
Réalisé par : Farouk Zoghbi
En dépit du temps qui ne cesse d’éroder la mémoire de ceux qui connaissent Sétif, l’histoire et le parcours de cette ville ancienne, nombreux sont ceux qui reviennent sur les pas de leur enfance et gardent encore à l’esprit tant de belles images et de souvenirs de la cité d’Aïn El-Fouara. Une ville cosmopolite, aussi vieille que son âge où se sont succédé plusieurs civilisations : romaine, vandale, byzantine, islamique, qui lui confèrent aujourd’hui, au-delà de ce riche patrimoine, de belles traditions du vivre ensemble que bien des estivants vivent au grand jour.
Comme pour marquer leur passage et sceller de leur empreinte le sceau de cette ville où les vertus de l’authenticité se confondent harmonieusement avec les signes de la modernité, ces gardiens du temple s’accrochent encore aux espaces centenaires de la cité, Ain Fouara, la mosquée El Aatik, le théâtre centenaire, ces arcades qui résonnent encore au génie des vieux couturiers et ces «harat» (maisons collectives), creuset de fraternité et de solidarité, pour dérouler au fil de la mémoire tant de beaux repères d’une jeunesse désormais ridée par le temps et nous conter l’histoire du vieux Sétif, de chaque pierre qui s’écroule, souvent bousculée par la main ravageuse de l’homme dans ses intentions démesurées.
Bachir, Alaoua et Abbès font partie de ces jeunes vieux Sétifiens qui se retrouvent chaque matin depuis des années non loin des arcades de la cité, sur cette grande terrasse du café «Ouled Ameur» qui continue à regarder Ain Fouara et ses platanes centenaires.
Animés par un sentiment d’orgueil et de fierté, ils nous évoquent les multiples couleurs d’une ville cosmopolite où il fait bon vivre, leurs souvenirs de «Stif el Aali», les fontaines qui ne coulent plus hélas, exceptées «Ain Fouara» et «Ain Droudj» nichée au bout des neufs escaliers.
Autant de facettes que Mokhtar Chaalal, brillant auteur et écrivain de son temps, élisant alors domicile non loin de là, me racontait aussi, de son vivant, ses trempettes dans les bassins d’Ain Fouara en été alors que le gardien faisait sa sieste et que toutes les femmes vêtues de leurs «mlaiyet» (voile noir) s’y rencontraient pour chercher de l’eau et aller aux dernières nouvelles de la cité à l’ombre des quatre platanes centenaires.
«Harat» du vivre ensemble
Tant de repères des lointains souvenirs, ces immenses champs de blé qui s’étendaient à ne plus en finir où l’on produisait le bon grain «guemh el Beliouni» que de fois chanté par les adeptes du «sraoui sétifien».
Ceux qui se rendaient souvent sous les arcades de Bab Biskra, le long de l’actuelle avenue Mustapha-Benboulaid, avaient plaisir à découvrir ces vieux couturiers, vêtus de leur burnous, occupant l’espace de la largeur d’un pilier, et qui s’affairaient dans le geste auguste mille fois répété et la mélodie de leurs machines à coudre, à donner forme et beauté ancestrale à cet habit traditionnel de la région symbolisant l’élégance et la fierté de tous ces cavaliers de la région des hautes plaines.
Sétif c’était aussi ces «harat» ( maisons collectives) d’un autre temps, espaces de convivialité et de vie communautaire, partagées de longues années durant par des dizaines de familles qui y élisaient domicile, n’occupant pas plus d’une chambre chacune, avec une courette collective et une petite cuisine, trahies chaque jour par les senteurs de bons petits plats, de la bonne galette et, la cerise sur le gâteau, ce délicieux café soigneusement préparé sur les braises du «kanoun» pour livrer tant de beaux secrets.
Ces maisons traditionnelles construites par les colons pour y «caser» des familles arabes, datent pour certaines de 1870 et même avant, à l’instar de «haret Zemour» que le regretté Samir Staifi à chanté, «haret 49 meftah» abritant autant de familles, «haret Guedj» ou «harat Sakai», des lieux de bon voisinage, de respect partagé, du vivre ensemble et qui sont devenus des espaces de nationalisme, des lieux de la résistance, forgé par l’esprit de Novembre.
«C’était des lieux de vie ou l’exiguïté n’avait de place que dans les cœurs, des familles entières y vivaient unies et solidaires», relève Lamria.
