
Entretien réalisé par Ahmed M.
Le concept d'économie circulaire a officiellement fait son entrée dans le projet de loi relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets en cours de modification et qui est actuellement au niveau du Secrétariat général du gouvernement.
El Moudjahid : Qu’est-ce que l’économie circulaire ?
L’économie circulaire est un mode de développement économique basé sur la prise en considération du flux des matières, tout en exigeant le respect des principes écologiques et de l’utilisation rationnelle des ressources naturelles pour assurer un développement durable. L'économie circulaire s'inscrit dans une perspective d'économie verte. Elle dépasse le modèle économique linéaire qui consiste à extraire, fabriquer, consommer et jeter en appelant ainsi par ordre de priorité à la prévention de la production de déchets, notamment par le réemploi des produits et, suivant la hiérarchie des modes de traitement des déchets, à une réutilisation, à un recyclage ou, à défaut, à une valorisation des déchets.
Mme Dalila Boudjemaâ : Comment mettre concrètement en place une économie circulaire ?
Pour répondre à votre question, d’abord, il faut faire évoluer la législation. Le concept d'économie circulaire a officiellement fait son entrée dans le projet de loi relative à la gestion, au contrôle et à l’élimination des déchets en cours de modification et qui est actuellement au niveau du Secrétariat général du gouvernement, fruit d’un long travail de concertation et d’échange avec les parties-prenantes. Le projet de loi fixe de nouveaux objectifs. Sont introduites par exemple des interdictions progressives pour réduire l’utilisation du plastique à usage unique, plusieurs mesures visant également à mieux informer et sensibiliser les consommateurs pour faciliter le tri des déchets. Le projet de loi renforce aussi la lutte contre le gaspillage alimentaire. Enfin un volet important est consacré à l’organisation des filières soumises à la responsabilité élargie du producteur : création de nouvelles filières de valorisation, meilleure transparence, nouveaux objectifs structurants concernant la prévention et la gestion des déchets, la réduction progressive des décharges contrôlées et des centres d’enfouissement technique …
La transition vers une économie circulaire est un véritable projet de société dont l’objectif est de sortir de la société du jetable. En d’autres termes, elle invite à faire évoluer nos pratiques de vie et à inventer de nouveaux modes de production et de consommation plus durables. Pour ce faire, plusieurs domaines sont impactés afin de produire des biens et services de façon durable : l'extraction et l'exploitation des ressources, l'écoconception, l'écologie industrielle, la consommation responsable, l'augmentation de la durée d'usage, la prévention, la gestion et le recyclage des déchets
Pouvez-vous nous présenter votre feuille de route ?
Tous s’accordent à dire que le changement de modèle linéaire «fabriquer, consommer et tout jeter» se heurte fatalement à l’épuisement des ressources et nous sommes convaincus que le déchet est devenu aujourd’hui, un enjeu économique. Sa valorisation a pris une dimension croissante et constitue une véritable industrie, qu’il faut pousser à l'innovation pour créer de nouveaux marchés, d’autant plus que les technologies de recyclage et de valorisation existent. De par leur nature et leur composition, les déchets constituent une matière première pour diverses activités économiques, agricoles, artisanales ou industrielles : 34 millions de tonnes de déchets en tout genre dont 4 millions de tonnes de déchets ménagers et assimilés/an.
Cependant, la collecte, le transport et l’enfouissement des déchets coûtent cher au Trésor public. La transition effective vers l'économie circulaire devient donc indispensable. Elle permettra de transformer ce centre coûteux (gestion classique des déchets) en un centre de profit économique, environnemental et social, autrement dit, les déchets seront transformés en ressource. En plus, les centres d’enfouissement technique, qui étaient destinés uniquement aux déchets ultimes, reçoivent actuellement une masse énorme de déchets en tout genre, sans tri au préalable. Leur durée de vie est compromise parce que «saturés», s’ajoute à cela l’absence de nouvelles assiettes foncières pour l’implantation de projets similaires ; ce qui favorisera davantage la prolifération des décharges sauvages à ciel ouvert.
