
Entretien réalisé par Samia Boulahlib
La campagne moisson-battage est l’un des sujets phares abordés, hier, par le Président Tebboune lors du conseil des ministres. A ce titre, Brahim Guendouzi, expert et enseignant en économie à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou, a tenté d’apporter des éléments de réponse.
El Moudjahid : Abordant la campagne moisson-battage 2021-2022, le ministre de l'Agriculture et du Développement rural, Mohamed Abdelhafid Henni, a affirmé, récemment, que tous les indices présagent une production abondante, faisant part d’une production record qui sera réalisée par rapport aux six dernières années. Quelle lecture en faites-vous ?
M. Guendouzi : Il est clair que la campagne moisson-battage de céréales 2021/2022 a nécessité une mobilisation exceptionnelle de moyens humains et matériels (moissonneuses-batteuses, etc.) par les CCLS, et se déroule selon une programmation à travers l’ensemble des wilayas. Les spécificités de chaque région font qu’il y a des priorités en fonction des conditions climatiques (Grand Sud par exemple) et des contraintes de terrain, ainsi que la rationalisation des matériels mobilisés. D’après les premières informations, la récolte 2022 se déroule sous de bons augures et l’on s’attend à un niveau de production largement meilleur que celui de 2021. La seule contrainte réside au niveau du stockage eu égard au nombre insuffisant de silos ainsi que les conditions de stockage qui sont à améliorer pour préserver la qualité du blé. La bonne pluviosité du printemps passé a certainement permis d’obtenir des rendements à l’hectare très satisfaisants. Ajouté à cela, les mesures décidées en Conseil des ministres relatives à l’augmentation des prix d’achat par l’OAIC des céréales et légumineuses, afin d’encourager les fellahs.
Des orientations très pertinentes ont déjà été données par le président de la République, comme la nécessité de promouvoir une économie de la connaissance, de développer nos capacités internes, et de protéger et consolider notre souveraineté nationale. En quoi consiste concrètement la souveraineté alimentaire, selon vous ?
Il y a lieu de distinguer entre sécurité alimentaire et souveraineté alimentaire. Selon la FAO, la sécurité alimentaire existe dans un pays lorsque tous ses citoyens ont un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques. Par contre, la souveraineté alimentaire se rapporte à la dimension politique, c’est-à-dire à la possibilité donnée à l’Etat de s’assurer la sécurité alimentaire dans l’intérêt national. On peut penser alors que les pouvoirs publics en Algérie ont la ferme volonté d’en assurer les deux dimensions grâce à l’autosuffisance alimentaire qui est sans cesse recherchée au travers des différentes filières agricoles, afin de pouvoir produire autant que faire se peut par ses propres capacités la plupart des biens à même de satisfaire les besoins de la population.
Quel est l'état actuel des productions de base, notamment des céréales, des oléagineux et du sucre ?
S’agissant en premier lieu de la céréaliculture, filière hautement stratégique de l’agriculture algérienne, elle retient le plus l’attention des pouvoirs publics tant les contraintes sont nombreuses à son développement, particulièrement la pluviosité. Parmi les mesures d’encouragement on peut citer l’accroissement des rendements à l’hectare qui demeurent faibles dans certaines wilayas, l’extension de la superficie consacrée à la culture du blé et de l’orge, l’augmentation des superficies irriguées, l’introduction des progrès de la recherche scientifique, etc. L’augmentation de la production et des capacités de stockage des céréales va contribuer à la diminution de la part des importations et surtout au renforcement de la sécurité alimentaire du pays. D’autant plus que l’Algérie a su renforcer son indépendance vis-à-vis des semences. Par contre, la dépendance demeure forte pour les oléagineuses (soja, colza et tournesol) pour lesquelles il faudra adopter un autre plan de développement devant aboutir à moyen terme à la hausse de la production de ces graines.
Récemment, des experts ont souligné la nécessité de développer une agriculture nationale axée sur les produits stratégiques afin de renforcer la sécurité alimentaire du pays. Pensez-vous que cela suffira à faire face aux fluctuations des prix des produits sur les marchés mondiaux ?
Les incertitudes liées à la disponibilité de biens alimentaires sur le marché international tant en quantités que par rapport aux prix, militent en faveur d’une nouvelle vision stratégique sur l’alimentation. C’est cet aspect-là qui est actuellement privilégié dans le pays. Le contexte économique actuel, tant au niveau national qu’international, place de fait le secteur agricole dans une position lui permettant de relever deux défis majeurs. En premier lieu, l’agriculture et l’industrie agroalimentaire sont en passe de devenir le véritable moteur de la croissance économique en Algérie en contribuant particulièrement à l'amélioration significative de la sécurité alimentaire du pays, devenue un enjeu de sécurité nationale. En second lieu, cela permet de mettre dans une trajectoire la promotion du développement durable et d'améliorer en même temps les conditions de vie des populations rurales.
Avons-nous toujours les moyens financiers d’importer ce qui nous manque y compris les intrants et les moyens nécessaires à la production nationale ?
Il est vrai que la facture alimentaire est actuellement lourde puisque l’Algérie dépense annuellement près de 8 milliards de dollars d’importations de produits alimentaires. Cependant, le nouveau positionnement stratégique en faveur de l’agriculture et du secteur agroalimentaire va permettre de dégager à moyen terme les ressources financières suffisantes pour assurer l’extension des cultures, la mécanisation et surtout l’élargissement des superficies irriguées. Il ne faut pas oublier que l’agriculture est créatrice de richesses ! Dans l’immédiat, il faut compter sur un financement grâce aux hydrocarbures.
S. B.