Cherif Meribai, président de l’Académie algérienne de la langue arabe : «Sans contenu numérique fort, la langue arabe restera en retrait»

El Moudjahid s’est entretenu avec le professeur Cherif Meribai, président de l’Académie algérienne de la langue arabe, qui a livré une analyse lucide et structurée sur la place de la langue arabe en Algérie, les défis auxquels elle fait face et les efforts consentis pour sa promotion dans les écoles, l’administration, les médias et l’espace numérique…

 

Entretien réalisé par Chahira Hadj Moussa

 

Comment évaluez-vous, aujourd’hui, la situation de la langue arabe en Algérie, entre l’école, l’administration et les médias ?

La situation de la langue arabe en Algérie peut être appréciée à travers trois axes principaux : l’école, l’administration et les médias.

À l’école, l’arabe fait face à des difficultés réelles malgré son statut de langue officielle de l’enseignement. Beaucoup d’élèves souffrent de faiblesses en expression, en rédaction et en compréhension, en raison de méthodes d’enseignement traditionnelles et de programmes qui ne suivent pas l’ère numérique, malgré les efforts engagés par l’État et le ministère de l’Éducation pour améliorer le niveau de la langue et les pratiques pédagogiques.

Dans l’administration, bien que l’arabe soit la langue officielle, l’usage des langues étrangères, particulièrement du français, demeure présent dans certains secteurs. Cependant, les avancées sont tangibles, notamment grâce à la création d’une instance constitutionnelle chargée de veiller à son utilisation dans tous les domaines, ce qui témoigne d’une volonté politique claire de la renforcer.

Dans les médias, la diglossie est très visible : l’arabe standard domine les programmes officiels et culturels, tandis que les dialectes et les langues étrangères s’imposent dans la publicité et les divertissements, ce qui affaiblit la présence de l’arabe dans l’espace public.

En résumé, l’arabe occupe une position solide sur le plan institutionnel, mais reste confrontée à des difficultés pratiques qui exigent un effort sérieux dans l’école, l’administration et les médias.

 

Quels sont les principaux efforts menés par l’Académie algérienne de la langue arabe pour promouvoir l’usage de l’arabe dans la vie publique ?

L’Académie mène plusieurs actions pour renforcer la présence de l’arabe dans les milieux académiques et sociaux. Il élabore des dictionnaires spécialisés dans les sciences, la technologie et l’administration afin d’unifier les terminologies. Il œuvre également à la traduction d’ouvrages scientifiques récents vers l’arabe et à la construction d’une base de données trilingue.

L’Académie encourage la recherche linguistique en produisant des études, en attribuant des prix annuels et en organisant des rencontres permettant aux spécialistes de débattre du terminologique, de la diglossie et des problématiques de l’arabisation.

Elle collabore également avec les universités, les institutions culturelles et les médias, et mène des actions de sensibilisation qui affirment que l’arabe est une langue de science et de créativité moderne, et pas seulement une langue patrimoniale et religieuse.

 

Selon vous, la langue arabe est-elle capable de suivre le rythme de la transformation numérique et du progrès technologique ?

L’arabe possède une structure interne riche, fondée sur la dérivation et la flexibilité sémantique, ce qui lui permet de générer des terminologies nouvelles et d’intégrer les concepts scientifiques contemporains.

La technologie offre à l’arabe de vastes opportunités : intelligence artificielle, traduction automatique, traitement automatique du langage, production de contenus numériques. Des outils qui permettent la production d’un contenu numérique arabe et le développement de moyens facilitant la traduction et la recherche scientifique.

Le principal obstacle demeure la faiblesse du contenu arabe en ligne et le manque d’applications adaptées à la langue. La question n’est donc pas linguistique seulement mais exige une politique volontariste et un investissement réel dans la recherche.

Dans ce contexte, le projet «Dakhira arabiya» proposé par l’Algérie à la Ligue arabe – une bibliothèque numérique géante destinée à préserver et diffuser le patrimoine – reste d’une importance majeure malgré le manque de soutien régional.

 

Quels défis la langue arabe affronte-t-elle face à la propagation de l’usage des langues étrangères, et comment y répondre ?

La langue arabe fait face à de fortes pressions en raison de la domination des langues étrangères, notamment dans l’enseignement supérieur, la technologie et les médias, ce qui a entraîné une diminution de son utilisation dans la recherche scientifique et un faible engouement des jeunes à son égard.

De plus, les politiques d’arabisation déséquilibrées, la faiblesse du contenu numérique arabe, ainsi que l’absence de planification linguistique contribuent à aggraver la situation.

Surmonter ces défis exige de soutenir l’enseignement en langue arabe et moderniser ses programmes, encourager la publication scientifique dans la langue nationale, développer le contenu numérique arabe, renforcer les outils de technologie linguistique et ancrer la conscience de l’importance de la langue arabe dans l’identité et l’appartenance.

Pourquoi les jeunes s’éloignent-ils progressivement de leur langue maternelle ?

Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène : la domination des langues étrangères dans l’enseignement supérieur et le marché du travail, la perception de la science et du progrès comme étant liés à des langues autres que l’arabe, des programmes scolaires qui mettent en exergue les aspects théoriques sans développer les compétences d’expression, l’influence des médias qui mêlent arabe et langues étrangères, le manque de contenus attractifs en arabe et la faible conscience du rôle identitaire de la langue. Réhabiliter l’arabe nécessite un projet global qui prend en charge sérieusement ces aspects.

 

Comment l’intelligence artificielle peut-elle contribuer à l’innovation et à la protection du patrimoine linguistique et culturel arabe ?

L’intelligence artificielle représente une opportunité stratégique pour l’arabe. Elle peut automatiser la traduction et le traitement des textes, faciliter le résumé, l’analyse et la reconnaissance vocale, numériser les manuscrits et le patrimoine pour les mettre à la disposition des chercheurs, générer des contenus culturels et créatifs inspiré du patrimoine, documenter et préserver les dialectes et produire des outils pédagogiques intelligents et interactifs. C’est un pont entre traditions et modernité, capable de renforcer l’identité tout en stimulant l’innovation.

 

Que prévoit d’organiser l’Académie pour la Journée mondiale de la langue arabe, célébrée le 18 décembre de chaque année ?

Chaque année, l’Académie célèbre cette journée avec un ensemble d’activités. Cette année, elle organise son congrès du 9 au 11 décembre qui sera ponctué par la remise des prix dans la recherche, la philologie, les applications numériques et la création littéraire, un hommage à des figures scientifiques ayant servi la langue arabe et la présentation du bilan des commissions permanentes de l’Académie et l’organisation d’un colloque scientifique sur «Les efforts des savants algériens anciens au service de la langue arabe», dont les actes seront publiés dans un ouvrage distribué à l’ouverture du colloque.

 

Un dernier mot pour la jeunesse algérienne à l’occasion de la Journée mondiale de la langue arabe ?

J’adresse un appel sincère à nos jeunes pour qu’ils soient fiers de leur langue. Ce n’est pas seulement un moyen de communication, c’est un lien entre passé, présent et avenir. La maîtriser vous ouvre les portes du patrimoine et vous permet de projeter votre culture vers le monde.

Servez-vous des outils numériques et de l’intelligence artificielle pour renforcer vos compétences et enrichir le contenu arabe en ligne. Faites de l’arabe un élément naturel de vos projets créatifs et de votre quotidien. C’est un capital identitaire et une responsabilité intergénérationnelle.

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