
Chercheur au laboratoire des études historiques et archéologiques d'Afrique du Nord à l'université Ibn-Khaldoun (Tiaret), le professeur Ouddène Boughoufala souligne à El Moudjahid que «les attaques du Nord-Constantinois ont donné un nouveau souffle à la Révolution».
Ces attaques menées par Zighoud Youcef «ont dissipé l'illusion des sceptiques et des retardataires» dans la poursuite et le succès de l'option armée, et le 20 août 1955 donna la confirmation que ce qui se passait «n'était pas une rébellion passagère» ou un «soulèvement régional dans les Aurès. Le peuple et les moudjahidine étaient déterminés à poursuivre la lutte avec plus de confiance et de détermination pour vaincre l'ennemi, mais aussi convaincre le peuple de la légitimité de la lutte armée. L’armée française a été désorientée face à ce coup dur, et soudain cette lutte s’est étendue à plusieurs villes, notamment Skikda, Constantine, El Khroub, et visé des infrastructures économiques, administratives et sécuritaires vitales pour l'administration coloniale».
L’historien explique que la France a multiplié par deux ses forces armées avec 180.000 soldats supplémentaires en décembre 1955, mais ce qui importe, précise-t-il, c’est la consolidation du front national. «En janvier 1956, Ferhat Abbes a annoncé la dissolution de l’Union démocratique du manifeste algérien (UDMA), pour se rallier au FLN. C'est la même évolution chez les Oulémas. La scène politique et militaire s'est ravivée, surtout après la création de l'UGTA, le 24 février 1956. Au maquis, le commandant de la première région, Mostefa Ben Boulaid, est tombé au champ d'honneur, dans les Aurès, et en moins d'un mois, le commandant-adjoint de la quatrième région, Souidani Boudjemaâ, fut assassiné dans la périphérie de Koléa. Au cours du mois de mai, l'Union générale des étudiants musulmans algériens a annoncé une grève pour rejoindre le mouvement de lutte.»
La force du débat
Le Pr Boughoufala affirme que la révolution algérienne a été confrontée à de «nombreux défis internes et externes» qui ont été relevés grâce à «l'ingéniosité» et la «sagesse politique» des organisateurs du Congrès de la Soummam, avec le soutien de «larges catégories» du peuple et des élites. «Il était nécessaire, explique-t-il, de tenir une réunion d'évaluation pour examiner les dernières questions d'organisation et les nouveaux développements de la position française et des partisans de la Révolution algérienne dans le monde. Le Congrès fut un moment historique de réflexion et de prospective décidé le 25 octobre 1954 pour évaluer le parcours de la Révolution au cours des trois premiers mois de sa déclaration et revoir les structures. Le Congrès s'inscrit dans ce cadre, même si sa convocation a été retardée pour de nombreuses raisons, dont des raisons de sécurité, et toutes les hypothèses qui lient la convocation au Congrès à des initiatives personnelles sont peu fiables.»
Le chercheur note également que sur le terrain politique, les militants de nombreux partis du mouvement national et leurs dirigeants ont rejoint massivement les rangs de la Révolution et, par ricochet, du FLN, en dépit de leurs positions divergentes. L'insistance sur une organisation «collective» et une coordination de «tous» sur la nécessité d'élaborer une «nouvelle» stratégie d'action révolutionnaire qui «tienne compte» de l'évolution des positions politiques, par rapport à la pertinence de la Révolution comme «seule voie» pour la libération du pays, sont également des facteurs «déterminants» pour dissiper les malentendus entre leaders révolutionnaires à l'intérieur et à l'extérieur. «C'est aussi s'organiser pour prendre les décisions face à la réaction militaire française acharnée», observe-t-il. Le Congrès a été vu également comme une «stratégie» pour «attirer l'attention» de l'opinion publique internationale sur le cours de la Révolution et les revendications «légitimes» du peuple algérien. C'est aussi une «lutte contre les tentatives» de l'administration coloniale d’isoler l'Algérie.
«L'ordre du jour du Congrès était d'enrichir le document de la Déclaration du 1er Novembre et de nommer une direction de la révolution. Le Congrès a abouti à des décisions importantes sur l'organisation politique et militaire de la Révolution. Les congressistes ont affirmé le principe de leadership collectif précédemment adopté et affirmé le principe de la primauté du politique sur le militaire et la priorité de l'intérieur sur l'extérieur par le fait que la Révolution est avant tout un enjeu politique soutenu par l'action armée pour s'imposer et réussir, selon ce qui figurait dans la Déclaration du 1er Novembre».
Outre la création de tribunaux pour juger les affaires impliquant des civils et des militaires, il y a eu également la mise en place d’institutions pour diriger la Révolution : le Conseil national de la Révolution algérienne (CNRA) qui fait office d'organe législatif, ou parlement de la Révolution, le Comité de coordination et d'exécution (CEE) qui se veut le porte-parole officiel de la Révolution, servant d'organe exécutif de la guerre, prenant les décisions concernant la lutte armée.
Des procédures réglementaires, comme le découpage en six wilayas incluant le Sud, furent également mises en place. La question des grades et des allocations financières a également été tranchée, et c'est là que l'Algérie a vu la naissance de son armée structurée et organisée.
«Le Congrès de la Soummam reste un tournant décisif dans le processus révolutionnaire et dans la mémoire collective en Algérie. Loin des débats stériles, de l'exploitation politique, des distorsions et des interprétations inutiles, la discussion entre les différentes parties peut être vue dans le cadre de la diversité politique et intellectuelle et de l'ouverture de tous les acteurs les uns vers les autres pour parvenir à un consensus national», estime-t-il. Grâce au Congrès, la Révolution a vu l'adhésion des partis avec des orientations idéologiques et politiques «différentes», au sein d'un FLN devenu «seul interlocuteur» face à la France coloniale.
Tahar Kaidi