
De notre bureau à Annaba : MUSTAPHA LAOUER
Soixante-huit ans se sont écoulés depuis les événements sanglants et les génocides atroces du 8 mai 1945, qu’ont connus les villes de Kherrata, Melbou, Aokas et Souk El-Tenine, dans la wilaya de Béjaïa. Les hordes sauvages coloniales ont réprimé les populations qui avaient demandé de vivre dignement et sans aucune domination coloniale.
Après avoir débarqué avec tout un arsenal militaire, chars blindés et bateaux de guerre sur le littoral de Bejaia, l’ennemi français a bafoué les droits humains en pénétrant dans tous les villages pour ordonner aux populations de se regrouper sur la plage de Melbou, sous un soleil de plomb et une chaleur caniculaire, les privant durant toute la journée d’eau et de nourriture. Les massacres sont impitoyables et ont marqué à jamais les populations dans l’Est d’Algérie. Ils constituent un acte de génocide impardonnable qu’a subit le peuple algérien en ayant refusé toutes formes d’exploitation et qui aspirait lui aussi à la liberté et l’indépendance de son pays. A Kherrata, c’était jour de marché hebdomadaire et comme de coutume, la population vaguait à ses préoccupations quand les nouvelles d’une répression policière musclées contre les populations voisines de Sétif et Amoucha leur sont parvenus. Dès lors, une agitation, suivie de panique et une forte inquiétude, a gagné les habitants. Il fallait se mobiliser et apporter le soutien à leurs voisins réprimés suite à une simple marche pacifique, organisée sur la principale route de Sétif. Les rassemblements de la population qui se constitués un peu partout dans la ville de Kherrata ont créé une grande panique chez les soldats français qui étaient armés et rassemblés dans la grande forteresse de la ferme du colon Dussy. L’administrateur colonial ordonna un couvre-feu mais la population locale, plus que déterminée, décida d’organiser un rassemblement au centre-ville. Au même moment, des nouvelles parvenaient aussi de Melbou et Aokas, jusqu’à Ziama Mansouriah (Jijel), où les colons, à bord de deux bateaux de guerre, débarquaient. Près de 3000 soldats ont pris d’assaut les villages de ces localités et rassemblaient les habitants le long du littoral du Sahel. La nouvelle s’est répandue à travers tous les villages et le lendemain à l’aube, la ville de Kherrata grouillait de monde. Des groupes se sont constitués au sein de la population, certains se sont dirigés vers le tribunal pour chercher les armes qui se trouvaient dans cet endroit où le juge a été tué. Un autre groupe avait bloqué la route des gorges pour retarder l’arrivée des soldats français, d’autres ont grimpés sur les crêtes pour dominer l’ennemi. Mais l’armée coloniale avec tout son arsenal de guerre, arriva sur les lieux et commençait à tirer à bout portant sur la population qui fuyait dans tous les sens tandis que les villages avoisinants furent farouchement bombardés.
Des tirs nourris depuis le croiseur le Duguay
Pas satisfait de cette barbarie aveugle, le croiseur le Duguay qui se trouvait du 9 au 11 mai 1945 au large du Golf de Bejaia, en route pour l’Asie, fut sommé par le sous-préfet de Bejaia d’intervenir face à la population révoltée qui se trouvait près des falaises ou encore à Ziama Mansouriah. Les populations ont subi des attaques et des tirs impressionnants, tout au long de l’axe Melbou, Aokas, Souk El Tenine, Ziama Mansouriah, Derguina et les Babors. Les canons du navire de 155 millimètres ayant une portée de 22 kilomètres de distance ont bombardé toutes les crêtes des falaises, les monts des Babors et les villages situés sur les montagnes de Kherrata. La répression s’est intensifiée avec l’aviation qui avait bombardé à son tour les autres villages de Kherrata causant des pertes humaines considérables. Les habitants sont ramenés dans des bennes de camions militaires à partir de Melbou et Derguina vers Kherrata pour être exécutés alors que d’autres sont alignés sur les plages de la cote Est pour être tués sur le sable.
Les populations tassées dans des bennes des camions militaires avant d’être exécutées
Toutes les populations se trouvant à Kherrata furent massacrée, sans sommation et sans aucune pitié, c’était une véritable barbarie. Les témoignages laissés par des personnes décédées ces dernières années retracent cette journée avec toutes les séquelles de massacre colonial et de génocide dirigé par l’ex-administrateur français de cette région, le colonel Rousseau. C’était une véritable chasse à l’homme à travers les ruelles de Kherrata, les gens ont été entassés dans des camions et dirigés vers les Gorges de Kherrata sans audition, ni interrogatoire,et tués à bout portant, ces innocentes personnes sont tour à tour balancées mortes ou vivantes dans les ravins profonds des gorges. La répression coloniale ne faisait aucune distinction entre la population. Les femmes, jeunes, vieillards, enfants et malades n’ont pas été épargnés et tous se faisaient massacrer et assassiner impitoyablement. Parmi tous ces innocents figurait l’infirmier Hannouz Arab, auxiliaire de la santé, qui a refusé sous les ordres du colon de signer une déclaration d’allégeance. Il a été victime d’une torture impitoyable et atroce, son corps fut trainé dans les rues, sous l’œil de la population rassemblée, pour être jeté dans le ravin de Chaabet Lakhera ainsi que ses trois jeunes enfants qui subirent le même sort sur le pont qui porte aujourd’hui son nom. Puis pour marquer son passage sanglant dans cette région, la légion d’honneur marque son génocide sur le roc du profond ravin qui a été transformé en cimetière à ciel ouvert. Cette inscription gravée sur l’un des rocher et qui apparait dès que les usagers empruntent les gorges, immortalise ce génocide, resté impuni, qui s’est poursuivi dans les jours qui suivent par des tortures, des emprisonnements, des intimidations, des agressions physiques n’épargnant aucune personne. Selon des témoignages des anciens survivants, plus de 2.000 morts sont tombés en quelques jours sous les balles des colons qui tiraient sans sommation et plus d’un millier de prisonniers furent entassés dans les geôles de Bejaia et Kherrata.
78 ans après, Kherrata se remémore et la plaque de la légion étrangère est toujours là pour rappeler aux générations futures le triste passage du colonialisme en Algérie. Depuis, et pour que nul n’oublie, la date du 8 mai est instituée par le président de la République comme journée nationale la Mémoire.
M. L.