Notre feuille de route se décline en 5 grands axes : sortir du tout jetable, mieux informer et sensibiliser les consommateurs, lutter contre le gaspillage et mieux produire. Elle englobe un ensemble de mesures cohérentes, équilibrées et structurantes, des mesures concrètes afin d’atteindre ces objectifs qui permettront à tous les acteurs «d’entrer dans la boucle».
Les objectifs de la feuille de route économie circulaire :
• Réduire la consommation de ressources naturelles ;
• Réduire de 30% les quantités de déchets non dangereux, admis en décharge en 2024 par rapport à 2019 ;
• Tendre vers 15% de plastiques recyclés en 2024 ;
• Réduire les émissions de gaz à effet de serre ;
• Créer 70.000 emplois supplémentaires.
Les collectivités locales, en charge du service public de gestion des déchets, sont des acteurs clés du dispositif de l’économie circulaire. Des leviers tels que la fiscalité des déchets, d’une part, la tarification et les modalités de la collecte, d’autre part, doivent être activés simultanément pour encourager les collectivités engagées dans cette démarche. La feuille de route prévoit de s’appuyer sur de nouvelles filières à responsabilité des producteurs et de fixer de nouvelles ambitions aux filières existantes, pour contribuer à la dynamique d’économie circulaire et au développement de nouvelles filières industrielles.
• Mettre en place des bonus-malus pour stimuler leur écoconception et l’incorporation de matière recyclée.
• Permettre aux filières de responsabilité élargie des producteurs de soutenir les investissements des filières industrielles du recyclage et de fabrication de produits issus des matières recyclées, tout en assurant leur qualité, leur traçabilité et une réelle sécurité pour les citoyens.
• Inciter les administrations à faire don des équipements en bon état, dont elles n’ont plus l’usage au profit d’autres structures dans le cadre de la solidarité.
• Intégrer l’économie circulaire dans les commandes publiques par l’utilisation d’au moins 50% du papier recyclé, l’utilisation de pneumatiques rechapés ou rechapables pour les véhicules (administration exemplaire)
• Accompagner l’investissement productif pour améliorer la compétitivité de l’activité d’incorporation de matières premières, issues du recyclage et de substitution, par des ressources renouvelables, en mobilisant largement les outils financiers publics disponibles, ainsi que les financements privés via les outils de la finance verte de type fonds de l’environnement.
• Mettre en place un label «économie circulaire»
Ces objectifs seront atteints par :
- L’organisation des filières déchets pour la création de micro-entreprises et start-up afin de promouvoir les emploi et la richesse, soit 10.000 micro-entreprises employant environ 70.000 personnes sur cinq ans dans la collecte, la transformation et la valorisation notamment.
- L’organisation de campagnes de sensibilisation pour inciter les citoyens et opérateurs économiques au tri sélectif et à l’adoption de mode de consommation et production durable.
Avec le concours des ministères de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et de la Formation professionnelle, la formation sur les métiers verts a été lancée et doit être renforcée. A cet effet, les parties prenantes y ont longuement travaillé lors des ateliers organisés par le ministère de l’Environnement. En parallèle, une bourse des déchets a été mise en ligne et a suscité beaucoup d’intérêts auprès des valorisateurs et des recycleurs.
Pour relever ce défi industriel, nous travaillons pour la structuration et la promotion de filières de récupération et de valorisation des déchets (matière ou énergétique) dans tous les domaines, en mettant en valeur les gisements de déchets et en canalisant les investissements vers cette industrie innovante, qui recèle un fort potentiel de développement et un intérêt pour le pays.
Peut-on quantifier le poids de l’économie circulaire dans l’économie algérienne ?
Et non, on ne connait pas aujourd’hui le poids économique de l’économie circulaire qui s’en tient pour beaucoup à la problématique des seuls déchets. Il faudrait additionner l’écologie industrielle (la cogénération en est un exemple très intéressant) mais aussi les projets agroalimentaires avec la biomasse et la méthanisation. Il y a un vrai chantier devant nous.
