
Professeur de thérapeutique et de médecine d’urgence, Abdelouahab Bellou compte parmi la nombreuse matière grise expatriée. Président de la start-up Global Healthcare Network & Research Innovation Institute, LLC et du Global Network in Emergency Medicine, aux États-Unis, il nous live, dans cet entretien, sa conception de la contribution de la diaspora algérienne à l’œuvre de construction de l’Algérie nouvelle.
Entretien réalisé par Liesse Djeraoud
El Moudjahid : Le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, s'est réuni avec des membres de la communauté algérienne établie, notamment à New York. Quel est votre avis sur cette rencontre ?
Dr Bellou : J’ai appris que cette rencontre avait eu lieu à New York, lors de la visite du ministre des AE à l’ONU. Malheureusement, je n’ai pas pu y assister. Il est très important que les officiels algériens rencontrent les membres de la diaspora installée à l’étranger. Cette diaspora est très patriotique et souhaite participer activement à la construction de cette Algérie prospère engagée dans la modernité, pour qu’elle occupe une place de leader en Afrique et dans le monde. La diaspora a besoin de sentir que l’on ne l’oublie pas.
Quel pourrait être l’apport de la diaspora au développement du pays ?
Un des travaux importants que le ministre pourrait solliciter serait le recensement de tous ceux qui constituent cette élite algérienne qui fait le bonheur des pays occidentaux, en particulier les USA et l’Europe, mais aussi en Asie.
L’apport serait considérable dans tous les domaines, l’économie, l’éducation, la recherche, la santé, le développement durable, l’innovation technologique, l’informatique, l’intelligence artificielle, l’architecture et l’urbanisme, mais aussi dans le domaine des sciences humaines. Mon réseau au niveau international m’a permis, lors des nombreux congrès internationaux, de rencontrer de nombreux algériens expatriés et vivant en Algérie. Nous avons eu de longues discussions sur notre volonté de participer au développement de l’Algérie. Les difficultés rencontrées sont la méconnaissance des structures nationales qui pourraient guider cette diaspora à être en contact avec les décideurs, les lourdeurs administratives, l’absence de continuité des discussions, l’absence de financement des déplacements. Moi-même, j’ai expérimenté ces difficultés en 2017, où j’avais pu rencontrer un conseiller du ministre de la Santé et proposer un projet de restructuration globale de la médecine d’urgence en Algérie, du pré-hospitalier aux services des urgences intrahospitalières, associées à la mise en place d’un programme académique médical et paramédical incluant la recherche et la création d’une école internationale de médecine d’urgence, en collaborant avec des universités américaines et européennes. Malheureusement, je n’ai pas été recontacté et ce projet n’a pas pu aboutir. Je suis retourné en 2019, j’ai pu rencontrer un recteur, un vice-recteur, certains professeurs de médecine et un directeur de CHU de l’ouest de l’Algérie. L’accueil était très chaleureux et les discussions passionnantes. Nous devions commencer un projet-pilote dans l’Ouest algérien. Malheureusement, cela n’a pu se concrétiser.
Comment concevez-vous cette contribution ?
La majorité de ceux ou celles qui vivent à l’étranger n’ont pas pour l’instant le projet de retourner vivre en Algérie, comme c’est le cas des expatriés de nombreux pays en voie de développement. Ce qu’attend la diaspora est assez simple. Je me focaliserai sur les académiques, chercheurs, professeurs, directeurs d’institut… Ils pourraient contribuer à l’enseignement des étudiants, en participant à des modules pédagogiques ou même en créer (programmes de Master et de Doctorat) correspondant à leur domaine de compétence et d’expertise. La recherche est aussi un domaine très important, où la diaspora pourrait s’investir en développant des collaborations de très haut niveau, voire co-diriger des laboratoires de recherche, afin de renforcer les liens avec les chercheurs algériens. De la même façon, la diaspora pourrait faciliter l’accueil de chercheurs algériens dans les universités américaines, européennes et asiatiques. Il est possible aussi d’écrire conjointement des projets de recherche et d’obtenir des financements de la part des institutions algériennes et dans les pays où ils vivent. L’exemple des Chinois, Indiens, Turcs, Coréens du Sud et Japonais est assez exemplaire, pour ne mentionner que ces pays. Enfin, les académiques de la diaspora pourraient accueillir des étudiants algériens pour des thèses ou des post-doctorats. Il est essentiel d’octroyer d’importants moyens financiers et humains pour que la recherche et les universités algériennes soient reconnues au niveau international. Les pays qui avancent réservent une partie importante du PIB à la recherche. Enfin, il est aussi possible d’aider l’Algérie, en participant à l’élaboration de l’état des lieux de la situation, en collaboration avec les institutions officielles. Un autre point important est la facilitation des déplacements et de l’hôtellerie soutenus financièrement par l’Algérie. Certains pays ont même construit des campus pour accueillir leur diaspora qui vit à l’étranger.
Quels seraient les domaines où la communauté établie aux USA pourrait apporter son savoir-faire ?
Il y a des sommités scientifiques aux USA dans tous les domaines, mais il y a aussi beaucoup de jeunes chercheurs qui pourraient contribuer au développement de l’Algérie. J’insiste encore sur l’optimisation des échanges et surtout leur facilitation, en intégrant la diaspora plus facilement. Ces échanges permettront de communiquer les bonnes habitudes et la rigueur scientifique. Il me semble que cela touche tous les domaines nécessaires au développement, que l’Algérie doit renforcer en urgence. Il y a des Algériens qui s’investissent dans tous ces domaines. La Santé, l’Éducation et la Recherche me semblent une priorité absolue. Cela inclut la participation à l’élaboration de construction de grands hôpitaux modernes, de centres de recherche et d’enseignement. Le concept d’institut doit être développé.
Je conclurai en insistant sur la mise en place d’une atmosphère sereine, bienveillante et facilitatrice, pour que la diaspora à l’étranger s’investisse beaucoup plus dans le développement de l’Algérie. Cela doit être une «Win-Win» collaboration. La Recherche doit être au centre du cercle constituant les domaines de prédilection qui vont aider l’Algérie à se développer pour devenir une puissance mondiale dans les 20 prochaines années. Elle en a toutes les potentialités. Enfin, il est essentiel de se débarrasser de ce sentiment défaitiste, que rien n’est possible, et déplacer le paradigme du pessimisme vers «Tout est possible». Mais, pour y arriver, «l’Excellence» doit être le moteur de ce projet passionnant de construire cette nouvelle Algérie. Les Algériens expatriés sont prêts et mettront toute l’énergie nécessaire pour réussir ce projet , si les conditions le permettent.
L. D.
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Biographie
Professeur de thérapeutique et de médecine d’urgences,
Université de Rennes 1, Rennes, France. Ancien président de la Société européenne de médecine d’urgences (EUSEM).
Directeur de l’Institut des sciences en médecine d’urgence, Académie des sciences médicales de Guangdong Province, Provincial People Hospital, Guangzhou, Chine.
Adjunct Professeur de médecine d’urgence, Département de médecine d’urgences, Wayne State University Medical School, Detroit, MI, USA.
Ancien professeur associé de médecine d’urgences, Harvard Medical School, Boston, USA.
Membre de différents groupes de recherche au sein de la Société européenne de médecine d’urgences et de la Fédération internationale de médecine d’urgences.
Président de la start-up Global Healthcare Network & Research Innovation Institute, LLC et du Global Network in Emergency Medicine aux États-Unis.