
En évoquant la ville de Bejaia, Ennaciria, Begayeth, El Hammadia, on ressent sa luminosité due à sa position géographique, notamment son immense baie. Bejaia, ville d’art et riche d’une grande histoire, a reçu plusieurs savants, historiens, chercheurs, professeurs… une sorte de colonialisme culturel qui s’est instauré durant plusieurs années. Aussi, pour donner une grande signification à toutes ces étapes, il convient de rappeler son histoire millénaire et sa culture diversifiée, une véritable citadelle ouverte sur la Méditerranée et une chaîne de montagnes qui se marie avec la mer bleue et le soleil luisant qui l’illumine comme une bougie. La nature a fait d’elle la plus belle ville de la Méditerranée. Une capitale de gloire et de bravoure face à tous les mouvements d’occupation qu’elle a connus. Bejaia, renferme des vestiges naturels et des sites culturels de grande valeur, elle est connue sous l’appellation de Bougie, en référence aux petites chandelles de cire produites dans cette ville à partir de laquelle les chiffres latins ont été exportés en Europe.
Les grands savants se croisent
Grand comptoir phénicien au dixième siècle, elle fut un port habité par des commerçants andalous. En 1067, le prince hammadite, En Nacer, y fonda une nouvelle ville qu’il baptisa En Naciria. Elle devint ensuite la capitale du royaume hammadite, après les Almoravides et les Zirides. La ville a retrouvé ses constructions, des maisons en pierres taillées, des escaliers de marbre qui longent les bâtisses sur plusieurs mètres, joignant la plaine et la ville haute. Des placettes conçues pour contempler le grand port en pleine activité commerciale, des bateaux qui pénètrent jusqu’au pied de la ville à travers la Porte Sarrazine, qui aujourd’hui garde encore son entrée dans le patrimoine culturel de la ville. Une période de construction riche sur le plan de l’architecture et de l’urbanisme avec des remparts, des somptueux palais, de beaux jardins et surtout des maisons superbes en plus d’une multitude de lieux de culte et de savoir. La ville s’est métamorphosée au point que le grand géographe El Idrissi la cita comme la plus prospère de l’Afrique du Nord au 12e siècle. En 1152, les Almohades en firent une province. La ville du Savoir joua dès lors un rôle éminent, recevant des personnalités scientifiques et littéraires prestigieuses. Le poète sicilien Ibn Hamadi, le mathématicien italien Leonardo Fibonacci, le philosophe catalan Raymond Lulle, l’historien Ibn Khaldoun, le métaphysicien andalou Ibn Arabi ainsi que des personnalités religieuses comme Sidi Boumediène et Athaalibi. Par ailleurs, Mahdi Ibn Toumert y déploya son activité réformatrice et rencontra Abdel Moumène à Mellala, petit village aux alentours de Bejaia. En 1510, Bejaia tomba aux mains des Espagnols qui détruisirent plus de la moitié de la ville. En 1555, Salah Rais reprit Bejaia mais ne parvint pas à lui conférer sa gloire d’antan. En 1833, les Français prennent la ville qu’ils dotèrent de boulevards, de villas, d’immeubles et de casernes, les transformations opérées témoignent à ce jour de cette occupation. La Casbah, construite en 1154 par les Almohades, avec ses murs épais et élevés compte une seule porte d’entrée et abritait une mosquée où Ibn Khaldoun venait donner des cours de jurisprudence religieuse, d’éminents professeurs enseignaient les mathématiques et les sciences. De même, Bab El Bahr, la Porte Sarrazine, édifiée sous le règne des Hammadites au 11e siècle donnant jadis accès à la mer, connut le débarquement des troupes françaises commandées par le général Trézel. Plus loin, le fort Sidi Abdelkader, qui domine l’espace entre le port et le cap Bouak, servait de garnison aux Espagnols en 1510. Ce grand monument s’est transformé de nos jours en lieu de pèlerinage où chaque mercredi des visiteurs, particulièrement des femmes, viennent se recueillir sur la tombe du saint Sidi Abdelkader. La baraka de Yemma Gouraya La haute ville avec ses vieilles bâtisses, quartier privilégié des colons, compte encore des monuments en voie de disparition et qui nécessitent d’être réhabilités tels Bab El Bounoud, Bab El Fouka actuel, considéré comme l’entrée principale de la cité En Naciria constituée de deux portes que les Bejaouis empruntaient pour accéder à la place Philippe et à la mosquée Sidi Souffi et plus loin vers le Bordj Moussa. Lieu de pèlerinage et ville de savoir une grande partie de ses vestiges sont classés patrimoine culturel. Avec ses 99 saints, Bejaia citée comme la petite Mecque, demeure jalousement accrochée à son histoire et à sa noblesse sous la garde de Yemma Gouraya qui offre à ses visiteurs sa baraka lors de pèlerinages sur ce mont à 630 m. Durant le mois de ramadhan les fidèles se rassemblent dans le quartier de la plaine sur la grande placette de la cité des Eucalyptus, jouxtant le bois sacré (djebel Khelifa) pour célébrer le 27e jour et Leilat el Qadr, depuis, le quartier est appelé «Houmate Sebâa Ouacherine», bien que cette tradition a disparu depuis plusieurs années.
Mustapha Laouer