Est-ce que les nouvelles technologies favorisent l’économie circulaire ?
Les nouvelles technologies représentent un outil parmi d’autres pour booster l’économie circulaire. Actuellement, on a toutes les pistes pour aller dans le bon sens, mais on fait face à un manque de connexion et de passerelles entre les différents secteurs d’activités. Aujourd’hui, nous avons mis en place une véritable stratégie organisationnelle pour interconnecter les différents acteurs qui composent l’économie circulaire. Le numérique constitue une excellente opportunité pour la transition vers une économie circulaire, en permettant notamment la mise en réseau des acteurs de l’économie circulaire, l’accès à l’information et aux données pour le citoyen, l’aide à la décision et la production de nouveaux services, à travers la bourse des déchets hébergée au niveau de l’Agence nationale des déchets. Il s’agit en fait d’une plate-forme électronique qui permet des transactions entre les détenteurs, les collecteurs, les recycleurs et les valorisateurs des déchets
Y a-t-il des initiatives de recyclage en Algérie ? Concrètement, à combien s’élève le marché national des déchets ?
Bien sûr que oui, on assiste actuellement à un intérêt croissant des secteurs public et privé à investir dans cette filière (petites et micro-entreprises), par le biais notamment des mécanismes incitatifs institués par l’ANGEM et l’ANADE. Des opérateurs algériens ont récemment mis en service des unités à même de valoriser le PET (polyéthylène téréphtalate), à l’instar des unités de Sétif, Chelghoum el Aid, Tlemcen, Barika, Annaba, Alger…, le papier et carton (Alger, tipaza, Oran), le verre (Alger, Oran), le pneu (Sétif, Bordj Bou-Arreridj) et les batteries (Ghardaïa, Sétif, Constantine, Djelfa, Annaba et Oran…).
Le recyclage des déchets d’emballage apporte à l’Algérie un gain financier de 38 milliards de DA par an. En 2019, la valeur marchande du gisement valorisé a avoisiné les 56 milliards de dinars. Le gisement disponible en matière de papier/carton, de plastique, de métaux ferreux et non ferreux, de bois et de verre est de l’ordre de 32%, sa valeur marchande en 2019, a été estimée à 92 milliards de dinars. Quant aux déchets spéciaux et spéciaux dangereux, notamment les pneus usagés, huiles moteurs usagées et les batteries à plomb usagées, la valeur marchande est estimée à 20 milliards de dinars par an.
Quels messages prioritaires faut-il aujourd’hui faire passer sur l’économie circulaire ? Comment réconcilier l’économie avec l’environnement ?
La transition vers une économie circulaire porte en elle de multiples dynamiques de progrès et d’innovations qui réconcilient justement l’environnement avec l’économie. Les bénéfices de celle-ci sont importants pour l’environnement et sans aucun doute pour le climat. A titre illustratif, la fabrication d’une bouteille en plastique à partir de plastique vierge émet 70% de CO2 surtout si on la fabrique à partir de plastique recyclé
L’économie circulaire, c’est un gage de sécurité et d’alimentation en continu en matières premières de nos outils de production pour notre industrie, autrement dit, la réduction de la dépendance aux importations de matières premières.
Enfin, l’économie circulaire donne des horizons nouveaux à l’économie sociale qui a ouvert la voie à des projets innovants et des opportunités d’emplois. C’est en fait, une mise en mouvement des collectivités locales autour de projets concrets
Le secteur des déchets peut devenir à terme un levier puissant pour la création d’emplois productifs et pérennes par la création d’entreprises et des pépinières de start-up dans le domaine de l’économie verte. Le soutien à l'investissement dans ce domaine s’inscrit dans une démarche de développement durable, notamment d’exploitation rationnelle de la vivacité et du dynamisme de notre jeunesse.
A. M.