Sétif : Une répression massive

De notre correspondant : Farouk Zoghbi

Les années passent et les séquelles du génocide imposé au peuple algérien, à Sétif, Guelma, Kherrata et d’autres localités du pays par la soldatesque française en ce mardi 8 mai 1945 et tout au long de ce mois, sont plus que jamais vivaces dans la mémoire de ceux qui ont survécu à ces horribles massacres.

Des citoyens qui se souviennent et qui n’ont jamais oublé s’apprêtent 78 ans après, à commémorer une fois encore dans la dignité, la journée nationale de la Mémoire, instituée depuis 2020 par le président Abdelmadjid Tebboune.
Un jour, un mardi pas comme les autres, noyé dans le sang de milliers d’Algériens sortis pour revendiquer pacifiquement le droit à la liberté et à l’indépendance et que les milices fascistes, constituées de colons vichystes appuyés par des unités de l’armée coloniale, massacrèrent sans foi ni loi des populations.
A Sétif, comme partout à travers toutes ces contrées qui ont essuyé des jours durant cette répression aveugle, le poids des années n’a pas effacé les affres de ce «crime contre l’humanité» perpétré dans une dimension horrible contre des populations innocentes, sorties pour dire non à l’asservissement et revendiquer leur aspiration profonde à leur liberté spoliée par le colonialisme français qui répliquait en exécutant plus de 45.000 innocents, dans des circonstances odieusement préméditées,
Il y avait foule en ce mardi 8 Mai 1945, jour de marché hebdomadaire à Sétif, marqué comme d’habitude par une affluence nombreuse venue de toutes les contrées de cette wilaya pour des achats traditionnels et aller aux dernières nouvelles sous les rayons d’un soleil radieux dont les rayons dardaient en direction des toits ravivant l’espoir de milliers de personnes déjà massées à proximité de la mosquée Abou Dher el Ghaffari, édifiée à partir de fonds recueillis auprès de citoyens musulmans de la ville.

L’interrogatoire

Il est près de 8 heures quand cette foule qui bouge de plus en plus, prend des proportions de plus en plus importantes et ne passe pas inaperçue aux yeux de la police française. La première action des organisateurs qui opteront pour une marche pacifique à caractère politique, est de désarmer toutes les personnes présentes même de leurs cannes. «Nous voulions montrer à l’occupant une grande force sans l’utiliser encore» me disait un jour le regretté Abdelkader Yala, responsable du groupe scout qui précédera cette marche.
Quelques instants plus tard, des responsables algériens déjà marqués politiquement à l’instar de Hassen Belkired, président du groupe scouts El Hayet, Guenifi Mahmoud, Haffad Hocine, Abdelkader Yala, Me Mostefai avocat au barreau de Sétif, membres influent du bureau des Amis du Manifeste et d’autres personnalités influentes sont convoquées dans le cabinet du sous préfet. A l’origine de cette interpellation on retrouvera le commissaire central Tort, chef de la police d’état de Sétif et son adjoint le commissaire de police Olivieri dont la sombre réputation gagnera très vite du terrain.
Le haut responsable français reproche aux responsables algériens «d’exposer des enfants scouts à un danger certain» et s’interroge sur le caractère patriotique ou politique de cette marche. Dans le premier cas estimait t-il, les Algériens devaient se joindre dans le courant de l’après-midi aux Européens qui s’apprêtaient leur dira t-il à fêter la chute du régime hitlérien. Les responsables algériens évoquent ce jour de marché et la présence de beaucoup de citoyens qui ne seraient pas là dans le courant de l’après midi, répliquant du même coup que « l’Algérie avait besoin de faire entendre sa voix».

