapha Fettal, Zouina a évoqué le parcours exceptionnel de son père à travers un vibrant témoignage.
Né en 1925, il s’engage jeune dans les rangs du Parti du peuple algérien (PPA), puis au sein de l’Organisation spéciale (OS), l’un des bras armés de la lutte indépendantiste. «Il rejoint les groupes de combat actifs dans la capitale, notamment aux côtés de figures de la résistance telles que Yacef Saadi. Ensemble, ils participent aux actions clandestines qui secouent le pouvoir colonial. Arrêté une première fois, il réussit à s’évader de manière spectaculaire en s’échappant par la fenêtre, ce qui lui vaudra le surnom de "Fellaga volant", tant cette évasion défiant la vigilance des geôliers est restée célèbre parmi ses compagnons de lutte», a-t-elle raconté.
Rattrapé par les forces coloniales, il est de nouveau emprisonné en 1957 et condamné à mort, il restera en prison jusqu’à l’indépendance, dans des conditions inhumaines, et subira de la torture, le poussant à faire des grèves de la faim avec d’autres compagnons de guerre.

Propos recueillis par Radja Benhameurlaine

 

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