
Le conflit ukrainien ne manquera pas de constituer un tournant sur le plan énergétique, entraînant une possible transformation du marché aux multiples impacts. À cet effet et aux premières heures de la crise, le prix du baril a augmenté. Allons-nous vers une nouvelle géopolitique du gaz et du pétrole ? L'énergie est-elle une nouvelle arme de dissuasion massive ? L’expert en questions énergétiques, ancien ministre et ancien PDG de la Sonatrach, Abdelmadjid Attar, livre son éclairage sur ces questions.
Propos recueillis par Sami Kaidi
El Moudjahid : Quels impacts sur le marché de l'énergie aura le conflit ukrainien ?
Abdelmadjid Attar : À vrai dire, nous sommes dans l'incertitude, car l'impact sur le marché de l'énergie dépendra de l'évolution de la crise russo-ukrainienne. D'ailleurs, c'est pour cela que le prix du pétrole fait le yoyo. À l'heure actuelle, personne, je dis bien personne, n'est en mesure de parier sur ce qui va advenir dans cette partie du monde. Du coup, deux hypothèses s'ouvrent à nous dans le cas où la crise débouche sur des négociations et un apaisement : les prix du pétrole et du gaz se stabiliseront autour du prix de référence. Par contre, si le conflit perdure ou dégénère, il y aura un risque majeur de rupture d'approvisionnement en Europe. Il convient de rappeler qu’un tiers de la consommation de gaz et 20% de la consommation de pétrole des Européens proviennent de Russie. Ainsi, si les livraisons russes ne sont plus payées par les Européens dans le cadre des sanctions économiques, la Russie sera en mesure, légitimement, de rompre ses livraisons. Par voie de conséquence, la demande sera importante, mais il n’y aura plus d'offre, ce qui entraînera, de facto, une explosion des prix. Dans le cas où le conflit se généralise à l'ensemble du vieux continent, la demande s'écroulera et les prix s'effondreront. Ainsi, plusieurs scénarios sont possibles en fonction de l'évolution de la donne.
Quelles seront les répercussions économiques sur l'Algérie ?
Sincèrement, à court terme, la crise russo-ukrainienne n'aura pas d'impact sur notre pays, car la majorité de nos exportations énergétiques à destination du continent européen se font par le biais de contrats. Toutefois, sur le moyen terme, je suis persuadé que cette crise engendrera une refondation du marché. En effet, le conflit a mis la lumière sur le fait que la ressource énergétique est une arme géopolitique et stratégique. À cet effet, cela va entraîner une réorganisation de l'économie mondiale et des échanges économiques. L'Algérie doit, donc, se préparer à être un acteur incontournable, c'est-à- dire décisif sur le marché. Nous avons tout à gagner, car nous allons exporter avec des tarifs plus intéressants.
Ces évolutions sur la scène internationale ne constituent-elles pas un risque pour la sécurité énergétique de notre pays ?
Non, je rassure l'ensemble de nos concitoyens sur le fait que la sécurité énergétique de l'Algérie est assurée, que cela soit en termes de production d'électricité ou autres. Nous sommes un géant gazier et nous produisons assez de cette énergie fossile pour notre production d'électricité et assez de pétrole pour faire tourner nos raffineries et autres industries. À présent, il faut accélérer la transition énergétique, pour avoir plus de ressources disponibles à exporter. Notre autonomie énergétique est, donc, garantie.
T. K.