La marche de la dignité

Devant la mosquée Abou Dher el Ghaffari, on dénombre déjà plusieurs milliers d’Algériens, prêts à marcher en ordre. il est presque 9 heures quand le cortège s’ébranle après que le sous préfet eut donné «son accord» pour une marche pacifique. La foule précédée par un groupe de jeunes scouts et encadrée par des militants chevronnés, traverse une partie de la rue Ben Mhidi, débouche sur l’avenue Georges Clémenceau (actuelle avenue du 1er Novembre 1954 et du 8 Mai 1945), brandissant l’emblème national et plusieurs banderoles sur lesquelles on pouvait lire «Algérie libre», «Libérez Messali el Hadj», «Vive la charte de San Francisco», «Libérez les détenus politiques» et d’autres slogans hautement significatifs.
Main dans la main, les milliers de participants à cette marche évoluent en rangs ordonnés et chantent Hayou Chamel et Min Djibalina. Arrivés à hauteur de l’ancien café de France, les manifestants sont pris à partie par des policiers en civil. Le commissaire Olivieri offusqué à la vue du drapeau algérien se dirige vers la tête du cortège et ordonne à Saal Bouzid de baisser l’emblème national et les autres les banderoles nationalistes. Devant le refus de Saal Bouzid qui allait devenir quelques minutes plus tard le premier martyr des massacres des massacres du 8 Mai 1945, le policier fit feu, l’atteignant mortellement.
Des dizaines, puis des centaines de youyous ont fusé de partout déchirant le ciel aux cris de «Tahia el Djazair». Cet assassinat sonna la charge d’une répression barbare, des dizaines de policiers jusque-là refugiés dans des voitures stationnées aux alentours des bars et cafés voisins, surgissent et tirent à vue sur la foule.
La chasse à l’Arabe s’étend aussitôt, des mots d’ordre sont donnés aux troupes françaises et l’état de siège est décrété le lendemain vers 13 heures.

L’impitoyable boucherie

On tire sur tout ce qui bouge, la répression atteint son paroxysme, les prisons et les casernes sont bondées de citoyens algériens et le général Duval se déplace à Constantine avec ses troupes qui redoublent de férocité pour transformer Sétif et les localités environnante en une morgue à ciel ouvert. L’horreur est à son paroxysme et bien des familles algériennes sont contraintes d’enterrer leurs morts dans les cours de leurs maisons pour échapper à la haine de Magri, le gardien du cimetière qui faisait feu par-dessus le mur de ces lieux, sur tous ceux qui s’acheminaient vers cet endroit.
A Sétif où les fosses communes de Sidi Said témoignent encore de cette barbarie sans limites, les milices tuent sans répit sous le commandement des deux officiers de la protection civile, Demangeon et Rossi abattent les frères Hebache alors que les Bellone et Fantano brillent par leurs sombre besogne et leurs crimes odieux. Les Riaches sont brûlés vifs dans leur ferme au moment où les légionnaires éventraient les femmes enceintes.
A El Ouricia, Ain Abessa, Beni Azziz, Ain El Kebira, Amouchas, Babor et Kherrata ou l’oued Agrioune regorge de morts, l’écho de Mai sanglant résonne, porté par ceux qui reviennent de Sétif qui était à feu et à sang la révolte s’amplifie et la répression est à son comble. Les héros de Cassino, déchirés par une guerre sans merci aux côtés des troupes Françaises, assistent pour une promesse qui ne sera jamais honorée, à la liquidation des leurs, les incendies de leurs biens, et la confiscation de leurs terres dans ce crime odieux resté impuni.
Pour relater cette répression massive et justifier l’ignominie de leurs actes et des massacres perpétrés par les forces colonialistes françaises, le commissaire Tort écrivait dans son rapport n° 5240 du 18 Mai 1945 : «La population européenne effrayée par l’insurrection, demande que tous les coupables et les responsables de ce mouvement, soient impitoyablement passés par les armes. Elle déclara qu’à ce prix seulement les Français pourront vivre en Algérie, terre française. Elle estime qu’à ce jour la répression est nettement insuffisante pour Sétif et qu’en tous les cas, elle n’est pas à la mesure des crimes odieux qui ont été commis par les insurgés. Elle réclame des armes pour assurer sa propre sécurité et se faire justice.»
Des propos guidés par la haine et une amnésie volontaire pour dissimuler les conséquences dramatiques de cette barbarie menée durant plusieurs jours par les forces de la France coloniale, les milices, les légionnaires, les Tabors sénégalais qui se livraient à des exécutions sommaires, une impitoyable boucherie qui se solda par la mort de 45 000 innocents et l’arrestation de milliers de musulmans dont le seul tort était de revendiquer l’indépendance de l’Algérie. C’était la fin des illusions françaises !

F. Z.

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