
Entretien réalisé par Karim Aoudia
De votre intervention à la cérémonie de commémoration de la Journée nationale du chahid organisée à Paris , il ressort un intérêt particulier que vous accordez aux mouvements de soutien qui se sont solidarisés avec le peuple algérien durant sa lutte pour l’indépendance. Comment décrivez-vous l’impact que la Révolution algérienne avait suscité à l’international ?
La Journée du chahid, célébrée en Algérie comme ici en France, est à mes yeux un hommage légitime à tous ceux qui ont lutté pour l’indépendance de leur pays et qui l’ont payé de leur vie ou en ont subi des traces profondes dans leur corps. La Guerre d’indépendance de l'Algérie a fait partie des luttes universelles des peuples colonisés pour leur droit à disposer d’eux-mêmes, ce qui était un principe affirmé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale lors des premières réunions des Nations-Unies. La Révolution algérienne a été soutenu dans le monde entier, y compris au sein de la société française où une catégorie de citoyens s'était engagée aux côtés de la lutte du peuple algéren conduite par le FLN eu égard à la justesse de sa cause qui se fondait sur des principes de droit international qui auraient dû s’imposer à tous. Il est bien connu, par ailleurs, que c’est en République fédérale d’Allemagne, dans la région de Cologne et de Rhénanie, que la direction de la Fédération de France du FLN s’est installée lorsque la répression policière a été trop forte sur tout le territoire français.
Les autorités allemandes ont accepté sa présence, même si cela a conduit à des actions terroristes qui ont été perpétrées sur son sol par les services français. En Belgique en Suisse et en Italie, il existait aussi plusieurs formes de soutien de la lutte des Algériens pour leur indépendance de la part de certains milieux syndicaux, universitaires et parmi les éditeurs qui ont contribué à publier des livres révélant la violence de la répression coloniale. Ce rayonnement international de cette lutte glorieuse a été un fait important qui a contribué à sa victoire. Il a existé dès le départ et s’est manifesté tout au long de la guerre. L’Egypte a été la base arrière des leaders de l’Algérie combattante et il en a été de même de la Tunisie, devenue indépendante en mars 1956, où le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) s’est installé deux ans plus tard. Ici en France, des réseaux de soutien se sont développés, organisés d’abord par le philosophe Francis Jeanson, spécialiste de l’œuvre de Jean-Paul Sartre, puis par le militant venu d’Egypte, Henri Curiel. La grande philosophe féministe, Simone de Beauvoir, y a contribué aussi. Des jeunes, qui avaient vibré dans leur enfance aux efforts de leurs aînés, les résistants français qui avaient pris les armes contre l’occupation de leur pays par l’Allemagne nazie, se sont engagés en faveur du combat des résistants algériens dans le cadre d’un mouvement intitulé «Jeune Résistance» et ont aidé la Fédération de France du FLN à recueillir des contributions de l’immigration algérienne en France et organser leur acheminement vers les pays voisins pour procurer des moyens financiers aux wilayas de l’intérieur. Cet aspect de la solidarité, dont a bénéficié la lutte du peuple algérien, est, à mon avis, trop peu connue, en France comme en Algérie, même si certains anciens militants du FLN, de 1954 à 1962, en ont porté témoignage. Il faudrait la mettre en valeur car le colonialisme a été combattu par des hommes et des femmes de toutes origines, de toutes religions et de tous pays…
Une commission mixte d'historiens algériens et français s’attèle à l'examen approfondi des archives de la période coloniale de 1830 à 1962. Quelle appréciation faites-vous de son travail accompli jusque-là et qu’en est-il des perspectives d’évolution du dossier de la mémoire dans le cadre des relations algéro-françaises par rapport a la visite, toujours d’actualité, du Président Abdelmadjid Tebboune en France ?
Les relations entre les peuples algérien et français doivent parvenir à dépasser le conflit que la colonisation a imposé aux deux pays. Il est annoncé que le Président Tebboune va effectuer une visite en France et on ne peut qu’espérer qu’elle contribue à un raffermissement des liens entre les deux pays dans tous les domaines. Toutefois, au-delà des rapports diplomatiques entre l’Algérie et la France, qui concernent notamment des aspects économiques importants pour les deux pays, on ne peut que souhaiter l’amélioration de la vision du passé dans chaque pays, ce qui suppose, en premier lieu, que l’Etat français reconnaisse les injustices et les crimes commis du fait de sa domination coloniale entre 1830 et 1962. Pour cela, le travail des historiens des deux pays est essentiel. Ils le font depuis plusieurs années à l’occasion de rencontres et de publications de livres. Cela doit être encouragé. C’est aux historiens d’écrire l’histoire et cette écriture doit, à mon avis, rester autonome par rapport aux pouvoirs politiques des deux pays et se développer librement.
Peut-on connaître votre avis au sujet de l’accès des historiens français aux archives relatives à la période de la présence de la France coloniale en Algérie ?
Mon avis est que les pouvoirs publics doivent faciliter les rencontres des historiens et leurs déplacements pour leurs recherches dans les centres d’archives des deux pays et leur donner l’occasion de confronter et de diffuser leurs travaux. L'accès aux archives dans les deux pays doit être facilité à tous. En France, les chercheurs se heurtent souvent à des entraves qui les empêchent de travailler sur telle ou telle question. Ainsi, la «guerre des grottes», organisée par l’armée française contre des combattants et des populations civiles qui avaient trouvé refuge dans les cavités des régions de montagne, est l’objet de recherches d’universitaires qui rencontrent des obstacles importants pour accéder aux archives. Les chercheurs algériens doivent pouvoir effectuer des séjours de recherche auprès des centres qui conservent en France des archives relatives à cette période. On peut espérer, à ce titre, que la commission qui a été mise en place sur l’histoire et la mémoire des deux pays parvienne à des avancées dans ces domaines. Car pour la France, il s’agit de dépasser son passé colonial et de rompre avec les injustices et les crimes qui l’ont marqué. Elle doit, pour cela, faire un effort de lucidité et de reconnaissance des faits. C’est à ce prix que ses rapports avec l’Algérie pourront s’améliorer durablement et que, à l’intérieur du pays, les comportements négatifs hérités de son passé colonial pourront être dépassés.
K. A.