ESCALE : Les start-up invisibles du tourisme

  • Par Rachid Lourdjane

Discrètement, des jeunes entrepreneurs algériens avec peu de moyens développent une formule d’écotourisme à l’opposé de cette industrie de masse tant décriée dans les pays du Nord à vocation touristique. Sous l’effet du Covid-19 et la fermeture des frontières, cette formule monte au créneau. C’est un secteur en pleine croissance. Conséquence positive, de nombreux nationaux font la découverte de l’Algérie profonde et reviennent chargés de souvenirs et souvent ébahis par la richesse géographique de leur pays. Discrètement et sans grande clameur publicitaire, des petites entreprises de deux à quatre associés profitent pleinement du programme inspiré des orientations du président Abdelmadjid Tebboune, qui voit à travers les start-up un levier de développement et d’innovations. De ce fait, cette activité connaît un bond en avant avec des retombées économiques réelles à l’échelle locale. Les programmes proposent des sorties découvertes et des excursions locales à travers l’immensité du territoire national à des tarifs qui font succès. Lors d’une sortie en groupe en février dernier au monastère de Tibhirine à Médéa, j’étais surpris par l’importance du nombre de groupes de touristes nationaux sous la guidance de ces jeunes patrons en jeans et baskets. Le moine-guide d’un certain âge, épuisé par son travail mais visiblement satisfait par l’engouement des touristes, me confiait que parfois il recevait jusqu’à 3.000 personnes par jour. A titre de comparaison, le Saint Siège à Rome accueille 8.000 à 10.000 visiteurs par jour. Le frère moine révèle également accueillir des visiteurs de toutes tranches d’âge, jeunes et moins jeunes, tous intéressés par l’histoire des lieux, un environnement panoramique verdoyant de ce petit coin paradisiaque de Médéa à 100 km d’Alger. On y découvre le circuit de randonnée à l’état sauvage, des produits du terroir ; miel, tisanes et confitures locales. Les menus sont très variés. La ferveur des Algériens concernant le tourisme culturel et local continue à la capitale où les vestiges historiques côtoient les Algérois au quotidien. Ainsi, les circuits de la Casbah d’Alger recèlent un grand succès avec des tours guidés en des lieux mythiques : Dar Khdaoudj, Musée Ali-Ammar, (Ali la Pointe) avec, parfois, la restauration sur place, chez l’habitant. Contrairement aux idées reçues, je note que des jeunes gens d’âge scolaire se montrent aussi respectueux que très attentifs aux pages d’histoire de la Bataille d’Alger contées par des guides qui ont vécu les faits. Curieux aussi sur la période ottomane. C’est grâce à ces start-up invisibles que j’ai pu redécouvrir les immensités du Tassili, le Hoggar et le Touat sous bonne guidance avec, parfois, l’accompagnement de spécialistes de la préhistoire de grande renommée. Et ces villages de haute Kabylie qui redoublent d’effort dans le respect de l’environnement, les zones humides de la wilaya de Tarf, des sites historiques guidés et toute une variété de coins du pays dont on soupçonne à peine l’existence avec un impact financier à l’échelle locale. Ainsi, à Djanet, récemment, j’étais surpris d’apprendre que la demande en guides locaux et en conducteurs professionnels et cuisiniers sur le terrain était saturée. C’est le plein emploi. Nous sommes dans le cadre d’un tourisme à caractère culturel, discret et respectueux du cadre et de la nature. Une véritable école dans l’emballement de la découverte et la sobriété où l’on apprend le respect de la nature. Ces start-up, qui naturellement se sont tournées vers le « slow tourisme » en privilégiant un tourisme durable, authentique et à échelle humaine, réinventent ainsi une formule de rêve pour de nombreux pays écrasés sous le poids d’un tourisme international massif qui dégrade la qualité de la vie et sature les espaces publics. Des manifestations contre cette industrie ont eu lieu dans de nombreuses villes de l’Union européenne durant ces dernières années en protestation contre l’envahissement ; Palma de Majorque, Dubrovnik, Barcelone, Venise, Rome, et en Croatie. Exaspérés, des groupes d’habitants protestent avec des passages à l’acte violents contre les effets négatifs du tourisme de masse sur leur cadre de vie. Les arguments contre cette industrie sont nombreux. C’est la privatisation du littoral en faveur de la construction de complexes touristiques, l’augmentation massive des déchets, la monopolisation des ressources en eau pour les hôtels de luxe ou le déplacement des habitants vers la périphérie des villes pour laisser la place à l’envahissement qui profite à des organisateurs offshores. L’Algérie n’est pas une destination de tourisme de masse et ne doit pas commettre les erreurs que les pays très ouverts ont commis auparavant en s’ouvrant de manière massive, et dont ils payent le prix fort aujourd’hui en terme de qualité de vie, et de destruction des paysages bruts et naturels. L’ouverture ne peut pas se faire sans une certaine normalisation à des codes parfois aussi violents qu’inacceptables. Faut-il s’en plaindre ou s’en féliciter ? Le débat est ouvert.

R. L.

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