Une virée au cœur de la vieille ville de Sétif ne saurait laisser pour compte le théâtre centenaire de la ville, édifié en 1896, témoignant encore dans la sublime beauté de sa conception architecturale de la dynamique culturelle qu’a connue la cité de Ain Fouara. Ce monument culturel qui boucle ses 127 ans, portant le nom d’un grand militant du quatrième art Hassene Belkired, a été en effet l’un des lieux imposants de l’opéra et du théâtre avec le passage en 1946 de Cesar de Vezzani de l’opéra de Rome avant que Cavalera Rusticana, du même opéra, ne foule les planches de ce théâtre où se sont produites également de grande figures venues d’Egypte et du Moyen-Orient et de chez nous aussi, Keltoum, Mohamed Touri, Mahieddine Bachtarzi, et Mohamed Benmaiza et Hassene Belkired, grandes figures du théâtre sétifien qui ont investi à leur tour cet espace pour éveiller les consciences et y porter l’idéal de notre peuple et les réalités de son quotidien, fait de souffrances et de sacrifices face à l’oppresseur.
F. Z.
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Aïn el-Fouara :
Qui boira de son eau, y reviendra
Aïn El-Fouara, que de fois chantée et pleurée aussi, alors que par trois fois les forces du mal ont failli l’effacer de la mémoire des Sétifiens et de tous ceux qui n’imaginent pas Sétif sans Ain Fouara ou Ain Fouara ailleurs qu’à Sétif, cette fontaine mythique nichée depuis des lustres au cœur du vieux Sétif continue d’émerveiller les nouvelles générations de Sétifiens qui ont adopté cette fontaine monumentale et se désaltèrent chaque jour de son eau fraiche, qu’elle offre aussi à tous ceux qui transitent par cette ville et marquent un temps d’arrêt pour découvrir ce monument emblématique dont l’histoire remonte au 4 juin 1894 lorsque le conseil municipal siégeant sous la direction du maire adopta une proposition d’un conseiller pour la reconstruction de la fontaine édifiée sur ces mêmes lieux et qui menaçait de s’effondrer. Lors d’un déplacement du maire de Sétif à Paris durant l’été 1896, il demanda alors à rencontrer le directeur des Beaux-arts duquel il sollicite la remise d’une statue pour décorer le projet de la fontaine qui devait être édifiée à Sétif. Le maire de Sétif séduit par cette belle œuvre d’art, demande au sculpteur Francis de Saint Vidal d’en faire don à sa ville. Le directeur des Beaux-arts, agissant au nom du ministre de l’Instruction publique informe alors les responsables locaux que cette statue serait expédiée à Sétif au mois de juillet 1898 après son exposition au salon universel de Paris. Les frais de transport sont évalués approximativement à 2.650 francs, sans compter les frais de débarquement au port de Philippeville (Skikda). La part de la commune dans la réalisation de cette œuvre étant évaluée à 9.000 francs, le conseil municipal vote alors une autorisation spéciale de crédit dont l’inscription est régularisée au prochain budget additionnel. En novembre 1898, l’entrepreneur Francione est chargé de la réalisation du socle sur lequel devait être posée le monument qui entame un voyage de douze jours entre le port de Marseille et celui de Philippeville et faire route sur Sétif pendant dix jours sur une charrette accompagnée d’un garde champêtre qui recevra une récompense de 20 francs.
Depuis 125 ans, «ce projet décoratif et utile pour la population» est encore là, la statue toute de marbre blanc, aussi belle qu’elle l’a toujours été malgré les stigmates qu’elle porte suite aux actes de vandalisme.
F. Z.
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Djamaâ El-Aâtik : Jouau de l’art islamique
Non loin de là, la mosquée «El Aatik», édifiée en 1845, bien avant Ain Fouara, relève d’un joyau en la matière, conçu pour perdurer dans le temps et mettant en exergue les styles turc et maghrébin. «Ce lieu chargé d’histoire, vieux de 178 ans, est édifié sur une parcelle de terrain généreusement donnée par une Algérienne d’origine turque «Kouroughl».
Des fonds ont été recueillis auprès de nombreux citoyens de la ville pour sa réalisation. «Le minaret est d’architecture purement ottomane.
Les mosaïques et la calligraphie arabe à l’intérieur de l’édifice religieux lui confèrent une beauté sublime qui honore la cité», me disait un jour Brahim Boudoukha, docteur en sciences islamiques et juridique et actuel imam de cette mosquée. Ce dernier exprime sans cesse sa fierté de présider aux destinées d’une telle mosquée et de s’inscrire dans la ligne de ces grands hommes de culte qui l’on précédé, Cheikh Saoud Saoudi, Khababa Mohamed Tahar, le grand mufti de Sétif, et si Ahmed Kadri.
F. Z.