Des atrocités que la France tarde à reconnaître

Nul doute que les évènements du 8 mai 1945 ont été un tournant décisif dans l'histoire du combat de l'Algérie et une véritable transition vers la révolution, que ce dossier restera, à l'image de la reconnaissance des crimes, la récupération des archives et des ossements des chouhada, ainsi que l'indemnisation des victimes des essais nucléaires au Sahara, parmi les principales questions en suspens entre l'Algérie indépendante et la France coloniale.
Pour Mohamed Chergui, chercheur en histoire à l’université de Guelma, ces massacres ont révélé le véritable visage du colonialisme français oppresseur qui a traité les manifestants civils par diverses formes de répression et de barbarie, soulignant que la mémoire historique transmise de génération en génération retiendra les sacrifices consentis par les Algériens à l’intérieur et à l’extérieur du pays pour l’indépendance.
Ces sacrifices ont été si lourds et accablants qu’ils expliquent en partie la détermination de l’État français à refuser jusqu’à ce jour la reconnaissance de ses massacres perpétrés contre les Algériens et la présentation d’excuses officielles, a indiqué ce chercheur, qui estime que les déclarations du Président français, Emmanuel Macron, sur ce sujet, confirment l’attitude française de déni et de fuite. Pour l’historien, la lecture minutieuse des documents historiques et les déclarations concernant ce qui s’est réellement produit le 8 mai 1945 et le 17 octobre 1961 montrent indubitablement que les massacres et les actes criminels perpétrés par les forces sécuritaires françaises contre les manifestants algériens désarmés n’étaient pas des décisions individuelles, mais des instructions émanant de la plus haute autorité de l’État français de l’époque.
En effet, en ce mois de mai 1945, Charles de Gaulle était le président du gouvernement français provisoire et le premier décideur de la mise en marche de la machine des massacres et des tortures à Sétif, Guelma et Kherrata, relevant que ce fut également Charles de Gaulle, devenu président élu de la République française, qui ordonna le recours à la violence le 17 octobre 1961. Ce chercheur universitaire, co-auteur d’un ouvrage collectif sur l’histoire de la Révolution dans la région de Guelma, les massacres du 8 mai 1945 qui avaient fait dans cette wilaya près de 18.000 victimes n’étaient pas uniquement la décision du seul sous-préfet d’alors, André Achiary, mais le résultat de décisions de la plus haute autorité française.

Le Président Tebboune : «Il faut trancher l’épineux dossier de la mémoire»

C’est dans cette optique qu’il estime qu’avant de parler de relations politiques et économiques entre l’Algérie et la France, il faut trancher l’épineux dossier de la mémoire en suspens entre les deux États, considérant qu’il est du droit des Algériens, en tant que État, institutions, société civile et intellectuels, d’exiger de la France de reconnaître officiellement ses massacres.
De son côté, la France a toujours tergiversé sur ce point. Il faudra attendre l’année 2005, où, par le biais de son ambassadeur à Alger, Hubert Colin de Verdière, alors en visite à Sétif, la France évoque et reconnaît le sujet , lors d’une allocution à l’université Ferhat-Abbas. «Je me dois d’évoquer une tragédie qui a particulièrement endeuillé votre région. Je veux parler des massacres du 8 Mai 1945 il y aura bientôt soixante ans : une tragédie inexcusable», avait-il estimé. Plus tard, le Président François Hollande, lors d’un déplacement officiel à Alger en 2012, a fait un pas de plus dans la reconnaissance des massacres, mais en se gardant de toute repentance. «Pendant 132 ans, l’Algérie a été soumise à un système profondément injuste et brutal ; je reconnais ici les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien. Parmi ces souffrances, il y a les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata», avait-il déclaré.
Idem pour Emmanuel Macron, alors candidat à la présidence, qui a affirmé, au sujet de la reconnaissance des massacres du 8 Mai 1945, que s’il était élu, il prendrait «des actes forts» et porterait «des discours forts sur cette période de notre histoire». Des années après son arrivée au pouvoir, les Algériens attendent toujours ces actes forts. Pour sa part, le Président Tebboune avait affirmé, dans un entretien à l’hebdomadaire français Le Point, en juin 2021, que les Algériens attendent une «reconnaissance totale de tous les crimes» commis par la France coloniale, soulignant que «le fait de reconnaître ses crimes est une forme de repentance».
Néanmoins, le chef de l’État avait fait remarquer que «tout cela ne concerne pas la génération du Président Macron ni celle de certains intellectuels français», relevant toutefois que «reconnaître ces faits est important». «Pourquoi tient-on à la reconnaissance de ce qu'ont subi les Arméniens, les juifs, et ignore-t-on ce qui s'est passé en Algérie ?» s’est-il demandé, soulignant le fait que «ce que nous voulons, c'est une mémoire apaisée, reconnue. Qu'on sorte de cette fable d'Algérie terra nullius où la colonisation aurait apporté la civilisation», a-t-il soutenu, insistant sur le fait que «ce n'est pas la France de Voltaire, la France des Lumières que l'on juge. C'est la France coloniale», avait-il tonné.

Amel Zemouri 

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